RODRIGUAIS À MAURICE : « Nous ne sommes pas des citoyens de deuxième classe »

La déclaration du ministre des Terres Abu Kasenally concernant les Rodriguais qui quittent leurs terrains dans l’île pour venir squatter d’autres à Maurice a fait l’effet d’une bombe au sein de la communauté. Même si le ministre s’exprimait particulièrement sur le cas des squatters de Cité La Cure, qui se trouvent sur un terrain privé, cela a fait remonter l’amertume de certains par rapport au regard des Mauriciens sur eux. Se disant victimes de discrimination et de critiques au quotidien, ils affirment leur détermination à lutter pour être reconnus comme des citoyens mauriciens à part entière.
« Quand les Mauriciens viennent à Rodrigues, ils sont bien accueillis, mais ce n’est pas le cas pour nous quand nous venons ici. Les gens font comme si nous sommes inférieurs. Or, nous sommes des citoyens Mauriciens. Nous avons les mêmes droits. Nous ne sommes pas des citoyens de deuxième classe. » Fleurette, qui comme d’autres Rodriguais est contrainte d’arborer l’étiquette de squatter, ne cache pas sa colère concernant l’accueil réservé à ses compatriotes à Maurice.
Venue chercher de l’emploi, elle s’est retrouvée sans ressources, ce qui l’a obligée à se réfugier d’abord chez des parents, avant de s’installer dans la périphérie de Port-Louis. « Pensez-vous que j’aurai accepté de vivre dans ces conditions ici si j’avais du travail à Rodrigues ? »
Un peu plus loin, à Tranquebar, Noëllette s’est elle aussi habituée à sa situation par la force des choses. Sa maisonnette se trouve au milieu d’une centaine d’autres similaires, sur les hauteurs de ce quartier port-louisien. Noëllette se dit particulièrement offensée par les critiques répercutées dans les médias ces derniers jours. « Cela reflète bien la mentalité des Mauriciens. Ils croient que les Rodriguais sont des mendiants. Mais nous ne demandons pas l’aumône à Maurice. Nous sommes ici pour travailler et tout ce que nous avons, c’est au prix de notre sueur », martèle-t-elle.
Noëllette, mère d’une fille de 15 ans, travaille comme bonne à tout faire chez une famille de la capitale. « Cela ne me rapporte pas beaucoup d’argent, mais me laisse suffisamment de temps pour m’occuper de ma fille. »
En dépit de la précarité, elle ne songe pas à retourner à Rodrigues. « Je suis bien ici. Je n’ai peut-être pas beaucoup d’argent, mais j’ai au moins un boulot et je peux aller où je veux. Je pense surtout à ma fille, il y a plus d’ouverture ici pour elle quand elle terminera ses études. Que ferait-elle à Rodrigues ? »
Pour alléger le panier ménager, Noëllette élève des pondeuses. Elle a également commencé à planter quelques légumes dans des bacs. « Vous voyez, le Rodriguais sait toujours se débrouiller. Nous ne sommes pas des assistés. »
Barrière culturelle
La situation des Rodriguais à Maurice a intéressé la Ligue Ouvrière d’Action Chrétienne (LOAC). Depuis 2011, un accord a été trouvé avec la branche rodriguaise de cette organisation du Diocèse de Port-Louis, pour faire un suivi des familles à Maurice. Mais la tâche n’est pas toujours facile. « Les Rodriguais sont persuadés que les Mauriciens ont un regard de supériorité sur eux. On nous l’a déjà reproché », dit Désiré Pondor, président de la LOAC.
Il reconnaît que cela n’est pas tout à fait faux. Dans le quotidien, soutient-il, il n’est pas rare que le Rodriguais est exploité dans son travail, ou qu’on se moque de sa manière de parler.
Le président de la LOAC dit constater que les Rodriguais qui arrivent à Maurice doivent faire face à un choc culturel. « Ils retrouvent ici des manières de vivre et des mentalités auxquelles ils ne sont pas habitués. Ici, nous sommes plutôt matérialistes. Souvent, c’est aussi la désillusion… »
Au sein de la jeune génération, on parvient plus facilement à se faire une place dans la société mauricienne. Mais c’est au prix de beaucoup d’efforts. Cindy arbore fièrement l’uniforme d’une grande firme du secteur privé. Elle confie être bien acceptée dans son travail et ne pas souffrir du regard des autres. « On ne m’a jamais dit des choses du genre : “Tu viens prendre la place des Mauriciens ici. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance d’être dans la bonne entreprise, mais je dois dire que je suis bien acceptée. »
En revanche, ajoute-t-elle, cela était beaucoup plus difficile lorsqu’elle était à l’université. « Je sentais que les étudiants mauriciens n’étaient pas assez ouverts envers nous. La plupart du temps, nous étions entre Rodriguais. »
Selon le Private Parliamentary Secretary Christian Léopold (voir interview plus loin), il existerait environ 60 000 Rodriguais à Maurice alors que la population à Rodrigues est estimée à 35 000. Tout le monde s’accorde à dire que cet exode devrait susciter une profonde réflexion sur l’avenir de Rodrigues. « Au lieu de nous critiquer, il serait peut-être temps, de songer à des solutions pour nous venir en aide. »

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