SANS SPÉCIALISTES DE L’ENFANCE DANS L’ÎLE : Rodrigues ne peut réhabiliter ses petites victimes d’abus

Alors que le Fact Finding Committee institué par le gouvernement pour enquêter sur les shelters à Maurice a bouclé son enquête, Rodrigues, qui ne compte qu’un abri pour enfants en détresse, ne figurera pas dans le rapport du comité. Pourtant, l’île fait face à de grave manquements en matière de prise en charge spécialisée des enfants victimes de maltraitance diverse. À Baladirou, l’unique foyer de placement pour enfants ne peut leur proposer des activités en vue de leur réhabilitation. Par ailleurs, la Child Development Unit de Rodrigues ne dispose que d’un officier pour toute l’île. Mais ce n’est pas toujours que les cas d’abus, surtout sexuels, sont rapportés. Selon nos sources sur place, de nombreux enfants seraient victimes de violence. Toutefois, pour Franchette Gaspard Pierre-Louis, adjointe au chef commissaire et responsable du dossier des enfants, « les abus sexuels sur des enfants ne sont pas courants à Rodrigues ». Elle insiste à dire que le foyer de Baladirou ne compte pas de victimes d’abus sexuels parmi ceux qu’il accueille. Mais tel n’est pas le cas…
C’est une petite fille, handicapée mentale, au comportement qui interpelle et intrigue ceux qui la côtoie. À l’école, elle se montre entreprenante envers les garçons et pendant les cours de créativité, elle réalise des objets à caractère sexuel. En classe, l’éducatrice s’est rendue compte de l’attitude de la petite fille. Mais elle n’a pas donné suite à ses observations. À l’hôpital, où elle est suivie pour une maladie dont elle souffre, le personnel soignant a été aussi intrigué par un geste qui, selon lui, en dirait long sur l’historique de l’enfant.
En effet, pour saluer un infirmier du service hospitalier, elle l’aurait, affirme-t-on dans cet hôpital, embrassé sur la bouche. Mais ce sont des traces sur le corps de la fillette qui ont attisé des soupçons de violence à son encontre. Il revient que la plupart du temps, la fillette est sous la surveillance de son père. Sa mère, qui s’était dans un premier temps confiée sur sa vie familiale, a expliqué qu’elle part chaque après-midi chercher du bois pour les besoins de la cuisine. Pendant son absence, a-t-elle expliqué, c’est le père de l’enfant qui lui donne son bain.
Mise au courant des observations des uns et des autres, la mère de la fillette, s’est murée dans le silence. À l’hôpital, il y a eu des tentatives pour faire examiner l’enfant. Mais des obstacles administratifs se sont posés. « Aucun médecin n’a voulu examiner cette fille en l’absence d’un médecin légiste. Si des membres du personnel avait pris le risque d’informer la police, il aurait eu à témoigner en cour, etc. Pour éviter les engrenages du système, personne n’a souhaité prendre les devants », nous raconte une source à Rodrigues.
Puis, nous dit-on, comme ni la mère et encore moins l’enfant, laquelle parle peu, n’ont jusqu’ici dénoncé une agression, sans l’autorisation parentale, il a été impossible pour ceux qui voulaient que la fillette soit examinée de parvenir à leurs fins. À aujourd’hui, des soupçons de violence et d’abus sur cette fillette subsistent encore. Pire, toutes les sources interrogées dans le cadre de cet article sont unanimes : « Il existerait à Rodrigues de nombreux cas d’enfants abusés par des personnes dans leur entourage immédiat qui ne sont pas rapportés. Ou pire, qui sont étouffés ! »
Situation complexe
Par manque de professionnels spécialisés et qualifiés, de ressources humaines formées et de ressources matérielles, Rodrigues a toute les peines du monde à, d’une part, détecter des cas d’enfants maltraités physiquement et, d’autre part, à pourvoir des services efficaces aux enfants exposés à des dangers divers et victimes d’abus, y compris sexuels. La situation ne date pas d’hier et serait complexe. L’île, dont environ un quart de sa population (approximativement 42 000 personnes) est âgé de moins de 19 ans, ne dispose que d’une femme officier de la Child Development Unit (CDU) et un membre de la Family Protection Unit pour toute intervention nécessitant obligatoirement leur présence dans des affaires impliquant des mineurs. Rodrigues ne dispose non plus de psychologue clinicien permanent.
Quant à l’unique abri pour enfants, le Foyer Marie Madeleine de La Croix, à Baladirou, il accueille une vingtaine de victimes, placées sous la responsabilité de trois religieuses. Le foyer qui est sous la tutelle du Deputy Chief Commissioner’s Office et du Vicariat de Rodrigues ne peut dispenser de prise en charge spécialisée à ses accueillis. Pour pallier cette absence, de jeunes stagiaires qui, de retour à Rodrigues avec un diplôme (Family Counselling) de l’université de Maurice en poche, ont été appelés en renfort.
Il y a quelques mois, ce sont deux psychothérapeutes mauriciennes qui ont été appelées à la rescousse par la Commission chargée des femmes et des enfants. Leur mission : former les animateurs du foyer et intervenir auprès des familles en détresse. Mais au bout de deux mois d’intervention dans un système qui est miné par la lenteur administrative et qui pèche par des manquements, le travail initié par les Mauriciennes a été brutalement interrompu. Cependant, sur place, la présence des psychothérapeutes dans l’île a soulevé des interrogations, notamment leur « recrutement ».
Elles ont été approchées, peu après le départ — abrupte et forcé dit-on à Rodrigues — d’une psychologue clinicienne mauricienne postée en permanence dans l’île. Dans un premier temps, l’arrivée des psychothérapeutes, dont l’une s’était installée à Rodrigues le temps de sa mission, était perçue comme « une alternative » aux prérogatives qu’avait la psychologue, d’autant que peu avant son départ, cette dernière leur aurait, plus ou moins officiellement, expliqué le travail qui les attendait.
« Elles n’étaient pas là pour remplacer la psychologue ! » rétorque d’emblée Franchette Gaspard Pierre-Louis. « Nous avons l’habitude de faire appel à des professionnels de Maurice pour faire de la formation. Lors d’une de mes visites à Maurice, après renseignement, j’ai rencontré les deux psychothérapeutes et elles ont accepté de venir à Rodrigues pour former des officiers. Elles sont venues pour un travail et doivent être rémunérées. Mais en aucun cas elles ont remplacé la précédente psychologue. D’ailleurs, avons publié un avis, car ce poste vacant ».
« Il faut prendre des pincettes »
Le départ de la dernière psychologue clinicienne qu’a connue Rodrigues n’a pas été apprécié par plus d’un. Alors que l’île manque cruellement de spécialiste, cette dernière aurait eu à affronter l’absence de volonté au plus haut niveau pour mettre en place des stratégies visant à renforcer la prise en charge et le suivi des enfants en placement, entre autres. Car, lorsqu’un cas nécessitant un placement est rapporté aux autorités dans l’île, l’enfant est envoyé au foyer de Baladirou où des activités spécialisées pour la réhabilitation des victimes sont inexistantes. Lasse de la situation, elle a préféré rentrer à Maurice.
« Elle était dynamique et appliquait des méthodes qui auraient sans doute bien marché à Maurice. Mais à Rodrigues, le contexte est différent. Il faut prendre des pincettes et faire attention à tout. Ses propos lors d’une rencontre avec des parents ont été mal interprétés », nous raconte un témoin. Il revient que la franchise de la psychologue à propos de l’influence de la pornographie sur les jeunes aurait été déformée. « Nous n’avons pas apprécié sa méthode. Elle est aussi rentrée pour cause de maladie », explique de son côté Franchette Gaspard Pierre-Louis.
Cette dernière, qui concède que l’île a besoin de spécialistes pour les affaires d’enfants — elle a demandé de l’aide à Maurice et au bureau de l’Ombudsperson pour les Enfants à ce propos —, laisse aussi entendre que les cas de maltraitance physique et d’abus sexuels perpétrés sur des enfants rodriguais sont rares. « Au foyer, qui est une maison de transition, il y a que des enfants dont les mamans, elles-mêmes victimes, ont des difficultés à s’en occuper. Il n’y a pas de victimes d’abus sexuels au foyer. À Rodrigues, ce n’est pas courant. Pas comme à Maurice », déclare Franchette Gaspard Pierre-Louis.
À Baladirou, le foyer des enfants accueille certes des mineurs négligés, mais aussi ceux qui étaient exposés à des abus divers et des victimes d’agressions sexuelles. Sans révéler les détails sur la nature des abus commis sur ces enfants, nous avons recueilli des témoignages qui attestent de la violence cruelle dont des hommes sont capables sur des enfants. Certains de ces enfants ont été placés à Marie Madeleine de la Croix. La plupart des victimes ont été violentées par des membres de leur famille et selon nos sources, « la violence physique ou sexuelle sur les enfants n’est pas inexistante à Rodrigues. Les victimes sont silencieuses. Personne ne parle. Les coups sont acceptés. On ne parlera que lorsqu’on a atteint le summum de la violence ».

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