Semaine de quatre jours, Maurice est-elle prête ?

Alors que le télétravail s’est largement répandu depuis le Covid-19, la réduction, non pas des heures de travail, mais des jours de travail, convainc de plus en plus d’entreprises en Europe. Entre avantages divers cités par celles-ci d’une part et les inconvénients de l’autre, comment appréhender une telle démarche dans le contexte mauricien ?

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Partageant son point de vue sur cette proposition du gouvernement, le président du Mauritius Labour Congress, Haniff Peerun, estime qu’il y a beaucoup de points à éclaircir du fait de la nouveauté du concept. Il cite à titre d’exemple le paiement des heures supplémentaires et le boni de présence et craint que « certains droits acquis soient abolis ». Ne se positionnant ni en faveur ni contre la semaine de quatre jours, il considère qu’il serait bon de l’introduire à titre expérimental dans certaines entreprises dans un premier temps pour une évaluation et des ajustements de mise. S’il n’écarte pas les nombreux avantages liés à cette formule, il revient sur la nécessité d’une table ronde avant son application.

Adilla Diouman-Mosafeer, HRM consultant et fondatrice de Talent Lab Mauritius, se dit favorable à l’introduction de la semaine de quatre jours à condition que des études soient menées au préalable au sein de chaque entreprise. En effet, prévient-elle, ce n’est pas un concept One Size fits All. Il ne faudrait pas foncer tête baissée. Si elle reconnaît que l’employé pourra avoir un week-end de trois jours, elle rappelle qu’il aura à travailler de longues heures. Certes, concède-t-elle, « le concept est susceptible d’apporter un sense of ownership aux employés permettant à l’entreprise d’être davantage performance driven ». Parmi ses craintes, toutefois : le risque que la main-d’œuvre se détourne davantage de certains secteurs préférant un emploi offrant plus de Worklife Balance. Elle se demande par ailleurs : « A Maurice, sommes-nous prêts ? ».

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Mubarak Sooltangos, Strategy Consultant et auteur de Business Inside Out, se positionne pour sa part férocement contre cette proposition. « Faire comme l’Europe, qui perd sur tous les fronts depuis une décennie, n’est pas une recette gagnante. L’état d’esprit asiatique est de travailler dur pour gagner plus », affirme-t-il. Pour lui, c’est une pure utopie que d’espérer extraire 20 % de productivité journalière en plus d’un employé sur une base permanente. Il étaye ainsi son analyse : Produire 20 % en plus par jour de manière continue est en lui-même un stress additionnel. En définitive, il dira qu’une économie émergente ne peut se permettre ce luxe.

HANIFF PEERUN (syndicaliste) : « Beaucoup de points à éclaircir »

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Le gouvernement s’est montré, à travers le Finance Bill 2023, favorable à la semaine de quatre jours. Êtes-vous en faveur de cette expérience ou non, qui se multiplie de plus en plus en Europe ?

Le Finance Bill 2023-24 a fait provision pour la semaine de quatre jours de travail. C’est un phénomène assez nouveau. Certains pays européens l’ont essayé depuis l’an dernier. La Nouvelle-Zélande a commencé en 2020. Ce projet concerne seulement le secteur privé.

Il est bon de faire ressortir que ce ne sera pas quatre jours de travail mais cinq jours de travail répartis en quatre jours. C’est optionnel. Il faut un accord entre employeurs et employés et un préavis de 48h avant de commencer le travail de 4 jours.
Puisque c’est un concept nouveau, il y a beaucoup de points à éclaircir. Quels seront ces quatre jours ? Est-ce que le jour de repos sera au milieu de la semaine ou à la fin ? Il faut des éclaircissements. Par ailleurs, s’il y a un accord entre employeurs et employés, quelle est la durée de l’accord ? S’il y a des inconvénients avant l’expiration de l’accord, que se passera-t-il ?

Les défenseurs de la semaine de quatre jours mettent en avant l’idée de travailler mieux pour produire mieux, soulignant de nombreux bénéfices : meilleur équilibre entre le travail et la vie familiale ; plus grande motivation des employés, productivité en hausse, moins de stress, moins d’arrêt maladie. Les plus sceptiques craignent une exploitation des travailleurs étrangers, une formule pas applicable à tous les secteurs…

Il y a certes des avantages comme des inconvénients. Il faut donc une bonne préparation.

Il serait bon, dans l’idéal, de l’introduire à titre expérimental dans certaines entreprises et faire une évaluation après un certain temps pour analyser l’impact tout en apportant des rectifications là où cela s’avère nécessaire.

À première vue, le concept est attirant pour les employés. Mais, le nombre d’heures de travail reste le même, 40h par semaine, soit 8h par jour. Si on doit répartir 40h sur 4 jours, cela fera 10h par jour. Si le corps humain est habitué à travailler 8h par jour et qu’il est subitement appelé à effectuer 10h, il y aura une répercussion sur la santé mentale et physique : plus de fatigue et plus de stress.

Il y a certes des avantages mais aussi des inconvénients. Pour nous, la sécurité et la santé des travailleurs sont primordiales. La sécurité de l’entreprise aussi est importante.

Parmi les avantages, l’employé a un jour de repos additionnel et peut faire ses courses et d’autres démarches et passer plus de temps en famille.

Mais, avec la cherté de la vie, est-ce que ce jour additionnel n’encouragera pas des employés à chercher un petit boulot pour arrondir ses fins de mois ? Dans les pays qui l’ont introduit, les heures de travail n’ont pas augmenté. En Espagne, par exemple, on a ramené 40h de travail à 32 heures sur quatre jours. L’employé travaille toujours 8h par jour et pas plus.

La productivité souffre dans ce cas…
L’employé travaille mieux. Ensuite, il faut tenir compte des conditions climatiques. En été, par exemple, avant même de commencer à travailler, l’employé est déjà fatigué. Maintenant, s’il est appelé à travailler 10h, il ne sera pas productif. De l’autre côté, il faut un équilibre entre activité professionnelle et vie privée.

Y voyez-vous un danger potentiel pour certains employés qui seraient contre cette formule ?
C’est sûr qu’il y aura exploitation des travailleurs étrangers parce que le but de ceux-ci est de gagner de l’argent pour envoyer à leur famille. Il faut ainsi que le ministère s’assure qu’il n’y ait pas d’abus.

Que craignez-vous avec cette mesure ? À quel niveau la mise en application risque d’avoir des répercussions négatives ?
Je ne pense pas qu’il y ait de dangers potentiels car il doit y avoir un accord entre l’employeur et l’employé avant d’aller de l’avant avec ce plan. Je suis convaincu que beaucoup d’entreprises ne seront pas partie prenante de cette formule. D’ailleurs, ce n’est pas une obligation mais une option s’il y a accord entre les deux parties concernées. Je pense aussi qu’il faut une campagne d’explications aux travailleurs par rapport à toutes les implications liées à ce système. Par exemple, comment faire le paiement des heures supplémentaires et le boni de présence. À quelle heure commencera le travail de 10 heures ? Est-ce que le travail finira à 19h ? Il y a plusieurs points à éclaircir. Les employés eux-mêmes ne seront peut-être pas en faveur de cela.

La semaine de quatre jours n’est pas applicable à tous les secteurs comme l’hôtellerie qui connaît déjà une pénurie de main-d’œuvre…
L’hôtellerie, les grandes surfaces, les secteurs manufacturier, pharmaceutique, voire médical, entre autres, ne pourront pas appliquer cette formule. Tout ce qui est nouveau n’est pas nécessairement beau. Certes, les employeurs auront moins de dépenses – il y aura une réduction des frais d’électricité, d’eau, de Travelling, etc.

Il faut par ailleurs tenir compte des répercussions potentielles sur la santé des employés avec un bouleversement de leur vie au quotidien. Les parents ont l’habitude de récupérer leurs enfants à telle heure, préparer le repas du soir. De plus, si leur jour de repos coïncide avec un jour férié, il perdra un jour où il aurait pu toucher double, voire triple parfois.

Les employés peuvent voir certains de leurs droits acquis être abolis. Il ne faut pas oublier que chaque jour de 8h de travail comporte des moments de pause.
À première vue, cela semble être dans l’intérêt des travailleurs. Mais, idéalement, les heures de travail ne devraient pas être revues à la hausse avec cette formule. Les 40h doivent être ramenées à 32 h comme en Espagne. Il faut savoir travailler mieux.

Le dernier mot ?

Je ne suis ni pour ni contre. Laissons la décision aux employés. Ceux-ci doivent avoir toutes les informations. Il faut une table ronde avant l’implémentation.

Lire l’intégralité de cette article dans l’édition du Mauricien du jeudi 11 août

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