(Reportage) Terrain privé au Morne : mobilisation policière conséquente pour évacuer des familles

Un nouveau cap a été franchi hier. Une maison de familles squattant les terres appartenant à Le Petit Morne Ltée a été détruite par la police, exécutant un Eviction Order de la Cour. D’autres familles choquées ont signé un accord de principe. Des logements sociaux pour les habitants de la localité affectés sont promis.

Le fracas du métal se pliant sous les coups de la grue jette un froid parmi les badauds. Clency Faron se trouve toujours en haut de sa case en tôle. Ce mercredi, le père de famille de 44 ans n’a pu sauver que quelques feuilles de tôles de la toiture, achetées après avoir contracté un emprunt. Toutefois, vers 11h20, la patience des officiers de la force policière est arrivée à bout.

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L’ordre d’éviction de la Cour doit être respecté. Clency Faron n’a plus le choix : sa famille doit désormais libérer l’espace de quelques mètres carrés qu’elle squatte sur les terres privées de Le Petit Morne Ltée, au pied de la montagne à l’arrière du village du Morne. « Aster ki nou pou al kone kot nou pou ale », confiera-t-il plus tard au milieu des décombres, abritant jusque-là ses deux enfants de sept et quatre ans, et son petit enfant né il y a une dizaine de jours.

La SSU délimitant la zone d’accès tandis que la tractopelle détruit case en tôle et casiers.

« Nous ne faisons que respecter l’ordre de la Cour », expliquent les officiers des différentes unités de la police sur le terrain. Après deux tentatives échouées de déloger des familles, soit en février et en mars, la police a cette fois misé gros. Car cela fait « longtemps » que les locaux ont été avisés de quitter les lieux.

Des éléments de la Special Support Unit, armés de matraques et de boucliers anti-émeutes, de la MARCOS, armés jusqu’aux dents, de la Dog’s Unit, de même que des officiers de différents postes de police ont été appelés en renfort à travers le Writ 3281. Quatre familles seulement sont visées ; un ciblage qui suscite une multitude de questions parmi les locaux.

La veille, les rumeurs d’une opération conséquente ont agité les habitants de cette localité. « Je n’ai presque pas dormi », relate Nancy Turin, une veuve de 28 ans, qui vit seule avec ses deux enfants en bas âge dans une des bicoques concernées par l’ordre d’éviction. Tous savaient que ce jour arriverait, mais un fébrile espoir demeurait quand même.

Les badauds sont restés à l’écart de l’action face à la centaine de policiers mobilisés

« À l’époque sur ces terres, nous avions été autorisés à planter du manioc et des patates. Tou ti gagn bout pou ka’av manze pou nou viv », se rappelle Lucienne Albert, 76 ans. Elle garde un œil sur les enfants placés sur un matelas au milieu de l’herbe, alors que le ronronnement de la tractopelle se fait imperturbable.

Les habitants comprennent : l’ordre de la Cour sera respecté quoiqu’il advienne. Depuis décembre, la justice a statué que les terres appartenaient au Petit Morne Ltée, mettant en situation d’illégalité la cinquantaine de familles installées sur les 43 arpents. Certaines d’entre elles ont accepté un accord auprès des propriétaires de ces terres.

À l’instar des familles Eole et Botte, prises de court pour le moins dire. Abasourdie et épuisée, Nancy Turin s’avance vers les deux huissiers qui se sont présentés à sa porte, escortés par la police et des gardes du corps privés , dont la présence a failli provoquer des dérapages. Quatre personnes sont attendues pour signer un accord de principe qui, dans les grandes lignes, annonce la construction de logements sociaux pour les habitants du village, de même que des projets d’agriculture.

Officiers de différents poste de police, Dog’s Unit, Marcos…

« La propriétaire Agathe Desvaux de Marigny est disposée à allouer 2 arpents de terrain pour des projets de résidence sociale », avance l’huissier privé, soulignant que l’accord vise à mettre fin à tout litige. Le document est détaillé en kreol aux concernés. « Tou saki pe dir mwa, nanye pa pe rant dan mo latet », lâche la mère de famille, après avoir signé d’une main tremblante l’accord sur lequel a été inscrit son nom et son numéro de carte d’identité.

Louis Désiré Botte, venu vers la fin des explications, aurait apposé sa signature sans rien avoir entendu ni lu. Voire même compris, semble-t-il. « Bann-la inn servi santaz, inn met presion », regrette Yoni Auguste, du Kolektif Vilaz Morne, qui a défendu pendant des années la présence des descendants d’esclaves sur ces terres.

« Telefonn Agathe, demann li si Faron inklir dan sa Agreement-la », lance un des huissiers aux policiers, quelques minutes avant de libérer les lieux. Pendant ce temps, la famille Faron s’affaire à ranger chez un voisin les objets les plus importants, réfrigérateur, machine à laver et matelas, posés dans l’herbe par les gardes du corps, participant à l’éviction.
Vers 12h53, d’épais nuages gris recouvrent la montagne alors qu’un vent inquiétant charrie quelques gouttes d’eau. « Du moment qu’ils ont détruit une maison, c’en est fini », lâche un proche, dépité du manque de soutien des habitants de la localité.

La nuit dernière, la famille Faron l’a passée éparpillée parmi des proches, dont la doyenne de la famille et une tante. Aujourd’hui, elle doit sans doute se demander si elle pourra, un jour, construire son propre chez-soi.

Des gardes du corps privés participant à l’opération d’évacuation. La police leur a permis d’approcher de la maison des Faron à cet effet.

Chronologie des évènements

8h : rumeurs que la police « pe sorti plin pe vini »
8h35 : les unités sont « kot laplenn » et au poste de police de La Gaulette
9h15 : des habitants en colère se mobilisent dans une ruelle
9h20 : une voiture est placée à l’entrée du terrain pour « blok pasaz »
9h44 : deuxième passage d’une voiture banalisée transportant des policiers
9h46 : les unités arrivent par bus et jeeps
9h53 : elles investissent les terres
9h55 : un habitant ramasse des pierres avant d’être stoppé dans son élan
10h19 : arrivée de la tractopelle
10h30 : les Faron commencent à ramasser leurs affaires
10h45 : des gardes du corps privés débarquent
11h20 : premier coup de grue sur leur case en tôle
11h53 : huissiers escortés par la police et les gardes du corps privés
11h59 : l’huissier appelle quatre noms, seuls trois sont présents
12h10 : accord de principe signé
12h15 : la police, les huissiers et les gardes du corps quittent les lieux
12h53 : les affaires des Faron sont rangées chez des voisins


Agathe Desvaux de Marigny injoignable à hier soir

Les tentatives en vue de joindre Agathe Desvaux de Marigny, directrice de Le Petit Morne Ltée et propriétaire des 43 arpents de terre, sont restées infructueuses à hier soir. Dans une lettre adressée à lemauricien.com en 2019, la société explique avoir, en 1986, « acquis un terrain situé derrière le village du Morne et ce, en vertu d’un titre de propriété dûment enregistré au Volume 1702 No.82. Le 7 juillet 2015, un ordre de la Cour suprême a été émis contre plusieurs personnes, dont Yoni Auguste, les enjoignant « d’évacuer le terrain du Petit Morne Ltée (serial no. 2016/2014), reconnaissant ainsi les droits de notre Compagnie sur le terrain en question ».
De son côté, Yoni Auguste confiait hier avoir fait face à neuf affaires en Cour dont quatre pour Contempt of Court ».

Suivi : Agathe Desvaux de Marigny : « Le projet proposé est un plan de développement social intégré »

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