Triolet : Développement au ralenti et… laisser-aller

Au marché central : des odeurs pestilentielles flottent tellement dans l’air qu’on se croirait dans une porcherie ! Les pénuries d’eau encore et toujours La consommation de drogue pèse sur le quotidien d’un village vanté naguère pour sa qualité de vie

Une atmosphère bon enfant et une situation géographique stratégique font de Triolet l’un des villages les plus fréquentés du pays. Certes, divers projets infrastructurels implémentés dans le village au cours de ces 20 dernières années sont venus combler les lacunes exprimées par les villageois, sauf que cela tend à occulter d’autres réalités beaucoup moins reluisantes qui sautent pourtant aux yeux et détonnent, comme l’état déplorable dans lequel se trouvent le bazar, les sites sportifs et récréatifs. Les sempiternelles pénuries d’eau et la prolifération de la drogue synthétique sont des phénomènes qui sont aux antipodes de ce que de nombreux habitants ont connu plus jeunes. Pour arriver à ces conclusions, on a non seulement sillonné le village, mais aussi, par souci d’éthique, donné la parole aux habitants et aux commerçants qui se sont exprimés pour la plupart à visage découvert et sans langue de bois.

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Le village de Triolet a été nommé après Elsa Triolet, née Ella Kagan, une femme de lettres et résistante française d’origine russe, née le 12 septembre 1896 à Moscou et décédée le 16 juin 1970 à Saint-Arnoult-en-Yvelines en France. Elle est également connue comme la compagne et muse du grand poète français Louis Aragon. L’importance du lien social, des contacts entre tous les habitants, de la convivialité et de l’amitié rendent la vie si agréable dans ce village qui est considéré comme le plus long de l’île avec ses sept kilomètres de traversée, au détour des champs de cannes, marchands de légumes, de pooja shops et des parfums d’encens.

Triolet, le théâtre de nombreuses fêtes religieuses hindoues et traditions.
Rats et moustiques
Le temple, sur la route menant à Trou-aux-Biches, est un véritable chef d’œuvre à visiter et encore plus captivant lors des fêtes. Les vacanciers sont nombreux à s’y rendre. La clientèle touristique, en revanche, se réduit comme peau de chagrin au marché central, où le problème du mauvais entretien du système de canalisation et des drains est à l’origine d’une odeur nauséabonde qui prend à la gorge et se répand tout plus particulièrement du côté des étals consacrés aux fast foods. Des odeurs pestilentielles tenaces flottent tellement dans l’air qu’on se croirait dans une porcherie ! Un vent de révolte souffle au bazar, inauguré en juin 2007.

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Ce n’est pas faute d’avoir alerté le Conseil de District à maintes reprises. C’est du moins ce que nous a confié Nitin Ramessur, marchand de gâteaux piment et autres fritures. « C’est le mauvais entretien, voire la rupture des systèmes archaïques de canalisation, de drain et d’évacuation d’eaux usées du bâtiment qui sont à l’origine de ce flot. Certaines voies d’évacuation ont été comblées par du béton. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai interpellé l’inspecteur et les conseillers du District Council. Il s’en lavent les mains », soutient notre interlocuteur. Pour saisir l’ampleur de cette terrible anarchie, il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur l’amoncellement de déchets qui jonchent les quatre coins du site, où des odeurs tenaces piquent les narines, à nous donner la nausée.

On n’ose imaginer ce que doivent ressentir ou sentir les maraîchers lorsqu’il pleut abondamment. Cette accumulation d’eau fétide et de détritus, on s’en doute bien, favorise le pullulement d’insectes et autres bestioles, à l’instar des rats et des moustiques. Sauf que les politiques n’en ont cure. Présent aux côtés de Nitin Ramessur, le conseiller de l’opposition Prakash Manaroo a la dent dure envers les conseillers de district et leur « incapacité de réduire l’échelle du marasme qui prévaut au bazar », dit-il. « Je lance un vibrant appel aux conseillers de district. Ressaisissez-vous ! On ne peut pas tolérer que le seul site où les villageois et les touristes peuvent se retrouver autour des mille et une facette du village peut ainsi sombrer dans la honte. Cela fait plus de six mois qu’il n’y a pas eu de pest control », ajoute Prakash Manaroo. Les locataires du bazar sont d’autant plus frustrés qu’ils doivent faire face à la concurrence déloyale des marchands ambulants qui, non seulement rodent autour du site, au nez et à la barbe des autorités, mais l’arpentent carrément pour écouler leurs marchandises.

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« Mo zanfan pe fim sa kouyonad-la »
On ne peut passer sous silence l’état lamentable dans lequel se trouve le jardin d’enfants jouxtant le bazar. Certes, la conversion en juin 2019 d’un jardin d’enfants à l’abandon, sis vis-à-vis du cinéma Anand, en un Multi Use Games Area (MUGA), ou encore la construction, en cours, au coût de Rs 255 millions, du futur gymnase multisport moderne du village sont des initiatives forts louables qui méritent d’être soulignées. Sauf que Triolet occupe une vaste superficie et pour que tous les habitants aient les mêmes facilités adéquates, des efforts doivent être faits dans l’entretien et la modernisation de certains sites récréatifs et sportifs. « Les clôtures menacent de céder. Des balançoires, qui n’ont pas été remplacées depuis des lustres, il ne reste plus que les structures. N’est-il pas le moment de donner un coup de neuf à ces infrastructures qui ont été érigées de manière incohérente, défigurant son aspect de lieu de détente ? » soutient Prakash Manaroo à propos dudit jardin d’enfants. Les amas d’immondices qui parsèment ce lieu public ajoutent une touche d’insalubrité à la tristesse des lieux.

L’urgence de doter les quatre coins du village de facilités sportifs et récréatifs est d’autant plus impérieuse que la prégnance du trafic et de la consommation de drogue pèse sur le quotidien d’un village vanté il n’y a pas si longtemps pour sa qualité de vie et aujourd’hui « gangrené » selon les propres mots des habitants. « Lontan ti ena o-mwin 25 lekip football dan Triolet. Zordi ena zis kat », affirme le conseiller Prakash Manaroo. Nous avons rencontré Rajeenee, dont le fils, pourtant un féru du ballon rond, fume de la drogue synthétique. Elle confie son impuissance à le ramener sur le droit chemin : « Si ti dir mwa ena 3-an ki Triolet pou ariv sa staz-la lor ladrog e ki mo zanfan pou fim sa kouyonad-la touletanto, zame mo ti pou krwar. C’est un bon footballeur. Mo pa konpran. Il n’est pas encore arrivé à un stade où il commence à voler mon argent, mes affaires ou user de la violence, mais lorsque je lis les journaux et que je regarde les infos, je me pose la question de savoir si cela ne m’arrivera pas bientôt. »

Vent debout contre le casino…
Au-delà de la flambée de la drogue, les riverains et les commerçants qui craignent l’apparition de la violence ainsi que de la prostitution qui accompagnent souvent les jeux de hasard. À la route Royale se dresse depuis plusieurs années un casino autour duquel s’attroupent des individus louches qui font la manche de manière agressive. Manifestement, le fléau persiste, vu le sombre tableau dépeint par les habitants et les commerçants qui disent vivre un calvaire à cause du ballet incessant des voitures et motos dotées de dispositifs d’échappement non homologués et produisant un vacarme assourdissant.

S’il y a bien une chose qui caractérise les habitants de Triolet, c’est leur propension à se serrer les coudes et de passer des paroles aux actes lorsqu’il s’agit de se prémunir de certains fléaux. On en veut pour preuve l’intransigeance affichée par les travailleurs sociaux, habitants et commerçants face aux veilléités du principal actionnaire de People’s Turf PLC et promoteur de SMS Pariaz Ltd, Jean-Michel Lee Shim (JMLS), d’exploiter un casino, le deuxième à la route Royale, dans le village. Leur dévouement a valu son pesant d’or dans cette décision du conseil d’interdire au promoteur de prendre ses quartiers dans un bâtiment qui abritait naguère des magasins de prêt-à-porter.
Eau secours !

A-t-on encore besoin de gloser sur les problèmes d’eau qui sont monnaie courante depuis quelques années à Triolet ? Oui, car ce sont des centaines de familles qui souffrent de ces coupures à répétition qui ont empiré depuis trois ou quatre ans. Elles évoquent non seulement les promesses électorales de l’approvisionnement 24/7, qui n’étaient finalement que « de la poudre aux yeux », mais également les projets orchestrés par la Central Water Authority (CWA) et le ministère de tutelle en vue de réduire les coupures d’eau, qui n’ont visiblement pas donné les résultats escomptés. Ce sont les petits quartiers qui pâtissent le plus de la pénurie du précieux liquide. Des quartiers tels que Trois Boutiques, près de la clinique Stella Maris, 7e Mille et 9e Mille font partie des espaces les plus touchés, avec plus de 50% de la population exposée à un stress hydrique extrême.

« J’habite à 9e Mille, dans une ruelle ou les tuyaux sont perforés à chaque fois que des véhicules passent dessus. Nous sommes 50 habitants à pâtir de ce problème. Faute d’avoir eu une écoute attentive de la part de la CWA, j’ai dû débourser de ma poche pour acquérir un tuyau de raccordement pour être connecté au réseau principal de distribution. Ce n’est plus possible. On méprise une partie du village. J’implore la CWA de prendre contact avec nous », confie Rajesh Chummun.

Le changement climatique et la croissance démographique dans le nord sont souvent cités comme les causes principales de la crise de l’eau que nous connaissons aujourd’hui et au rythme actuel, la réalisation des objectifs de développement durable au sujet de l’eau est loin d’être sur la bonne voie. En réalité, ni le climat ni la démographie ne sauraient expliquer à eux seuls cette terrible réalité. Ce constat révèle une nouvelle fois les inégalités d’accès aux services publics dont sont victimes ces zones comparativement à d’autres endroits huppés où les morcellements poussent comme des champignons.

« On vole mes légumes »
Les riverains sont d’autant plus révoltés que les besoins en eau ne se limitent pas aux besoins domestiques, car une centaine de familles vivent de l’agriculture à Triolet. Devant son potager mal en point, Malini attend avec une impatience non dissimulée que l’eau coule de son robinet. Un calvaire auquel elle est confrontée depuis des lustres. Comme si ça ne suffisait pas, elle est contrainte de vendre ses légumes à même le sol sur le trottoir, car « ça fait plus de cinq ans que le député et ministre Soodesh Callichurn a promis aux vieux planteurs qu’on aurait un bâtiment pour qu’on puisse opérer. Je suis une vieille personne. Kouma mo pou fer pou deplas mwa ziska bazar ? » Triolet n’est pas épargné par le phénomène des vols de légumes et de fruits sur les plantations qui défraient la chronique sur la toile pour les raisons qu’on connaît. « Des kilos de légumes sont minutieusement dérobés des plantations tous les mois. Pa fasil sa », ajoute Malini.

Une municipalisation des grandes agglomérations rurales telles que Triolet, Goodlands, Flacq et Mahébourg peut-elle rendre justice à leur niveau actuel de développement ? Questionnés à ce sujet, de nombreux habitants se disent favorables à cette proposition qui doit s’accompagner, disent-ils, à plus d’incitations à l’implantation d’entreprises dans des zones peu développées afin de créer des emplois de proximité.

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