VIH/SIDA: Des troubles à mettre en lumière

Le dimanche 20 mai, des bougies seront allumées en hommage aux personnes décédées des causes liées au VIH/SIDA et en signe de solidarité envers ceux qui vivent avec le virus. Ces dernières années, il y a certes eu des progrès dans la lutte, mais le sort des personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH) est loin de s’améliorer. La stigmatisation et la discrimination subsistent. Si les soins sont gratuits, la prise en charge des malades laisse à désirer. Nombreux sont ceux qui se laissent mourir à cause de cela. Pour eux, “regar la sosiete pli dir ki maladi la”.
Les bougies qui seront allumées dimanche à Maurice et dans d’autres parties du monde apporteront la chaleur de l’espoir à nombre de personnes infectées ou affectées par le VIH/Sida. En quelques années, l’International Aids Candlelight Memorial est devenu une manifestation quasi sacrée pour les militants et les membres du public. Un moment pour exprimer leur soutien, dire leur solidarité vis-à-vis de ceux qui sont affectés par le virus et rendre hommage aux personnes décédées des causes liées au VIH/sida.
L’ensemble des actions menées dans ce domaine a contribué à améliorer la situation vers plus de tolérance, de compréhension et de connaissance. Les choses ont certes évolué, mais des dysfonctionnements importants demeurent. Certains sont si graves qu’ils sont mêmes fatals. C’est pour dénoncer cela que des personnes vivant avec le VIH, approchées par Scope, ont accepté de monter au créneau pour se faire entendre et rappeler les vraies priorités du jour aux membres du public, décideurs et militants associatifs.
Nos intervenants ne peuvent s’empêcher de déplorer les manquements à divers niveaux, dont le manque de compétences de certains, les détournements de fonds par certaines organisations qui disent militer contre le VIH/sida, l’absence d’encadrement et de soutien aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH), dont beaucoup n’ont même pas de quoi se nourrir. Ce qui pousserait certains à se laisser mourir en arrêtant leur traitement, souligne Dhiren Moher, président de l’association Vivre +. Pour lui, si le care and support auquel tout patient a droit était fait selon les règles, il n’y aurait pas de problème. Or, plusieurs personnes “n’ont ni de quoi se nourrir ni les moyens pour se déplacer. Comment vont-ils suivre leur traitement ?”
Accompagnement.
Dhiren Moher n’est pas le seul à faire ce constat. Den Ramsamy de l’association Midas, Noormamade Peerbuccas du groupe Tann nou lavoi, ainsi que Bijaye, Mamad, Christina, séropositifs, déplorent également ce manque d’encadrement, “alors que des millions de roupies sont investies dans la problématique du VIH/sida.” Ils déplorent la stigmatisation et la discrimination qui perdurent, et la liste de morts qui ne cesse de s’allonger, en dépit des traitements disponibles. Ils pointent du doigt ces ONG “qui se font de l’argent sur le dos des PVVIH au lieu de leur offrir l’encadrement voulu”. Ces ONG seraient de plus en plus nombreuses. La lutte contre le VIH permet à certaines d’acquérir une notoriété et d’obtenir des facilités financières, dont ne profitent pas les patients.
L’association Vivre + en est consciente. Ce regroupement de personnes vivant avec le VIH compte dénoncer les situations douteuses, en alertant les bailleurs de fonds. Pour eux, il est trop facile de dire que certaines PVVIH ne suivent pas leur traitement comme il faut, alors qu’il est offert gratuitement. On omet ainsi de dire que le traitement a des effets secondaires assez lourds à porter, encore plus si le patient n’a pas une bonne alimentation.
“Il y a comme un vide après la prise des médicaments”, s’insurge pour sa part Den Ramsamy. Il estime que les patients ne sont pas assez informés des effets secondaires qui accompagnent les traitements antirétroviraux. Certains se sentent abandonnés et préfèrent tout arrêter. Il leur faut un accompagnement psychologique et psychosocial.
Dysfonctionnement.
Mais le dysfonctionnement du système de santé ne se limite pas à cela. La situation est encore plus compliquée si le patient est co-infecté par l’hépatite C (VHC). À Maurice, à cause des drogues injectables, la plupart des usagers se trouvent dans cette situation, alors que le VIH et le VHC ne sont pas spécifiques à cette communauté et touchent l’ensemble de la population. Le gouvernement mauricien a cependant décidé de ne pas traiter les personnes vivant avec le VHC en raison du coût du traitement. Des personnes séropositives sont ainsi traitées aux antirétroviraux tandis qu’on les laisse mourir d’hépatite.
Interrogé à ce sujet, le National Aids Secretariat a déclaré à Scope que le traitement contre le VHC pourrait prochainement être dispensé si le financement est trouvé. Aucune garantie ne peut cependant être donnée, et l’on sait que le gouvernement a toujours fui cette question.
En début de semaine, nous avons eu droit à une énième manifestation pour dire non à la présence d’un centre de distribution de méthadone dans une région. Introduit dans le pays il y a quelques années pour réduire les risques de propagation du VIH/sida à travers l’utilisation de seringues souillées, ce programme vise à la réhabilitation et à la réintégration des toxicomanes, dont plusieurs sont également porteurs du VIH/sida.
Mais cette distribution, même si elle a fait ses preuves, est loin de plaire à tout le monde. Le programme de substitution à la méthadone n’est pas appliqué comme il se doit. Ainsi, l’encadrement qui devrait permettre aux patients de se reprendre en main n’est presque pas fait, ce qui rend souvent inefficace le traitement.
Move regar.
La réinsertion des ex-toxicomanes et celle d’anciens détenus posent aussi problème. D’une part, leur état de santé précaire ne leur permet pas d’effectuer des travaux lourds. D’autre part, beaucoup de portes leur sont fermées à cause de leurs antécédents avec la justice. Certains se posent la question : à quand une révision de la loi autour du certificat de moralité ? Faute d’un travail, certains sombrent dans l’oisiveté, la solitude ou meurent en silence.
D’où le plaidoyer de Bijaye : “Sa move regar la sosiete-la fer nou plis dimal ki malad limem. Sida, se enn malad kouma tou malad. La sosiete bizin sanz so regar lor malad la.” Il est rejoint par Christina, qui dit vivre dans une profonde tristesse depuis qu’elle a appris sa séropositivité. “Mo strese bokou. Sa fer moi dimal kan mo al lopital, bann-la per pou tous moi. Kouma mo bann kamarad, zot met nou dan enn kwin. Nou dimann dimounn pa ayir nou pou seki nou ete. Nou bann imin kouma zot.”
La stigmatisation et la discrimination subsistent en dépit de toutes les campagnes d’information et de prévention menées. Den Ramsamy, Bijaye, mais également Benoît Lebon, enseignant et responsable de l’organisation Youth Alive, estiment que ces campagnes devraient être soutenues par des rencontres sur le terrain avec la population. Pour Bijaye, les campagnes d’affichage sont “enn gaspiyaz”, alors que Den Ramsamy soutient qu’il est difficile d’évaluer si elles ont porté leurs fruits. Benoît Lebon constate que les affiches font réagir, et c’est tout. “À Maurice, chacun interprète trop les choses à sa façon. Il faut vraiment aller vers les gens pour leur expliquer un visuel”. La polémique ridicule autour du mot “fesses” pour une publicité concernant une marque de couches ne lui donne pas tort.
Action.
Selon le responsable des programmes à Youth Alive, l’absence d’une bonne éducation sexuelle dans les établissements scolaires est aussi à déplorer. Les portes de certaines institutions secondaires sont fermées à son association, les responsables ne faisant jamais appel à elle pour des programmes de formation sur le VIH/sida. Son expérience sur le terrain lui fait dire que beaucoup d’enseignants disposent d’informations sur le VIH/sida, mais qu’ils sont peu à avoir été formés sur le sujet. Certains ignorent son mode de transmission ou ont une connaissance approximative des termes liés au VIH/sida.
Ce dimanche 20 mai au Caudan Waterfront, des bougies vont encore être allumées à la mémoire de ceux qui sont morts du VIH/sida et pour donner l’espoir à ceux qui vivent avec la maladie ainsi qu’à leurs proches. Après cinq ans de commémoration à Maurice, l’heure n’est plus au discours mais à l’action. Il est aberrant que l’on puisse encore laisser mourir des personnes du VIH/sida alors que les soins sont disponibles.

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