World Press Freedom Day 2023 : Face à la désinformation, la revalorisation du métier

L’Université de Maurice, en collaboration avec l’Australian High Commission, a organisé un National dialogue in the context of World Press Freedom Day 2023 sur la thématique Countering disinformation: ensuring an open and transparent infoscape. Le colloque a ainsi réuni les principaux acteurs locaux du secteur, dont la Data Protection Commissionner Drudeisha Madhub, Jean-Luc Mootoosamy, executive director de Media Expertise, et les différents représentants de la presse locale, dont Bernard Delaître, directeur du groupe Mauricien Ltée, Ashok Beeharry, Desk Coordinator à la MBC, Iqbal Khan, journaliste de La Sentinelle, et Prem Sewpaul, du Défi Media Group. Au terme de près de trois heures de discussions, les personnes présentes ont signé un “pledge on countering disinformation”, afin d’assainir davantage le paysage médiatique local.

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Trouver des solutions, voire les pistes à suivre pour contrer la désinformation et la diffusion de Fake News dans les médias, mainstream ou en ligne. Tel était l’objectif du colloque organisé lundi à l’université de Maurice. Une occasion par ailleurs de réunir sur une même plateforme les différents acteurs du secteur, dont des journalistes, ceux qui légifèrent et ceux qui consomment quotidiennement ce flux d’informations, que ce soit dans la presse écrite papier ou la presse Web.

L’Australie est confrontée au problème de désinformation depuis ces cinq dernières années. Aussi la chargée d’affaires de l’Australian High Commission, Keara Shaw, a affirmé l’engagement du gouvernement australien dans la promotion de bonnes pratiques au sein des médias. « La désinformation a un impact néfaste sur la démocratie. Il est important de régler le problème », dit-elle.

Dans cette même optique, le Dr M. Davis, Research Fellow du centre for Media Transition à l’University of Technology de Sydney, est intervenu à distance sur le cas australien, citant à titre d’exemple la diffusion de fausses nouvelles dans les Mainstream Medias sur le conflit russo-ukrainien ou encore sur les incendies. Il a ainsi expliqué que ce genre de nouvelles non vérifiées et diffusées sur les réseaux sociaux peut être néfaste à la fois pour les médias elles-mêmes, mais surtout pour la population, qui finit par perdre confiance.

N. Makgato, Executive Director d’Africa Check, a pour sa part présenté le cas africain, expliquant l’importance de Fact Check les informations qui circulent. Il a aussi évoqué le cas de la couverture médiatique des élections en Afrique. Les deux intervenants ont ainsi abondé dans le même sens, affirmant qu’il est important d’éduquer davantage les populations sur ce phénomène de désinformation et sur la nécessité de vérifier les informations qui leur sont présentées.

Méconnaissance de nos lois

Sur le plan local, Trilok Dabeesing, de l’Information and Communication Technologies Authority of Mauritius (ICTA), et Drudeisha Madhub, Data Protection Commissioner, ont abordé l’aspect légal de l’information et de sa diffusion à Maurice sur des plateformes étrangères. « À ce jour, nous avons reçu une cinquantaine de plaintes, mais la plupart concernent essentiellement des Abusive Contents, et pas nécessairement de la désinformation », a-t-il dit. Il a par ailleurs expliqué que même si l’ICTA demeure un Regulatory Body pour le secteur des TIC, l’autorité n’a pas de pouvoir d’investigation pour pouvoir prendre les actions nécessaires contre les utilisateurs délictueux ou pour agir face aux plaintes reçues sur les réseaux sociaux, par exemple.

Même son de coche du côté de la Data Protection Commissioner, qui elle aussi ne peut pas “prosecute” dans des cas d’abus. « Je suis triste de voir à quel point les gens à Maurice ne connaissent pas les lois en vigueur », explique-t-elle d’emblée. Elle a ainsi rappelé que le rapport Data and Protection to the Media existe depuis 2019, et qu’il y est clairement expliqué comment contrecarrer les effets de la désinformation dans le contexte local. Elle a ainsi mis l’accent sur l’urgence de faire collaborer davantage les gens du secteur pour régler ce problème, de même que sur l’importance de conscientiser la population sur la question.

« Back to Basics »

Si du côté des autorités, l’on a parlé du besoin de collaborer davantage entre gens du secteur, Jean-Luc Mootoosamy a pour sa part mis l’accent sur le besoin de soutenir davantage les Mainstream Medias, soit la presse traditionnelle. Face aux flux souvent incontrôlables et incontrôlés d’informations sur Internet, qu’elles soient fausses ou bonnes, il soutient qu’il est l’heure de remettre les pendules à l’heure et de go back to basics.
Avoir une presse de référence permettrait ainsi de résoudre en partie le problème de perte de confiance du lectorat local dans la presse, dans son ensemble. « Sur les réseaux sociaux, il n’y a pas de ligne éditoriale, il n’y a pas de compte à rendre. Tel n’est pas le cas pour les groupes de presse », dit-il. Il est également persuadé de la nécessité de revaloriser la profession et de le rehausser, et ce, dans l’intérêt du public avant tout. « Il faut par ailleurs une Proper Media Literacy », propose-t-il.

Dans le deuxième panel de discussions, c’était au tour des principaux acteurs du secteur d’intervenir. Iqbal Ahmed Khan, journaliste de La Sentinelle, a ainsi rappelé que le problème de la désinformation n’est pas récent, et qu’il a même toujours existé. « Nous l’appelions auparavant de la propagande et elle était utilisée justement par des groupes de presse politiques », fait-il comprendre.

Répondant à une question de l’Associate Professor Roukaya Kasenally sur les bonnes pratiques mises en vigueur au sein de La Sentinelle pour lutter contre la désinformation, il a expliqué qu’il est nécessaire d’avoir dans chaque salle de rédaction des journalistes ayant une « legal literacy et une politicial history literacy ».

Les nouveaux enjeux financiers de la presse

C’est aussi dans ce sens qu’a abondé le directeur du groupe Mauricien Ltée, Bernard Delaître, qui a avancé que l’atout des salles de rédaction demeure les journalistes eux-mêmes.

« Nos meilleurs Fact Checkers sont nos anciens journalistes et nos rédacteurs en chef qui, eux-mêmes, ont une meilleure connaissance du métier et du terrain », a-t-il dit.
Rappelant la culture journalistique bien ancrée du groupe, Bernard Delaître a ainsi expliqué que le problème de désinformation concerne essentiellement les réseaux sociaux, car la presse écrite, elle, reste bien structurée, et, surtout, bénéficie de plus de temps pour traiter une nouvelle.

« Un journal papier se fait en 24 heures. Tel n’est pas le cas pour l’information sur les réseaux sociaux. Cependant, nous préférons rater une information que de prendre le risque de nuire à la réputation du journal », fait-il comprendre. Il a également parlé des nouveaux enjeux de la presse, notamment financiers. « Nous n’avons jamais eu autant de lecteurs et, parallèlement, autant de problèmes financiers », fait-il comprendre.

Prem Sewpaul, du Défi Media Group, a de son côté mis l’accent sur le côté subjectif de la désinformation, expliquant que le problème auquel le groupe a à faire face, c’est le ressenti et les témoignages à chaud des auditeurs, par exemple, et qu’il est souvent impossible de vérifier une information en quelques secondes avant de la diffuser en direct.
Ashok Beeharry, de la Mauritius Broadcasting Authority, a quant à lui expliqué que les journalistes sont formés pour à la fois Debunk et Prebunk une fausse nouvelle , et ce, encore une fois dans l’intérêt du public.

Au terme des discussions, la majorité des représentants des groupes de presse ont conclu que pour la survie du secteur, et ce, dans les meilleures conditions possibles, il faut investir davantage. Si quelques-uns ont évoqué la possibilité d’un soutien financier de l’État, d’autres ont exprimé leurs inquiétudes par rapport à cette proposition, qui pourrait créer une relation de dépendance malsaine.

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