En Afrique du Sud, une enclave afrikaner hors du temps aux portes de Pretoria

Derrière les barrières, une enclave prospère et hors du temps. A trente kilomètres à l'est de la capitale Pretoria se dresse Kleinfontein, une communauté afrikaner fermée rassemblant environ 1.500 descendants des premiers colons européens, les Boers.

En ce jour de fête agricole, les têtes blondes qui se mesurent au tirage de corde et à la course en sac ravivent les clichés du passé aux tons sépia du veld - les grands espaces sud-africains.

Ici, les habitants se cooptent sur une base ethnique, linguistique et religieuse après vérifications et entretiens de motivation.

Mais cette colonie est en bisbille avec la métropole de Pretoria qui considère ses constructions illégales. A un moment sensible pour le gouvernement sud-africain, qui tente d'apaiser le président américain Donald Trump et sa hantise d'une prétendue persécution des Blancs.

"Pour devenir membre, votre apparence doit être celle d'un Afrikaner mais on n'utilise pas le mot race, on ne l'utilise pas plus comme critère", explique à l'AFP un père fondateur de l'enclave, Jan Groenewald, numéro deux de l'organisation néo-nazie AWB jusqu'en 1989.

C'est de cette frange Afrikaner de la population que sont issus les dirigeants qui ont instauré l'apartheid, système de ségrégation raciale ayant privé la population noire, très majoritaire dans le pays, de la plupart de ses droits de 1948 à 1994.

Gardée et autosuffisante, l'enclave offre une promesse de prestation de services et de sécurité que ne peut proposer le reste de l'Afrique du Sud, en proie aux inégalités les plus exacerbées.

- "Mêmes valeurs" -

Suné Jansen van Rensburg a emménagé il y a trois ans avec ses parents, après un "home-jacking" à Pretoria que sa mère a interrompu en tirant sur les intrus.

Mais pourquoi Kleinfontein plutôt qu'une des innombrables résidences fortifiées alentour? "Autour de la maison, je veux que mon enfant côtoie des personnes partageant les mêmes valeurs que moi", explique cette enseignante en devenir de 21 ans, dont le beau-frère avait grandi dans l'enclave.

A Kleinfontein, le monde est petit et les habitants peu soucieux de l'agrandir. A côté de la pelouse où jouent les enfants, Driaan Beyers, 23 ans, rôtit un agneau à la broche.

Ce garçon solide, désolé de ne pas trouver les mots exacts en anglais, a passé presque toute sa vie ici. Ses parents y ont emménagé vingt ans plus tôt. Il y a désormais sa propre maison sur la parcelle familiale où il vit avec sa femme Roemane, connue sur place.

C'est en 1990 que les fondateurs ont acquis ce morceau de terre dont l'histoire leur était chère: les Boers affrontèrent les troupes britanniques sur le promontoire de Kleinfontein en 1900.

L'enclave a compté jusqu'à 1.700 habitants avant d'en perdre à la suite de conflits internes.

Une héritière poursuit d'ailleurs Kleinfontein, constitué en société par actions, afin d'obtenir 2,18 millions de rands de compensation (environ 100.000 euros) pour la maison de son père décédé, faute de pouvoir la revendre. "Elle est en désaccord avec leur définition restrictive du peuple afrikaner", explique à l'AFP Daan Schoeman, avocat de cette femme dont le père était un des "premiers acheteurs".

- Hommage à Charlie Kirk -

Disant rejeter la violence politique et les meurtres de l'AWB, Jan Groenewald l'a quitté lors de la transition de l'apartheid à la démocratie, sans renoncer à l'idée d'un Volkstaat, un Etat afrikaner.

Kleinfontein est le fruit de cette réflexion: "Si des gens occupent des terres en grand nombre, il est impossible de les forcer à les quitter", expose l'ex-militant, 79 ans.

Reste qu'ils ne constituent qu'une infime fraction des Afrikaners, estimés à environ 2,6 millions des 62 millions d'habitants de l'Afrique du Sud en 2022.

L'enclave bataille par courrier d'avocats avec la métropole de Pretoria, qui lui ordonne depuis août de faire entrer en conformité ses constructions, considérées illégales.

La métropole n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Le président adjoint de Kleinfontein, Dannie de Beer, l'accuse d'imposer des "taxes punitives" à l'enclave pour des motifs "politiques", accusant le Congrès national africain (ANC, au pouvoir) de "donner des gages à la gauche radicale" avant les élections locales de 2026,.

Son opposition au parti de Nelson Mandela remonte à loin. Etudiant à Pretoria, il perturbait ses meetings avec sa bande, formée de Frans de Klerk, fondateur d'Orania - une autre enclave de nostalgiques de l'apartheid dans le centre désertique du pays -, et Kallie Kriel, leader du groupe identitaire Afriforum.

Comme à Orania, un buste d'Hendrik Verwoerd, Premier ministre considéré comme l'architecte de l'apartheid, trône à l'entrée de Kleinfontein, qui a organisé un hommage à l'influenceur ultraconservateur Charlie Kirk le jour de ses funérailles.

"Peut-être qu'on ne s'est pas développés aussi rapidement que le reste du monde", observe le président du conseil d'administration Rian Genis. "Mais on aime que les choses restent comme elles étaient."