Activités nautiques et pêche – Saint Brandon : alerte rouge sur l’écosystème

Pêche sportive et kitesurf pratiqués au détriment de l’habitat des oiseaux et tortues de mer

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Des demandes pour la création d’une aire marine protégée rejetées

La photo d’un requin pêché et exhibé avec ses « prédateurs » présumés sur les réseaux sociaux lève un coin du voile sur la situation à Saint-Brandon. Cet archipel de 28 îlots situé à 450 km au Nord-Est de Maurice fait l’objet d’une absence de contrôle autour des activités qui y sont organisées. Pêche sportive, kitesurf et plongée sont quelques-unes des activités proposées aux touristes par des prestataires locaux depuis quelque temps. Sans compter les bateaux de pêche qui y font escale. Or, Saint-Brandon est l’un des derniers sanctuaires encore vierges de la République, avec un écosystème très riche. Les amoureux des lieux tirent de fait la sonnette d’alarme sur les dangers qui guettent l’archipel et invitent les autorités à réagir. Et de manière prompte!

Avec ses bancs de sable blanc, ses nombreuses espèces d’oiseaux, les tortues de mer et les raies, qui se baladent dans le lagon, Saint-Brandon est vendu comme une destination paradisiaque. Sauf que cette image pourrait en prendre un sacré coup si rien n’est fait pour mettre un frein aux pratiques peu respectueuses de l’environnement terrestre et marin. Il y a une semaine, la photo qu’un groupe d’amateurs de pêche s’exhibant avec un requin d’environ 800 livres a provoqué la colère des internautes. Mais ce n’était là que la partie émergée de l’iceberg. Il n’y a qu’à visionner des vidéos sur YouTube par ceux qui y proposent des activités pour se rendre compte à quel point la tranquillité ainsi que la faune et la flore de Saint-Brandon sont menacées.

Dans l’une d’elle, on voit des personnes, parties pour y faire du kitesurf, plonger pour ressortir avec des homards, dont certains de petites tailles. Le même enregistrement vidéo montre des occupants du bateau s’amusant à taquiner un requin en accrochant un poisson au bout d’un bâton pour essayer d’attirer le prédateur. Mohamedally Lallmamode, du Syndicat des pêcheurs, qui fréquente les lieux pour ses activités professionnelles, témoigne que Saint-Brandon est devenu un endroit où ne règne aucune loi. « Il n’y a aucun contrôle de ce qui se passe ici. Ceux qui viennent à Saint-Brandon pour le kitesurf ou d’autres activités touristiques font ce qu’ils veulent et où ils veulent. Il n’y a aucun lieu délimité pour pratiquer le kitesurf, par exemple. De plus, je me demande si ceux qui viennent pour le kitesurf, par exemple, ont un permis pour pêcher ici, comme ils le font. C’est presque du hors-la-loi »

S’il y a bien un poste de la National Coast Guard à Saint-Brandon, Mohamedally Lallmamode confie que les éléments qui y sont postés (trois au total) ne disposent pas des moyens nécessaires, voire rudimentaires, pour assurer la surveillance. « Que peuvent-ils faire à trois personnes ? En plus, ils n’ont même pas les moyens pour sortir en mer et voir ce qui s’y passe. » Il se demande également comment les autorités avaient pu faire détruire les cases des pêcheurs, pour des raisons environnementales, il y a quelques années, alors que là, on ne semble pas se soucier des dégâts, qui peuvent être irréparables, causés à l’environnement.

Alain Langlois, de l’association Les amis de Saint-Brandon, rappelle avoir soumis une demande depuis très longtemps en vue de décréter les lieux aire marine protégée. Mais le gouvernement n’a pas réagi jusqu’ici. « Il est temps de réglementer ces activités. À notre niveau, nous avons mis sur pied l’association comme une démarche personnelle en vue de s’engager à respecter les lieux. Ceux qui y ont adhéré s’engagent à respecter un cahier des charges, qui comprend par exemple de ramener ses déchets. Il y va aussi de la responsabilité de tout un chacun. Quelle était l’utilité par exemple de tuer ce requin ? N’était-ce que pour se faire photographier et démonter sa puissance ? »

Ce qui est le plus révoltant, ajoute Alain Langlois, c’est que le requin a été laissé éventré sur la plage par la suite. « On n’a même pas pris la peine de le remettre à l’eau », déplore-t-il. Il ajoute que si un tel incident s’était produit aux Seychelles, il y aurait eu des poursuites au criminel et des peines sévères appliquées. « Les personnes auraient même été interdites de mettre les pieds sur l’île. Mais à Maurice, on ne fait rien. Ce qui est aussi révoltant, c’est que quand ces personnes vont pêcher du côté des Seychelles, elles savent quoi faire et ne pas faire, mais à Maurice, parce qu’il n’y a pas de loi, on se permet de faire n’importe quoi. »

Alain Langlois se montre également sarcastique : « Si on n’est pas capable de contrôler ce qui se passe à Saint-Brandon, à 400 km de Maurice, que va-t-on faire avec Les Chagos, qui se trouvent à 1 600 miles nautiques ? À Agalega, il n’y a plus rien dans le lagon, on a tout pillé. J’espère que le nouveau ministre sera interpellé et qu’il se souviendra qu’il y a un endroit qui s’appelle Saint-Brandon. »

Responsabilités du citoyen

Alain Langlois, qui a été General Manager de Saint-Brandon pendant plus de 20 ans pour le compte de Raphaël Fishing, se dit conscient qu’on ne peut tout surveiller à Saint-Brandon. Il souhaite cependant que le gouvernement vienne de l’avant avec une législation pour créer une aire marine protégée. « Il y a beaucoup de petits îlots, dont certains sont très éloignés, et le poste des gardes-côtes se trouve dans le nord. Comment faire pour surveiller 40 km de plage ? Il faut être réaliste. Raison pour laquelle je dis que le citoyen doit être avant tout responsable. Nous avons tous commis des erreurs dans le passé, moi compris, mais nous ne pouvons dire aujourd’hui que nous ne sommes pas au courant de la nécessité de protéger l’environnement et les espèces marines. Nous sommes presque harcelés par ces informations chaque jour. Même les enfants sont au courant. »

L’année dernière, une demande de permis EIA de la compagnie Silver Cruise pour qu’un de ses paquebots de luxe, le Silver Discoverer, accoste dans l’archipel avait été vivement contestée par plusieurs organisations. Les risques liés à la dégradation de l’environnement avaient été évoqués. Devant la pression, le ministère de l’Environnement avait finalement cédé, refusant d’octroyer ledit permis. Cela veut-il dire pour autant que ce genre d’activités n’existe pas dans l’archipel ?

Mohamedally Lallmamode témoigne qu’il y a bien des catamarans et autres bateaux qui s’arrêtent à Saint-Brandon. « On est au courant pour ceux qui demandent le permis. Mais qu’en est-il de ceux qui ne le demandent pas ? Qui va contrôler cela ? Il y a des îlots qui sont éloignés et personne ne sait ce qui s’y passe. »

De plus, ajoute ce dernier, les plaisanciers ne subissent pas de contrôle strict comme les pêcheurs. « Nous, quand nous quittons Maurice pour aller pêcher, nous devons passer par l’immigration. Il nous faut un permis en bonne et due forme pour pouvoir pêcher à Saint-Brandon. Sans compter qu’il y a un “close monitoring” de nos prises. À notre retour, nous devons aller au port pour déclarer nos prises. » En revanche, il se pose des questions concernant ceux qui y vont pour des activités touristiques. « Qui leur a donné l’autorisation de pêcher des homards là-bas ? Y a-t-il un contrôle lorsqu’ils reviennent pour savoir ce qu’ils ramènent dans leurs bateaux ? Qui sait si on ne ramène pas des tortues de mer également ? Il y a actuellement un pillage à Saint-Brandon et l’environnement est en train de souffrir. Il faut un cadre légal pour contrôler tout cela. »

Dans sa contestation du permis EIA du Silver Discoverer, Alain Langlois avait suggéré un état des lieux de Saint-Brandon. Le dernier rapport est celui de la Banque mondiale réalisé en 1997. Alain Langlois souhaite l’élaboration d’un plan approprié pour, d’une part, protéger l’écosystème et, de l’autre, identifier des lieux précis où des activités nautiques peuvent être pratiquées.

Le projet de la MWF tombe à l’eau

Raphaël Fishing détient un bail permanent sur 13 des 28 îlots composant Saint-Brandon. En 2016, la compagnie avait initié un plan de conservation et de restauration des îles, avec la collaboration de la Mauritian Wildlife Foundation (MWF) et deux experts étrangers. Toutefois, les autorisations nécessaires à cet effet n’ont pas été obtenues puisque les autres îlots ainsi que l’espace marin sont sous le contrôle du gouvernement. Dans son rapport, la MWF rappelle : « St Brandon Archipelago has a native wildlife assemblage that is unique within the Republic of Mauritius. The perception that the islands have bountiful resources has caused it to suffer from ‘the tragedy of the commons’. To the extent that there is a perception that fisheries can be harvested ad-infinitum, the seabird and turtle poaching can be disregarded, and the islands are robust, which are all incorrect. »

L’Ong ne manque pas de souligner que Saint-Brandon est l’un des rares endroits de la République où les tortues viennent encore pondre sur les plages et où il y a des espèces d’oiseau uniques. Elle insiste sur la nécessité de préserver les lieux.

Qui donne les permis ?

Qui autorise les prestataires à pratiquer la pêche sportive ou le kitesurf à Saint-Brandon ? Nous avons fait le tour de plusieurs ministères pour essayer d’avoir une réponse. D’abord, il faut préciser que c’est le département de l’Outer Islands, passé des Administrations régionales au PMO, qui gère les îles. C’est lui également qui donne les permis pour se rendre à Saint-Brandon. Mais pour quoi faire ? Qui a la responsabilité des activités touristiques ? Au ministère du Tourisme, on indique qu’aucun permis en ce sens n’a été émis par la Tourism Authority. Cependant, précise-t-on, si quelqu’un a un permis pour organiser des activités de kitesurf à Maurice, par exemple, il peut le faire dans n’importe quelle partie de notre territoire.

Au ministère de la Pêche, on fait comprendre que les permis sont octroyés uniquement pour des activités de pêche professionnelle. « La pêche sportive ne tombe pas sous notre responsabilité », dit-on. Dans tous les cas, indiquent les autorités, il y aura une enquête concernant le requin capturé et dont la photo a fait le tour des réseaux sociaux.

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