Johanne Hague, MD de Prism Chambers : « Nous avons vu davantage de redressements fiscaux ces dernières années »

Me Johanne Hague a quitté un cabinet légal bien coté pour se lancer à son propre compte. Après avoir démarré en septembre 2019 avec un seul client, elle a, depuis, relevé le défi en imprimant son propre style. Un choix qui semble porter ses fruits, puisque Prism Chambers commence à se faire un nom, notamment dans le domaine du droit fiscal. Et Johanne Hague incarne l’exemple que les femmes peuvent réussir en traçant leur propre route, avec leurs propres valeurs, peu importe le secteur dans lequel elles évoluent.

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Vous êtes l’une des rares femmes à la tête d’un cabinet d’avocats à Maurice. Racontez-nous pourquoi vous avez quitté le confort d’une firme légale pour vous lancer à votre propre compte, avec les risques que cela comporte…
Je voulais tout simplement exercer ma profession de manière à ce que cela me procure de la joie quotidiennement. Je sais que cela peut paraître assez abstrait, voire un peu “woke”, mais je pense que nous ne réalisons pas – ou peut-être nous oublions délibérément – que nous passons la plupart de notre vie à travailler. Quel est le sens de mon existence si je suis stressée ou malheureuse pendant ces longues heures passées au travail ?
J’avais aussi une vision très précise pour le cabinet que je voulais créer. Ce modèle ne convient sans doute pas à tout le monde, j’en suis tout à fait consciente. Nous sommes des spécialistes; notre structure n’est pas hiérarchique; nous dédions volontairement la majorité de notre temps à tisser des liens profonds avec des personnes que nous apprécions et avec qui nous aimons travailler; nous opérons un modèle qui privilégie la collaboration; nous valorisons le partage gratuit de connaissances; et, surtout, nous ne nous prenons pas trop au sérieux. J’ai commencé à zéro, avec un seul client, en septembre 2019. Cela peut paraître très effrayant, mais l’alternative de ne pas poursuivre mon rêve était bien plus effrayante.

Comment ont été les débuts, notamment dans le contexte du Covid ?
Durant les premiers mois, je pensais que j’avais simplement beaucoup de chance. J’avais toujours suffisamment de travail et les personnes avec qui j’avais établi des relations au cours des cinq années précédentes faisaient appel à moi. J’ai très vite réalisé que j’avais besoin d’un autre collaborateur, et le cabinet s’est étendu de manière organique à partir de là. Nous avons obtenu notre “law firm licence” en 2020 et nous sommes maintenant à six.
La magie d’établir des liens profonds avec des clients que vous appréciez et qui vous apprécient, c’est son effet multiplicateur. Un client heureux mène à dix clients heureux, et ainsi de suite. Dans plusieurs domaines du droit, y compris le droit fiscal, la pandémie a, à vrai dire, mené à une augmentation dans la demande de soutien juridique et fiscal. Compte tenu des pressions que ressentent les autorités fiscales à travers le monde d’augmenter leurs recettes fiscales, nous avons vu plus de redressements fiscaux au cours des dernières années. Et bien sûr, la législation fiscale est devenue plus complexe et la MRA plus sophistiquée. Ce qui requiert un accompagnement plus spécialisé.

Vous cassez les codes en imposant à votre équipe trois heures de fitness par semaine aux heures de bureau et sur le lieu de travail. C’est du jamais vu dans une entreprise, et encore moins dans une firme légale d’ailleurs…
La pandémie a vraiment été le déclencheur. Je me suis rendu compte que bien que je ne puisse pas tout contrôler, je pouvais quand même contrôler ma santé, du moins dans une très large mesure. Nous avons une responsabilité envers nous-mêmes et envers la société de prendre soin de notre santé physique et mentale. Il existe des dizaines de revues médicales qui confirment que l’activité sportive régulière est associée à un niveau réduit de stress, à une meilleure santé cardiovasculaire, à un taux élevé de HDL (ce qu’on appelle le bon cholestérol), à une réduction de la résistance à l’insuline, à une meilleure concentration mentale, et la liste est longue… Donc, pour moi, organiser trois heures d’activités sportives par semaine est un investissement en moi-même ainsi que mon équipe.
L’autre raison pour laquelle j’insiste sur un régime d’activités sportives est liée au fait d’être une femme. En tant que femme, je trouve que la pratique de la musculation transmet un message puissant. Dans le monde des affaires, nous demeurons à ce jour, et malheureusement, dans un environnement dominé par les hommes. La force physique ajoute à notre sentiment de confiance en soi et aussi à notre force intérieure. Je pense qu’un corps fort forge un esprit fort. Au-delà de la santé physique, il y a l’importance que j’accorde à la santé mentale. Animer mon podcast hebdomadaire, Beyond the black letter law, m’apporte énormément de joie. Le podcast représente une plateforme qui permet aux personnes qui m’inspirent de partager leurs idées sur une variété de sujets importants, tant juridiques que non juridiques.

Diriez-vous que les femmes sont généralement bien considérées dans le milieu légal et que leurs compétences sont suffisamment reconnues par leurs pairs masculins ?
La profession est dotée de brillantes avocates. Mais il y en a très peu qui atteignent le sommet. Pourtant, un nombre égal d’hommes et de femmes semble entrer dans la profession. Alors, qu’est ce qui nous échappe ? Ce n’est pas un problème spécifique à Maurice, car nous voyons ce même phénomène à travers le monde et dans tous les domaines de la vie professionnelle. J’ai lu récemment que, pour chaque femme promue à un poste à haute responsabilité, deux femmes quittent leur emploi. Il suffit de constater la démission récente des directrices de YouTube et de Meta, et dans le contexte politique, la Première ministre d’Écosse et celle de Nouvelle-Zélande. C’est profondément regrettable, mais c’est malheureusement la situation actuelle.

Prism Chambers comprend une majorité de femmes. Est-ce un choix ?
Ce n’est pas un choix délibéré. Je plaisante souvent que c’est peut-être mon « unconscious bias ». Je ne suis pas une fan de la discrimination positive et je me suis toujours fait un devoir de recruter une personne en fonction de ses compétences uniquement, peu importe son sexe, son origine ethnique, sa religion ou ses antécédents. Cela dit, je crois qu’au-delà du genre, c’est l’accès à l’opportunité qui est essentiel. Je prends donc la décision consciente d’offrir des opportunités à des personnes qui, comme moi, n’ont pas hérité d’une position de privilège.

Parlez-nous des projets de loi qui tardent à se concrétiser et qui sont pourtant cruciaux pour le pays.
Il y a beaucoup d’activistes vraiment passionnés qui sont sans doute mieux placés que moi pour répondre à votre question. De par mes interactions avec certains collègues et amis, je suis consciente qu’il y a toujours des choses à améliorer en ce qui concerne les droits de l’enfant ainsi que les droits des personnes handicapées. J’applaudis des personnes comme Mokshda Pertaub, dans le domaine des droits de la femme, et le Professeur Armoogum Parsuramen, pour le travail qu’il accomplit inlassablement avec la Global Rainbow Foundation.

La parité homme/femme en politique et aux avant-postes dans le secteur privé, est-ce une utopie ?
Vu la structure actuelle de la société, ma réponse – peut être trop simpliste, certes – est malheureusement oui. Je suis où je suis aujourd’hui grâce au soutien indéfectible de mon époux. La parité au travail commence par la parité à la maison, et la parité dans la société en général. Il y a un très long chemin à parcourir, à Maurice comme à l’étranger.

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Parcours : Spécialisée en droit fiscal, Johanne Hague a travaillé pendant de nombreuses années à Londres au sein du cabinet d’avocats Linklaters LLP et de la banque d’investissement américaine JPMorgan Chase Bank. Sa passion pour la fiscalité se traduit par son dévouement à fournir le meilleur soutien à ses clients dans tous les aspects du droit fiscal. Elle s’appuie sur une grande expérience de la taxe en Grande-Bretagne, à Maurice et dans un certain nombre de pays africains, et conseille régulièrement des entités multinationales et nationales sur les questions fiscales contentieuses et transactionnelles.
L’avocate assiste régulièrement ses clients dans le cadre d’audits, d’enquêtes et d’évaluations par la Mauritius Revenue Authority. Elle intervient aussi pour eux devant l’Assessment Review Committee et la Cour suprême sur des questions liées à la fiscalité.

 

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