Grande distribution à Maurice : Les PME en guerre contre la remise de fin d’année (RFA) imposée par les grandes enseignes

Des fabricants et fournisseurs reversant annuellement à chaque grande surface où sont commercialisés leurs produits une partie de leurs chiffres d’affaires réalisées durant l’année. Ce mécanisme, connu comme la remise de fin d’année (RFA), est sans doute le secret le mieux gardé dans le marché de la grande distribution à Maurice. Calculée en fonction du chiffre d’affaires et du volume de vente du fournisseur, cette remise — ne faisant pas l’objet d’un cadre légal — est de plus en plus contestée par les Petites et Moyennes Entreprises (PME), car la réalisation d’un certain chiffre d’affaires déclenchant la RFA présente un intérêt indéniable pour l’enseigne qui en bénéficie. Or, compte tenu d’un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas les Rs 10 millions chaque année, le petit fabricant n’a pas, contrairement à un grand groupe aux marques incontournables, forcément les reins solides en souffre. Les grandes enseignes favorisant la commercialisation des produits des grandes marques.

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En sus des marges confortables sur les produits vendus dans leurs rayons, les enseignes de la grande distribution bénéficient de la RFA que leur accordent leurs fournisseurs. Cette remise est déterminée selon un mode de calcul librement décidé entre les deux parties. Dans la pratique, le montant est généralement fixé par application d’un pourcentage sur le montant du chiffre d’affaires réalisé par le client dans chaque grande surface au cours de l’année ou sur le volume de vente d’un produit ou d’un service spécifique : jusqu’à 4% du chiffre d’affaires quelle que soit la taille de l’entreprise du fournisseur. Une fois la RFA négociée, il s’agit de l’inscrire de manière minutieuse dans un document d’accord. Or, cette remise ne fait l’objet d’aucun cadre juridique. Une information que nous a confirmée Jayen Chellum, de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM). Selon nos informations, l’introduction de ce système a émergé en 1994, à l’ère de la distribution de masse avec l’implantation de l’hypermarché Continent à Maurice (voir hors texte).

Cette pratique s’est au fil du temps ancrée dans les mœurs du marché local de la grande distribution sans toutefois être régie par quelconque cadre légal. Maurice compterait actuellement un peu plus de 150 hypermarchés et supermarchés. « Je fournis mes produits annuellement à une trentaine de grandes surfaces. En tant que PME qui brasse un chiffre d’affaires de Rs 8 millions par an, je paye des sommes avoisinant les Rs 150 000 à chaque grande surface annuellement. En d’autres termes, je reverse à mes clients jusqu’à 50% de mon chiffre d’affaires global. C’est justement là où le bât blesse, car mes concurrents du même secteur d’activités, qui ont des chiffres d’affaires d’environ Rs 50 millions, reversent à la fin de l’année aux distributeurs des sommes nettement supérieures aux nôtres », nous confie un fournisseur de produit de lessive requérant l’anonymat sous peine, selon lui, de « voir ses marchandises définitivement éjectées des rayons. »

Par conséquent, au vu des chiffres d’affaires colossaux réalisés par les grands fabricants, l’enveloppe supplémentaire octroyée par ces derniers aux distributeurs s’avère beaucoup plus alléchante que celle des PME. « Jusqu’à Rs 5 millions par hypermarché », souligne un représentant d’une PME. En outre, les grandes marques s’engagent très souvent auprès de la centrale d’achat à participer à l’animation commerciale. Il existe trois grandes catégories d’engagement : les têtes de gondole, la publicité, et la promotion sur le lieu de vente. Le rapport de force entre le petit et le grand fournisseur est alors déséquilibré. Certaines grandes surfaces sont ainsi pointées du doigt par les PME du fait de leurs « pratiques abusives et le pouvoir qu’ils exercent sur eux. » Il s’agirait, selon nos sources, d’un système qui consiste à retirer partiellement ou entièrement les produits d’une PME des rayons et privilégier ceux d’une grande marque de manière à faire augmenter le chiffre d’affaires que cette dernière réalise chez cette enseigne.

Le Covid19

À ce petit jeu-là, les PME se retrouvent avec une épée de Damoclès sur la tête qui ne leur permet plus, selon eux, d’entretenir l’espoir de se hisser au rang de grands groupes. « Voilà comment les enseignes de la grande distribution ont bâti des fortunes colossales en un temps record. En sus de devoir leur reverser des millions en guise de RFA, nous payons Rs 8000 à l’ouverture de chaque enseigne et un anniversary budget également.. Nous devons payer nos employés. Ajouté à cela, le spectre du virus Covid19 sur notre tête. Nous demandons au ministre des Coopératives, Sunil Bholah d’arrêter de faire la sourde oreille et de demander au Premier ministre de supprimer cette taxe déguisée qui nuit à notre épanouissement », indique un commerçant de fruits exotiques.

Week-End n’a pu entrer en contact avec le ministre Bholah, mais son attachée de presse nous a donné l’assurance qu’elle a transmis l’information au ministre et que tout sera mis en œuvre pour l’ouverture d’un débat autour de la question. Quant à Jayen Chellum, secrétaire général de l’ACIM, il met en avant le fait que « plusieurs de mes collègues ont déjà soulevé ce point dans le passé et nous avons même fait parvenir plusieurs courriers au National Price Consultative Council. Cette instance doit pouvoir jouer son rôle de chien de garde en ce qu’il s’agit des abus de la grande distribution. Il faut briser les monopoles qui sévissent dans ce secteur. » Jayen Chellum dit comprendre l’exaspération des PME. « Le ministre Sunil Bholah doit assumer ses responsabilités une bonne fois pour toutes en défendant la cause de ces petites entreprises. Des coureurs de marathon à qui on demande de participer à une course de 100 mètres en compagnie des grands groupes. »

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