Les Evangiles, histoire ou fiction ?

REYNOLDS MICHEL

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Nous avons tous lu ou entendu lire un passage des Évangiles dans une église ou dans un temple à l’occasion d’une célébration de mariage ou de funérailles, voire même utilisé une expression évangélique sans le savoir (la paille dans l’œil du voisin ; à chaque jour suffit sa peine…). Des Évangiles, nous connaissons les quatre (Matthieu, Marc, Luc et Jean) qui ont été retenus par les premières communautés chrétiennes. Chacun est attribué à un apôtre ou au compagnon d’un apôtre : Matthieu et Jean, apôtres, Marc et Luc, compagnon respectif de Pierre et de Paul. Rédigés sous des angles différents et dans des communautés différentes, ils nous rapportent diversement les faits et gestes de la vie de Jésus de Nazareth, prédicateur itinérant crucifié par Pilate, en l’an 30 de notre ère.

Certes, ces récits sur la vie du Nazaréen ne constituent, comme nous le savons, que la première partie d’un ensemble plus vaste, nommé Nouveau Testament – ‒un recueil de vingt-sept textes parmi les plus anciens (Actes des Apôtres, lettres de Paul notamment et l’Apocalypse de Jean) , mais ils demeurent la source chrétienne la plus abondante, la plus féconde et la plus utilisée. Ils ont été rédigés en grec et sont apparus entre les années 60 et les années 90, donc historiquement assez proches de la mort de Jésus de Nazareth, une trentaine d’années ou un peu plus pour l’Évangile selon Marc, le plus ancien (1), vers 65. Mais compte tenu de leur spécificité (voir ci-dessous) et faute de pouvoir les confronter à des sources non-chrétiennes, leur véracité a été contestée.

Des témoignages de foi

« Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu », c’est ainsi que débute le récit évangélique de Marc. L’Évangile, à cette époque, n’est pas le livre (le contenant), mais la Bonne nouvelle (le contenu, le message) prêchée, annoncée, proclamée, pour faire des disciples – du latin, evangelium, lui-même dérivé de grec euaggelion, qui signifie Bonne Nouvelle. La couleur est annoncée. Il s’agit pour Marc d’annoncer le commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Nous sommes là devant une proclamation de foi, devant un appel à un « je crois ». Jésus n’est plus seulement le prédicateur annonçant la venue du royaume de Dieu, mais celui qui a été « établi, selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts », comme l’écrit Paul dans sa lettre aux Romains (1,4). Jésus de Nazareth est désormais désigné comme le Christ de la foi (2). C’est, en effet, à la lumière de cette proclamation de foi que la mise en forme de la narration évangélique, orale puis écrite, s’est faite. Autrement dit, les évangiles sont des témoignages de foi au sujet de Jésus. Alors se pose la question : dans quelle mesure les Évangiles sont-ils des témoignages fiables de la vie de Jésus ? Plus précisément : Qu’est-ce qui est historique dans les Évangiles et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Les évangiles sont des témoignages de foi, des souvenirs enrichis de la foi en Jésus Ressuscité. C’est incontestable. Ces récits sont nés et se sont développés dans un contexte de prédication et d’expansion du christianisme naissant et dans des communautés dispersées dans le bassin méditerranéen. Ils sont apparus après la mort de Pierre et de Paul en 65, et pour les récits de Matthieu, de Luc et de Jean après le traumatisme de la destruction du Temple de Jérusalem en 70. Et ce, à une époque où la génération des Apôtres – ‒à part « le disciple que Jésus aimait », principal auteur du quatrième Evangile (celui de Jean) – ‒n’avait pratiquement plus de témoins vivants (Gilles Becquet, Notre Histoire, n° 72, 1990). D’où, sans doute, la nécessité pour les dites communautés d’avoir des écrits faisant autorité pour mieux préserver la mémoire du Maître et des Apôtres et mieux affirmer leur identité face à d’autres courants religieux, notamment face à un judaïsme qui se repliait sur une ligne orthodoxe dictée par les pharisiens.

Historiquement fiable

Ils sont quatre, quatre récits issus des communautés et des traditions différentes. S’ils s’accordent sur de nombreux points – Marc, Matthieu et Luc ont un certain nombre de passages en commun (3) – ils divergent en bien d’autres points. L’Évangile de Jean se distingue des autres par sa tonalité et son originalité dans le langage utilisé. Un exemple de divergence : alors que Jean situe l’essentiel de l’activité de Jésus à Jérusalem ‒ – il mentionne trois fêtes de la Pâque ‒– Marc, Matthieu et Luc ont gardé la mémoire d’une activité publique de Jésus en Galilée se terminant lors de l’unique montée à Jérusalem pour la fête de la Pâque.

Les historiens ont de quoi faire de l’histoire en travaillant ces récits traversés de polémiques, les confrontant au besoin avec les autres textes du Nouveau Testament et d’autres plus tardifs non retenus par les Églises chrétiennes, textes dits apocryphes ‒– l’Évangile de Pierre (120-150), l’Évangile de Thomas (vers 150), le Protévangile de Jacques (150-170) et d’autres (4). On peut déjà dire que si les quatre évangiles relevaient d’une pure fiction, ils formeraient sans doute un ensemble plus unifié et plus cohérent.

Les découvertes archéologiques de ces trente dernières années et les découvertes, en 1947, sur le site de Qumrân d’un corpus de manuscrits (800) datés entre les IIIe siècle avant notre ère et le 1er siècle de notre ère, ainsi que les découvertes des textes de Nag Hammadi en Egypte en 1945, datés entre le IIe et le IVe siècle de notre ère, ont permis de connaître de façon plus précise la diversité du judaïsme au temps de Jésus, de mieux situer ce dernier et les siens dans le cadre juif de leur temps, tout en ouvrant une meilleure compréhension du message du Nazaréen. Les paroles et les gestes de Jésus résonnent parfaitement dans le milieu juif de l’époque.
D’autre part, les résultats des recherches contemporaines montrent que les évangiles, nonobstant leur caractère de témoignages de foi au sujet de Jésus de Nazareth, renferment bien des données historiques sûres, qu’ils sont historiquement assez fiables même si leur préoccupation n’est pas d’ordre historique. On peut même dire qu’à leur manière, les évangélistes ont fait œuvre d’historiens, avec, évidemment, des représentations de l’histoire et du récit propres à leur temps. « Si les Evangiles ne présentent pas l’histoire de Jésus dans toutes ses étapes ni dans son évolution intérieure et extérieure, ils n’en parlent pas moins d’histoire comme fait et événement. Ils en fournissent même d’abondantes données ; cela peut être affirmé hardiment malgré la vulnérabilité historique de tant de paroles et de récits pris isolément », écrit le grand exégète protestant, Günther Bornkamm dans Qui est Jésus de Nazareth (traduction française, Seuil, 1973, p 32).
Résumons.

Les récits évangéliques sont déjà interprétés ; dans certains, le fait parle de lui-même, dans d’autres, faits et interprétations sont intimement liés, dans d’autres encore, l’interprétation a créé le fait, par exemple dans le récit des tentations de Jésus (Matthieu 4, 1-11 ; Luc 4, 1-13), écrit le professeur Gérard Rochais, spécialiste des sciences religieuses de l’Université de Québec. D’où l’importance de caractériser le « genre littéraire » de tel ou tel document évangélique. Pour bien comprendre les Évangiles, il importe de discerner à quels genres littéraires appartiennent les différents textes qui les composent. Quoi qu’il en soit, ce qui importait aux évangélistes, c’était bien de rapporter ce qu’avait fait et dit Jésus de Nazareth, mais plus encore, comme le souligne justement François Brossier, « de faire saisir le sens de ces événements dans la façon même de les raconter ».

Sources

BECQUE Gilles, Au commencement étaient les communautés, In Notre Histoire, n° 72, 1990
BROSSIER François, Les Évangiles ont-ils une valeur historique, In Notre Histoire, n° 72, 1990.
BROSSIER François, Les Évangiles disent-ils vrai ? In Le Monde de la Bible, n° 185, 2008.
PERROT Charles, Jésus et l’histoire, Éditions Desclée, 1979
ROCHAIS Gérard, Jésus : entre événement et fiction, In Lumière et Vie, n° 248, 2000
QUESNEL Michel, Jésus, l’homme et le fils de Dieu, Éditions Flammarion, 2004

Notes

1) La source chrétienne la plus ancienne est la correspondance de Paul. Sa première épître (lettre) aux Thessaloniciens date de l’an 50 ou 51, soit vingt ans environ après la mort de Jésus.
2) Cf. MICHEL Reynolds, Christ de la foi et Jésus de l’histoire, In Presse locale, février 2018.
3) Ils sont dits « synoptiques » parce que leur confrontation sur trois colonnes parallèles fait apparaître des ressemblances précises dans le fond et dans la forme.
4) Cf. MICHEL Reynolds, Apocryphes, Evangiles de l’ombre, In Le Quotidien et Témoignages du 14/06/2006

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