Lokal li vital pou Moris

BRUNO DUBARRY
 Chief Executive Officer
L’Association des Manufacturiers Mauriciens

Il y a plus d’un mois, paraissait une étude sur les fuites économiques et l’économie locale à Maurice. Commanditée par le groupe MCB, l’étude a montré en chiffres ce que l’Association des Manufacturiers Mauriciens et son label Made in Moris communiquent depuis des années : l’intérêt vital de produire à Maurice. Autre point utile : montrer que le localisme n’est pas un choix binaire entre ouverture et fermeture de Maurice, mais un rééquilibrage entre activités locales et internationales.

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À l’évidence, le temps est à faire des choix d’avenir pour les Mauriciens. La même chose ne peut être dite des récentes prises de parole dans la presse sur le cas de l’huile alimentaire. Il y a une méconnaissance de ce qui a fait et continuera de faire la prospérité de notre économie insulaire : un écosystème reposant sur une relation complexe entre différents secteurs d’activité de production, d’importation et d’exportation. S’ils ne sont pas suffisamment traités sous l’angle de l’interdépendance, ces secteurs doivent l’être davantage ; au risque, dans un avenir proche, de mettre à mal notre sécurité d’approvisionnement, la qualité et traçabilité des produits, l’assurance du service rendu, l’engagement durable pour des prix stables, l’emploi et la valeur ajoutée pour toute l’économie.

Songe-t-on suffisamment au fait que les entreprises de production, qui répondent aux besoins de notre marché domestique, forment avec les secteurs auxiliaires nos futurs clusters d’export ? Laisser s’affaiblir leur position sur le marché domestique revient à compromettre leurs chances d’exporter.

L’autre manquement concerne les mesures de sauvegarde sur l’huile alimentaire. L’erreur est de parler de protectionnisme. La faute est de ne pas agir. Il y a moins à perdre pour la population mauricienne à maintenir les conditions d’une production locale qualitative fournissant sans interruption nos foyers et contribuant à augmenter la valeur ajoutée d’autres entreprises exportatrices ; que de laisser en pilotage automatique notre politique industrielle.

Notre industrie d’huile alimentaire a fêté ses 50 ans en 2018 et joue un rôle clé, notamment pour le secteur exportateur du thon. Sait-on que, sur le seul mois de janvier 2019, l’équivalent de 4 mois de consommation d’huile alimentaire a été importé à Maurice ? Cette quantité d’huile est à 98% en provenance d’un seul pays. Est-ce là une dynamique rassurante pour les Mauriciens ; l’assurance de maintenir notre sécurité d’approvisionnement particulièrement dans le domaine alimentaire, que de dépendre d’un pays étranger ? Sait-on qu’à dépendre d’intrants étrangers dans notre chaîne de valeur, nos produits destinés à l’export risquent de réduire encore de valeur ajoutée ? Ce qui contrecarre l’objectif de régionalisation de notre base industrielle.

Si l’on s’intéresse à l’étude “Lokal is beautiful”, notamment sur les scénarios de développement qui maximiseraient les chances de Maurice d’atteindre le statut d’économie à hauts revenus ; plusieurs éléments pourraient nourrir un véritable débat : les nouvelles formes d’entrepreneuriat et la stratégie pour augmenter l’effet multiplicateur(*) de notre économie. Ci-dessous quelques données extraites de l’étude révélant nos vulnérabilités :

Effet ciseaux de l’économie mauricienne

Nos importations de biens et de services représentent 59% du PIB de Maurice, c’est au-dessus de la moyenne des pays à revenu élevé (30%) et même des Petits États insulaires en Développement (54%) dont Maurice fait partie. Le dégât est visible sur l’effet multiplicateur qui a baissé de -35% alors que les revenus internationaux ont augmenté de +225% en 20 ans à Maurice.

Autonomie économique limitée

Si notre demande pour des produits de catégorie Food & Beverages est satisfaite à 69% par notre production locale, l’autonomie économique – en d’autres termes la part de notre production “du champ à l’assiette” (chaque étape de transformation du produit) – est en baisse depuis 20 ans : -7,5 points pour l’autonomie agricole, -4,6 points pour l’autonomie de l’industrie alimentaire, -3,6 points pour l’autonomie en matière d’habillement. Les intrants en provenance de pays étrangers ne cessent de croître dans notre production locale.

Économie qui se carbonise de plus en plus

En 2015, près de 8 millions de tonnes de matières premières ont été mobilisées dans le monde pour répondre aux besoins de Maurice (6,3 tonnes par habitant). En moyenne depuis 1970, pour +1% de PIB à Maurice, c’est +0,93% d’empreinte carbone. Il serait dangereux de continuer à ne pas considérer l’empreinte carbone issue de biens étrangers importés à Maurice.

S’il est évident qu’une production locale reste stratégique pour Maurice et s’avère un gage de réduction de notre empreinte carbone ; il est nécessaire de rappeler qu’accompagner la nouvelle génération d’entrepreneurs destinée à répondre aux nouveaux besoins locaux et à l’export, ne pourra se faire avec un secteur manufacturier sinistré. Le savoir-faire acquis sur plusieurs siècles et ayant été diversifié depuis l’indépendance de Maurice, constitue la fondation sur laquelle notre économie locale a prospéré. Rs 40 milliards chaque année et 50 000 emplois directs. L’industrie locale est une composante essentielle de notre économie et pour un développement régional.

À l’évidence, toute réussite future des industriels locaux a pour point de départ la situation sur le marché domestique. C’est leur principal marché et il demeurera leur principal marché. Par conséquent, la régionalisation de leurs entreprises à travers l’export et l’implantation à l’étranger, dans le but d’accroître progressivement la part du chiffre d’affaires réalisé hors de Maurice, dépendent des conditions d’activité sur le marché domestique. C’est bien d’une étape nouvelle dont nous parlons et qui requiert donc un plan d’accompagnement. C’est précisément ce qu’il manque et qui rend la problématique plus pressante : quelles sont les limites à la résilience de l’industrie locale et de ses secteurs auxiliaires si rien ne change ?

Des études complémentaires seraient utiles. Le temps manque pour cela, il est question de vie ou de mort d’entreprises, de disparition d’emplois et de valeur ajoutée, de baisse continue de l’effet multiplicateur pour l’économie, de déstabilisation sociale.
Il y a bien urgence à faire aboutir des solutions déjà annoncées. À chacun de prendre ses responsabilités : mettre en place la mesure de sauvegarde, agir par l’achat citoyen.

(*) Effet multiplicateur local (étude Lokal is beautiful) : capacité d’un territoire à faire circuler durablement au sein de son économie un certain volume de richesses extérieures.

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