PORTRAIT: Un dallon sur les catwalks italiens

Des amis italiens m’avaient signalé l’existence d’un mannequin italien d’origine seychelloise qui commence à se faire connaître à Rome. Ils ont organisé une rencontre avec ce mannequin qui semble avoir les pieds bien sur terre. Voici le portrait de Christian Tesi, le demi-dallon seychellois parti à l’assaut des catwalks italiens.
Christian Tesi est né à Rome, en Italie, d’une mère seychelloise et d’un père italien. Ce dernier, imprimeur dans une petite ville non loin de Rome, avait rencontré sa future épouse lors d’un voyage aux Seychelles. Séduite par la fille des îles, le bel Italien y était revenu pour l’épouser et l’emmener vivre en Italie, où elle n’arrivera cependant pas à s’adapter. Les parents de Christian se sont alors séparés puis ont divorcé alors qu’il n’avait que cinq ans, et sa mère est repartie dans l’océan Indien. C’est quand il a eu quinze ans que, pour faire suite aux nombreuses demandes de sa mère, Christian décide d’aller vivre aux Seychelles.
« Je suis fils unique et ma mère se plaignait de ne pas me voir assez souvent. Et comme en Italie, comme partout dans le monde d’ailleurs, la « mamma » a un rôle important dans la vie de son fils, j’ai accepté. Je voulais faire plaisir à ma mère, mais je me suis très vite ennuyé aux Seychelles. Si j’avais d’abord vécu aux Seychelles avant d’aller en Italie, cela aurait été probablement différent. Quand je suis arrivé aux Seychelles j’avais quinze ans. J’avais grandi dans une ville, Rome. Je suis habitué aux distances, à la vie urbaine, et je me suis vite senti enfermé dans une île dont on peut faire le tour en moins d’une journée. Je suis un enfant de la ville, pas un oiseau des îles. Il y avait aussi le problème de la langue : j’ai dû me mettre à  l’anglais pour pouvoir aller à l’école polytechnique. Et puis les garçons de mon âge ne m’aimaient pas beaucoup. Avec mon physique différent, avec le fait que je venais de l’étranger, j’intéressais plus les filles qu’eux. Les garçons m’ont rapidement fait comprendre que j’étais différent, que je n’étais pas un Seychellois à 100%. »
Après deux ans passés sous les cocotiers, Christian constate que l’archipel est décidément trop petit pour lui et demande à rentrer en Italie pour vivre avec son père. « Je voulais vivre auprès de ma mère mais, aux Seychelles, ce n’était pas possible. J’avais fait l’effort d’essayer. Elle a compris. Elle est rentrée avec moi en Italie pendant quelques temps, mais elle préférait les Seychelles et je suis reparti vivre avec mon père. » Se sent-il plus italien que seychellois ? « Cela dépend de beaucoup de choses. Je ne suis pas plus italien que seychellois, mais j’ai en moi, dans ma personnalité et mon physique, deux moitiés des deux pays. Mais c’est vrai que je me sens beaucoup plus à l’aise ici et que mon côté italien est beaucoup plus fort. Maintenant je sais que ma vie est ici, en Italie, en Europe, et que les Seychelles, c’est uniquement pour les vacances. » De retour en Italie, Christian reprend ses études et passe une année a rattraper son retard sur le système scolaire italien. Il vient tout juste de réussir son admission dans une institution tertiaire où il entreprendra des études de management.
Comment un demi-dallon seychellois devient-il modèle en Italie ? « C’est arrivé après mon séjour aux Seychelles. Depuis que je suis petit, ma mère dit que je suis beau comme un acteur. Mais toutes les mères disent ça de leurs fils, et ces derniers ne deviennent pas forcément tous acteurs ! Je savais que j’étais pas mal, que je plaisais aux filles. Je l’avais compris aux Seychelles, mais sans plus. J’étais un beau gosse comme il y en a des milliers en Italie. À mon retour, je suis allé passer quelques jours de vacances à Milan, et quelqu’un m’a arrêté dans la rue pour me demander si j’étais un modèle ou si je voulais en devenir un. » Comme ça, comme dans un roman-photo ou un film ? « Cela arrive souvent dans la vie. Surtout à Milan, une des capitales internationales de la mode, où on est constamment à la recherche de nouveaux visages, de nouveaux modèles. Avant de rencontrer ce directeur de casting, je n’avais jamais pensé que c’était possible que je devienne mannequin. Il m’a dit que j’avais un type intéressant qui tranchait sur les blonds aux yeux bleus, les bruns aux yeux noirs ou les blacks, qui sont les types recherchés dans le mannequinat en Italie. Il m’a proposé de faire des photos pour un essai. J’ai accepté, plus pour m’amuser que sérieusement. Ensuite, j’ai envoyé ces photos à une agence et ils m’ont engagé. »
Il faut dire que le demi-dallon ne passe pas inaperçu dans la foule romaine, où les garçons de son âge habillés à la toute dernière mode italienne se comptent par centaines. On se retourne souvent sur Christian, sur cette place de la République à Rome où nous sommes installés à la terrasse d’un café. Il y a de quoi. Avec son mètre 84, son corps musclé et sa coupe de cheveux, il est plus visible que les autres. Et la jeune fille qui l’accompagne, une jolie Croate qu’il m’a présentée comme sa secrétaire et qui est visiblement une fan, semble en perpétuelle adoration devant lui. Avoir un beau physique, c’est bon pour les photos, mais défiler sur les catwalks, c’est quand même autre chose. Cela demande de la préparation, un entraînement, des répétitions, non ? « J’ai appris, et on se prépare avant. Mais, vous savez, même sans penser à devenir modèle, tous les jeunes de mon âge, surtout ici en Italie, sont intéressés par la mode. N’oubliez pas que l’Italie est une des capitales mondiales de la mode, et que nos marques et nos journaux de mode sont des références dans le monde entier. Pour un jeune Italien, suivre la mode c’est comme manger des pâtes. C’est naturel. » Comme manger du riz et du poisson aux Seychelles et dans les îles ? « Exactement. Ça fait partie de notre mode de vie. Nous sommes quelque part des modèles en puissance. Donc je savais à peu près comment faire pour monter et surtout évoluer sur un catwalk. On m’a donné quelques conseils sur la démarche, et souligné qu’il fallait se laisser guider par le rythme de la musique. Et là, ma moitié seychelloise m’a beaucoup aidé : je sens la musique. Après cette première expérience à Milan, j’ai changé d’agence, fait des castings, eu des petits boulots et fait des photos de mode pour des magazines. Depuis cette année, je travaille avec une nouvelle agence et j’ai eu du travail non seulement à Rome, mais également dans d’autres villes italiennes pour quelques marques connues. »
En quoi consiste le métier de modèle ? « Je pose pour des photos, je fais des défilés et je participe à des événementiels. Je viens de faire partie d’un groupe de modèles habillés en robots, qui a participé au lancement du film The Avengers à Rome. » C’est un bon job, modèle en Italie ? « C’est un bon job pour celui qui arrive à entrer dans le milieu très fermé des modèles recherchés. C’est milieu très difficile à pénétrer, parce que vous devez être non seulement bien fait et photogénique, connaître ceux qui comptent dans le métier, mais être en même temps différent des autres. Il faut être différent pour que celui qui fait le casting, où il y a vingt, trente beaux garçons, vous repère tout de suite. Vous devez trancher dès le premier regard et là, c’est le physique, le look, qui font la différence. » Et quelle est la différence de Christian Tesi par rapport aux autres modèles ? « Elle est physique. C’est le mélange italo-seychellois qui me donne un type cubain, latino, mais avec quelque chose en plus. Une peau pas tout à fait mate, des yeux un peu bridés. Il faut également savoir montrer ce que vous avez sous ce physique. »
Les modèles auraient donc une âme, ou ne seraient pas qu’une belle tête sur un beau physique, point à la ligne ? « Nous ne sommes pas des statues ou des machines, mais des êtres humains avec une personnalité. C’est quand on arrive à faire voir cette personnalité que l’on fait la différence et que l’on attire le regard dans un casting. C’est vrai que les vêtements et les accessoires que nous portons sont importants. Mais sans nous, ils n’existent pas. C’est pour cette raison que l’on préfère les mannequins vivants aux mannequins en plastique. Je suis pas mal en photo, mais je préfère le catwalk où je me sens plus à l’aise, surtout avec la musique. Je sens quelque chose : je ne suis pas qu’un porteur de beaux vêtements. » Y a-t-il parfois des demandes de clientes pour revoir un modèle, pour faire connaissance, et plus si affinités, après les défilés ? « Cela arrive. Ce sont en général des femmes âgées aimant bien faire connaissance avec le modèle qui leur a tapé dans l’oeil pendant le défilé. » Accepte-t-il ce genre d’invitation ? « Si la cliente est jolie et bien conservée, je ne dis pas non. »
Quelles sont les caractéristiques à avoir pour être mannequin en Italie ? « Les caractéristiques sont internationales. Pour les garçons, il faut être grand : de 1m84 à 1m88, alors que pour les filles, la taille va de 1m74 à 1m78. Il ne faut pas être trop musclé, mais en bonne forme physique. » Faut-il suivre des régimes pour être toujours en pleine forme ? « Je n’ai pas ce genre de problème. Je fais attention à ce que je mange, sans pour autant faire de régime. Je mange beaucoup de viande blanche et de légumes et fais attention aux pâtes et aux desserts. Ce qui est un peu compliqué en Italie, mais je me débrouille. » Est-ce un métier bien payé ? « C’est un métier bien payé si l’on fait partie des modèles demandés. On peut avoir quelques centaines d’euros par défilé. Mais pour moi, c’est différent : je fais cela plus comme un petit job que comme un vrai métier. » Pourquoi ? N’est-ce pas le rêve de tous les jeunes de l’âge de Christian de devenir un jour un mannequin international ? « Je ne rêve pas de devenir top modèle international. Je ne veux pas me bercer d’illusions, ne croire qu’en ça. Pour le moment, je me concentre sur mes études pour devenir manager en faisant, de temps en temps, un casting ou un catwalk. Mais ma priorité reste mes études. Si j’arrive à entrer dans l’équipe des mannequins demandés, très bien. Mais je sais qu’il faut que j’aie un métier sûr, car la carrière de mannequin ne dure que quelques années. Elles sont très brèves. À moins d’être exceptionnel, passé l’âge de trente ans, on n’est pas beaucoup demandé comme mannequin et il faut penser à faire autre chose. Je prépare déjà cette « autre chose ». J’aurais voulu devenir une star, je rêve de le devenir, mais j’ai les pieds bien posés sur terre. Peut-être qu’un jour un metteur en scène va voir une de mes photos et me demander de jouer dans son film ? Peut-être. Mais je veux être sûr d’avoir un diplôme pour avoir une carrière professionnelle dans le management. Si le modelling me réussit, tant mieux. Je veux toutefois être sûr d’avoir un avenir professionnel stable. Pour le moment, je suis modèle à mes heures perdues et ça marche. Comme je n’ai que 23 ans, j’ai encore quelques années devant moi pour continuer. Mais il n’est pas question d’abandonner mes études pour faire du modelling à temps plein. »
Comme quoi, il a bien les pieds sur terre, le demi-dallon seychellois parti à l’assaut des catwalks italiens.

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