PORTRAIT POSTHUME : Vidya Golam, homme de convictions

« Vidya vient de s’embarquer pour son dernier voyage ». C’est par ce sms que son neveu, Atma Bhuma, fit savoir que Vidya Golam était mort, mercredi de la semaine dernière. Portrait posthume d’un homme de convictions, d’un enseignant et d’un poète comme on n’en fait plus.
Vidya Golam est né en 1958 à la route Bois Chéri, dans la maison où il a toujours vécu. Avant-dernier enfant d’une famille de six, il était le fils du plus célèbre marchand de fleurs de la région de Moka. Tous les enfants Golam ont aidé leur père à travay dan karo pour faire pousser les fleurs qu’il vendait au bazar de Curepipe. Après ses études primaires à l’école de Moka, Vidya fait la première partie de ses études secondaires au collège Trinity, à Rose Hill, l’un des collèges privés réputés de l’époque. Il fera son HSC dans une autre institution du secondaire privé réputé : le collège Bhujoharry de Port-Louis. Très tôt, Vidya se passionne pour les langues, décide de devenir prof d’anglais et commence à écrire. Il fait ses premières armes dans la presse en rédigeant des critiques de films en hindi et en commentant des sujets d’actualité sous un pseudonyme. Plus tard, il sera un correspondant régulier de la page culturelle du Nouveau Militant et publie des textes d’actualité dans divers journaux. Au niveau professionnel, il entame des études universitaires par correspondance tout en continuant à travailler dans les karo de fleurs de son père pour les payer. Après avoir obtenu sa licence universitaire, il est engagé comme enseignant d’anglais au couvent de Lorette de Quatre-Bornes, poste qu’il occupera toute sa vie.
Très vite, Vidya Golam va devenir un enseignant hors pair, un star teacher dans le bon sens du terme. Sa manière d’enseigner, de pousser les élèves à aller au-delà du programme, à comprendre un texte  plutôt qu’à l’apprendre par coeur le poussera à donner des leçons particulières. Il a tellement d’élèves que c’est par classes entières qu’il donne des cours au collège New Eton. Contrairement aux enseignants qui se contentent de faire apprendre un texte, il pratique l’interactivité , avant que ce terme ne devienne à la mode. Ses classes de langues, de littérature et de General Paper obligent les élèves à participer, à s’exprimer, à donner leurs points de vue et parfois même à contredire l’enseignant. Vidya ne se contente pas de donner des cours mais il organise des débats sur des sujets d’actualité, souvent controversables, fait venir des invités pour discuter avec ses élèves. Il était un enseignant qui stimulait ses élèves au lieu de les  brider dans le jeu des questions-réponses et de la méthode facile qui consiste à faire apprendre par coeur.
Nous l’avions une fois interrogé sur ses leçons données à des classes entières en utilisant les termes « business » et  « usine », et il nous avait fait cette réponse : « C’est vrai qu’on peut penser que je fonctionne comme une usine et que je fais du business. Mais ce ne sont pas des ouvriers à la chaîne qui sortent de mes cours, mais des jeunes qui ont appris à penser, à réfléchir et à s’exprimer. Les résultats des examens sont là pour prouver que ma « méthode » fonctionne. »  Les centaines d’élèves qui sont allés lui rendre hommage jeudi de la semaine dernière, en provoquant un embouteillage monstre à Bois Chéri Road, témoignent que Vidya Golam était un enseignant aimé de ses élèves. Ils ne sont pas toujours nombreux, ses confrères, à se retrouver dans cette catégorie.
Vidya Golam ne se contentait pas de faire aimer à ses élèves les grands textes, il lui arrivait d’en écrire, surtout en kreol. Il était naturellement et passionnément  kréolophone, tout en s’exprimant en anglais , en français et même en bhojpuri.  Il publia Cancer, sa première pièce de théâtre, en 1984 et a continué avec des oeuvres dramatiques ou poétiques publiées par l’Edikasyon Pu Travayer. Au niveau politique et bien que né dans une famille traditionnellement travailliste, Vydya était un homme de gauche, dans le sens noble de l’expression. Il a été, à un moment, conseiller puis président du village de Moka.
Bien que n’ayant jamais fait partie des instances du MMM, il était de ces militants critiques qui suivaient l’évolution de la situation, assistaient aux meetings et avaient des débats interminables sur l’évolution de la situation politique et des moves des leaders et de la mainmise de la bourgeoisie d’État sur le pays. Il avait d’ailleurs écrit un magnifique poème satirique sur la politique avec Lonorab Yago, inspiré d’un personnage de Shakespeare placé dans le contexte politique local. Dans une présentation de Lonorab Yago, son auteur avait précisé que l’écriture était pour lui une manière de s’engager. « Je ne veux pas me rendre complice de certaines situations en restant tranquille. Écrire des poèmes et des pièces de théâtre, c’est ma manière de dénoncer certaines situations. »
Marié depuis trente ans à Lolita – une de ses élèves de leçons particulières -, Vidya avait deux enfants, Loviska et Dylan, avec qui il aimait faire des voyages et des croisières. Tout allait bien dans la vie de Vidya jusqu’en 2012, quand il commence à avoir des soucis de santé et commence à faire toutes sortes de tests médicaux.  Il avait un grand frère et une soeur qui étaient morts du cancer du pancréas et il voulait savoir si cette maladie était héréditaire dans sa famille. On l’a rassuré, mais il a continué à faire ses tests. En avril de l’année dernière, on a découvert ce qu’il redoutait : il avait probablement une tumeur au pancréas qui progressait rapidement. En mai, il consulte un spécialiste qui lui demande d’aller tout de suite en Inde dans un hôpital spécialisé. Mais pour ne pas bousculer le programme de ses élèves, il choisit  de finir ses cours du deuxième trimestre et attend un mois et demi avant de partir.
Quand il arrive à Chenai, en Inde, on lui dit que la maladie est trop avancée pour qu’on puisse le soigner et de rentrer chez lui attendre la fin. Il se rend à Delhi à l’hôpital Marie Curie où on lui propose de suivre un tout nouveau traitement, qui bloque l’avancée des métastases sans arriver à détruire la tumeur, que l’on pensait non cancéreuse, mais qui va le devenir quelques mois plus tard. En une année, Vidya se rendra neuf fois en Inde pour se faire soigner, avec plus ou moins de succès, mais son état commence à se dégrader sérieusement au début de cette année. En juillet, il repart pour l’Inde une dernière fois et demande à ses médecins un traitement qui le maintienne en vie jusqu’au mariage de sa fille, fixé pour août. Il revient de ce dernier voyage épuisé et doit être admis en clinique quelques jours plus tard dans un état semi-comateux et on arrête son traitement.
Vingt jours plus tard, à la surprise générale, il se réveille en meilleure forme et demande que sa fille et son futur genre, Kavi Oogarah, se marient religieusement devant lui, à la clinique.  Il aura rassemblé ce qui lui restait de forces pour stopper la maladie, le temps de réaliser son dernier souhait.  Deux jours après, il rentre chez lui, célèbre l’anniversaire de sa femme dans un restaurant le 29 juillet, commence à se préparer pour le mariage qui doit avoir lieu dans la première semaine d’août.  Lundi de la semaine dernière, Vidya commence à perdre conscience et est admis en clinique où il tombe dans le coma.  Mercredi soir, «  il s’est embarqué pour son dernier voyage. »

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