Reluisantes ou pas, les raisons d’une victoire

GILLIAN GENEVIEVE

En 2014, l’auteur de ces lignes, analysant les données à sa disposition, prédisait une victoire de l’alliance PTR-MMM. Il lui était impossible de penser que les choses allaient être autrement. Vu qu’il s’agissait, historiquement, des deux plus grands partis de l’île. Du moins sur papier. La déroute fut cinglante pour cette alliance. Je ne fus pas perplexe, comme le dirait l’autre, mais je reçus une leçon d’humilité.
S’il est nécessaire d’avoir une bonne connaissance de l’histoire politique de ce pays, s’il est nécessaire d’avoir un minimum de savoir et de culture pour effectuer un travail d’analyse, on ne pressent pas les désirs de l’électorat en jonglant avec des chiffres et des concepts mais en allant à la rencontre des gens.

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Être à l’écoute

Cette année, des mois avant les élections, j’ai entamé une démarche très simple : être à l’écoute. Je continuais certes à lire inlassablement les éditoriaux et l’analyse des dits experts mais je cherchais désormais avant tout l’opinion de ceux qu’on entend très peu.
C’est ainsi, il y a quelques mois, que je reçus les confidences d’un vieil homme d’une très grande douceur alors qu’il avait connu son lot de malheurs. Il avait fait tous les métiers possibles : laboureur, pêcheur, restaurateur et même marchand ambulant. Militant convaincu, admirateur de Paul Bérenger, il était déterminé à voter… « pou Pravind ». Il m’expliqua tout simplement que grâce au MSM, il avait désormais une pension qui lui permettait de vivre décemment et il ajouta avec beaucoup de candeur que la baisse des prix du gaz lui avait permis de souffler.

Cet homme, incarnation de la sagesse populaire, était reconnaissant pour un gouvernement qui faisait bien son travail et lui permettait de manger à sa faim. Son analyse se résumait à cela. Mais c’était déjà sans doute cela l’essentiel du ressenti de beaucoup au sein de la population.

Le travailleur acharné

Autre rencontre : celle avec cet homme, travailleur acharné, qui, au quotidien, traverse l’île de Flacq à Rose-Hill en passant par Ébène pour laver inlassablement des voitures afin de nourrir sa famille. Il y a quelques mois, au cours d’une conversation, il m’avoua avec émotion toute sa reconnaissance pour Pravind Jugnauth. Son rêve allait se réaliser. Il n’était pas sûr de pouvoir envoyer son fils à l’université. Mais la décision de rendre l’accès aux universités publiques gratuit venait de changer la donne pour cet homme issu d’un milieu extrêmement modeste. Il me fit la confidence qu’il ne l’oublierait pas au moment de voter.
Pour terminer sur ce volet, j’aimerais évoquer aussi ce jeune père de famille travaillant dans une quincaillerie à plein-temps depuis des années et touchant un salaire de Rs 6700. Son quotidien fut transformé avec le salaire minimum. De Rs 6700, il touchait désormais Rs 9200 et cela faisait toute la différence. Lui, également, n’a sans doute pas oublié cela le 7 novembre…

Le bilan social

Il serait de mauvaise foi de ne pas reconnaître que le gouvernement sortant avait un bilan social. Si pour beaucoup c’était une démarche ‘fer labous dou’, la pension de vieillesse à Rs 5000 au premier abord, le salaire minimum, la baisse du prix du gaz ménager, la gratuité de l’accès à l’université publique, la ‘negative income tax’, dans les faits, tout cela était loin d’être négligeable pour beaucoup. C’était même sans doute l’essentiel.
On peut s’échiner à démontrer le manque de vision économique du gouvernement Lepep, son incapacité à travailler sur les réformes structurelles économiques nécessaires pour l’avenir ou dénoncer son incompétence dans la gestion de nos ressources, tout cela reste une abstraction pour beaucoup. Ce qui compte c’est le concret du quotidien. Et pour beaucoup, on a eu la possibilité de manger plus facilement à sa faim au cours de ces dernières années. Et c’est ce qui compte.
Mais bien sûr le bilan social du MSM est loin de tout expliquer. Il a été déterminant. Mais pour le meilleur et pour le pire, d’autres facteurs ont contribué au succès de L’Alliance Morisien.

Trois événements importants

Il ne faut ainsi pas sous-estimer le feel-good factor et la fierté ressentie par les Mauriciens en relation à trois événements importants durant cette année. Je veux parler ici de la réussite de nos athlètes pendant les Jeux des îles, de la venue du pape dans l’île et de l’inauguration du Metro Express. Dans les trois cas, un même constat : un sentiment de fierté immense, une jubilation collective, un sentiment d’appartenance accrue à un pays qui gagne, qui se développe et qui accueille les grands de ce monde. Que cela soit pertinent ou pas, la possibilité de ces ressentis agréables reste associée à la démarche du gouvernement. Je connais beaucoup qui ont changé de regard sur le régime dans ces moments particuliers.
Mais, moins reluisants, il y a des facteurs contributifs à la victoire de Pravind Jugnauth et de ses troupes qu’on aurait préféré ne pas avoir à en parler ; il n’est cependant pas possible de ne pas les aborder. Pour avoir sillonné l’île, pour avoir fréquenté et observé de très près les choses sur le terrain, nier l’importance de la puissance financière du MSM serait une absurdité.
Par ailleurs, les consciences malheureusement s’achètent aussi à Maurice. Les changements d’allégeance sont souvent affaire de gros sous dans ce pays où l’ancrage et les convictions idéologiques sont volatils voire inexistants.

« Money politics »

La « money politics » fait désormais partie du folklore et cela est dommageable pour la démocratie. Mais, au risque de surprendre, cette démarche n’est pas l’exclusivité des grands partis traditionnels. Il y a divers moyens d’acquérir le vote et les petits ou jeunes partis proclamant faire la politique autrement ne sont pas exempts de ce genre de démarche. Les petits cadeaux et les petits coups de pouce financiers au nom de la solidarité et du coup de main aux habitants des quartiers ne sont jamais tout à fait innocents. Dans l’imaginaire collectif, cependant, cela se résume à : « Linn fer bokou pou ti dimounn et pou landrwa ».
Cela dit, si la démarche est la même, l’étendue des largesses consenties n’est pas comparable. Beaucoup d’argent a été injecté. Aujourd’hui on ne gagne pas si on n’en a pas les moyens. Financiers, cela s’entend. Aux institutions maintenant de faire leur travail pour évaluer si le fair-play financier et la loi tout simplement ont été respectés. Je doute cependant d’un résultat quelconque à cette démarche.
Il y a enfin un aspect sur lequel j’aurais préféré ne pas avoir à en parler. Mais il est important et malheureusement sans doute essentiel. N’en déplaise aux jeunes partis, à la candeur sans doute nécessaire, à l’idéalisme salutaire, le Mauricien reste fondamentalement le même. Il n’a pas beaucoup changé, reste profondément conservateur et se reconnaît encore très bien à travers les partis mainstream. La composition de notre nouvelle assemblée le démontre clairement.

Candidats au profil espéré

Une des raisons pourquoi le Mauricien s’identifie encore aux candidats proposés par les grands partis, c’est que ces derniers leur offrent des candidats au profil espéré. Ce qu’on a appelé communalisme scientifique n’est en fait qu’une résonance de la réalité du pays. La logique communale perdure. Pour des raisons justifiées ou pas, le Mauricien reste convaincu qu’il sera mieux représenté par un membre de sa communauté plutôt qu’un autre. Le phénomène d’identification et de reconnaissance de l’autre comme appartenant au même reste fondamental dans le choix du Mauricien au moment du vote. Qu’on le veuille ou non. Que ce soit à déplorer ou pas.
Leçon politique pour les nouveaux partis : il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées pour faire de la politique ou changer le réel. Il faut déjà connaître ce réel intimement et non pas conceptuellement ou par le biais du fantasme et de l’idéalisme. Les partis qui réussissent sont ceux qui ont des idées, une démarche, des candidats en adéquation avec le contexte historique et/ou les réalités (même celles qui ne sont pas reluisantes) du pays.
Pravind Jugnauth est aussi Premier ministre parce qu’il a le bon profil, que ses adversaires ne l’avaient pas (Paul Bérenger) ou ne l’avaient plus (Navin Ramgoolam, après sa bourde langagière au cours d’une réunion nocturne).
Qu’on le veuille ou non, le Mauricien reste sensible, toutes communautés confondues, à la question de l’appartenance et cela reste un déterminant du vote. Pour être juste envers les Mauriciens, et pour reprendre la boutade d’un ami : imagine-t-on un homme, noir de peau, d’origine franco-sénégalaise, président en France en 2022 ? J’en doute. Le Mauricien n’échappe pas à cette règle encore très ancrée partout dans le monde. Il vote encore ‘pou so bann’. Ce n’est pas un constat pessimiste. C’est juste un constat. Le changement exige du temps. Nous avons encore du chemin à parcourir. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est l’électorat qui l’a décidé ainsi.

L’Île Maurice avant tout

L’auteur de ces lignes n’a pas voté pour la majorité élue. Mais, au nom de la paix sociale et du jeu démocratique, il s’agit d’accepter sans rancœur ni amertume les résultats et de se mettre au travail pour faire face, ensemble, aux enjeux qui nous attendent.
Désormais, et pour les cinq prochaines années, il s’agira d’être vigilant face aux éventuelles dérives de ce régime ou face à ses manquements et les dénoncer quand il le faudra. Mais il faudra aussi et surtout répondre présent, sans sentiment partisan, en tant que Mauricien pour aider et s’assurer que le pays aille dans la bonne direction. Les choses vont être difficiles au cours des prochaines années. On le sait tous.
Alors, pour paraphraser le leader du MMM : l’Île Maurice avant tout.

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