Violence domestique : s’émanciper des coups et du silence

Cinq meurtres de femmes à Maurice et à Rodrigues ont remis la violence domestique en une de l’actualité. “Un problème de société”, a concédé le gouvernement, impuissant en dépit des nouvelles lois et des campagnes de sensibilisation. Sur les réseaux sociaux, les internautes se rassemblent pour tenter d’extirper les victimes de leur silence. Mais malgré les structures mises en place pour la protéger, la femme meurtrie se tait et finit par être tuée. Quelques-unes ont eu le courage de parler et de se libérer. Elles témoignent ici pour aider à vaincre l’horreur.

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Pour la première fois après huit ans, Appamah Emraj ne s’est pas pliée aux coups de son époux. Insultes, gifles, coups de poing, violentes bousculades… Elle n’en pouvait plus. Ni de la violence ni du silence. La naissance de son fils a éveillé son instinct de mère et de survie. Ce jour-là ne sera pas comme les autres. Elle riposte aux coups. Elle le tape. “La police m’a interpellée”, raconte Appamah Emraj, 49 ans. “Je ne saurais expliquer ce qui m’est arrivé. C’était de la colère.” Avec son fils, elle quitte le toit conjugal et se tourne vers SOS Femmes, qui l’épaule.

Ils ont refait leurs vies à Moka. “To pou vinn seleb”, lance l’universitaire de 20 ans à sa mère, d’un air complice. La mère continue : “Il faut beaucoup de courage pour prendre une décision afin de s’en sortir”, concède Appamah Emraj. S’émanciper pour son enfant constitue un véritable défi. “C’était difficile, je ne touchais qu’un salaire de Rs 4,500 et j’avais des dettes. Je priais.”

“San mwa ki to ete ?”
Ils ne sont pas nombreux les victimes de violences domestiques qui parviennent à sortir du cycle mortel. Les entorses à la Domestic Violence Act ressortent quotidiennement dans les rapports de police. En août et septembre, cinq cas de féminicides ont été enregistrés à Maurice et à Rodrigues. Le phénomène a pris tellement d’ampleur que le leader de l’Opposition y a consacré une Private Notice Question à l’Assemblée nationale, le mardi 24 septembre. La ministre de l’Égalité du genre, Fazila Jeewa-Daureeawoo, devait concéder que, malgré les nombreuses mesures prises, la violence domestique représente “un problème de société”.
“To merite”, “San mwa ki to ete twa ?”, “Se akoz mwa ki to la”, “To fami mem inn rezet twa”. Ces invectives, Ambal Jeanne les entend tous les jours dans les témoignages des victimes qui se confient à elle. “Je suis revoltée par ce qui se passe”, confie la manager de SOS Femmes. Ce centre accueille chaque mois une quarantaine de femmes et d’enfants en quête d’un refuge. “On demande souvent aux femmes de rester dans cette relation à cause des enfants, mais c’est traumatisant pour eux.”

Connue pour son combat, Ambal Jeanne a grandi avec un père violent qui battait sa mère. Aujourd’hui mère, elle demande aux autorités de considérer la violence domestique différemment : comme une violation des droits humains. Laquelle n’est souvent pas rapportée, car “ena ankor sa mit ki mari-la pou sanze”, dit Ambal Jeanne. “Mais ce n’est pas vous qui allez le changer; c’est lui qui va le faire quand il l’aura décidé. Les hommes vivent souvent dans le déni alors que les femmes peuvent se libérer.”

Linion Fam.
Pour aider les victimes à se prendre en main, la prévention, la protection et les poursuites s’inscrivent comme des actions préconisées par des associations luttant contre la violence domestique. Cependant, l’une ne fonctionne pas sans l’autre, souligne Ambal Jeanne. “Il faut revoir l’ensemble du système et dépasser tous les aspects sociaux, culturels et religieux pour vivre selon les principes de respect des droits de la personne.” Elle ajoute : “C’est une responsabilité citoyenne. Chacun doit être un agent de la non-violence et porter secours aux femmes en danger.”

À l’ère 2.0, le soutien provient également des réseaux sociaux. D’une page Facebook réservée exclusivement aux femmes pour les aider à parler librement, est né un mouvement : Linion Fam. Le dimanche 22 septembre, une cinquantaine de femmes de toute l’île se sont réunies dans une salle étroite de Cassis pour témoigner. Au terme de cet échange a été dégagé un plan d’action, qui devrait aboutir à une marche, avec la participation des Rodriguaises. Catherine Prosper, survivante de violences conjugales et membre de Linion Fam, déplore le “manque d’accompagnement” pour celles qui souhaitent s’émanciper de leur bourreau. “Quand il s’agit d’aller en cour, l’intimidation du compagnon peut souvent jouer contre la victime. Elle se retrouve dans l’incapacité de se défendre elle-même. L’assaillant s’en sort indemne, avec pour sanction une simple amende à payer.”

Victimes, survivantes et associations s’accordent sur un point : le gouvernement doit s’assurer de l’efficacité du système judiciaire. L’objectif est de garantir une meilleure prise en charge de la violence domestique sur tous les fronts. Autrement, ni la police ni les magistrats ou toute autre autorité ne pourra intervenir efficacement. Au grand découragement des victimes, qui feront de moins en moins de plaintes.

Policiers mis en cause.
L’attitude de la police demeure un facteur déterminant dans l’accès aux services de justice. La ministre Daureeawoo a indiqué que les forces de l’ordre participent aux campagnes de sensibilisation contre la violence domestique. Pourtant, la force policière est mise en cause dans la mort de Shabneez Mohamud, 33 ans, tuée par son époux à Bel Air-Rivière Sèche, le 10 septembre. Après avoir été sollicités par les enfants de la victime, les policiers auraient pris plus d’une heure avant d’intervenir.
D’avoir inscrit la violence domestique comme un délit aggravé passible de prison semble ne pas engendrer l’effet escompté, constatent nos interlocutrices. Le Protection Order est maintes fois violé. “Qu’est-ce qui est fait pour éviter que l’agresseur ne récidive ?” interroge Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links. “Certaines femmes battues retirent leurs charges, et tout est rayé sans aucun suivi.”

Cette carence, l’avocate Deena Bhoyroo la déplore. Elle souhaite que des dispositions soient prises dans les cas où les victimes décident de retirer toutes les charges contre leurs agresseurs. Elle affirme qu’il faudrait faire une enquête pour déterminer s’il n’y a pas eu d’actes de pression ou d’intimidation exercés par l’accusé.

“La loi existe”.
Plusieurs victimes nous avouent qu’elles se retrouvent piégées par elles-mêmes, incapables de quitter leurs époux violents et de vivre sans eux. Se sentant seules, elles n’ont pas le courage de dénoncer leur condition, voire de chercher de l’aide. Le gouvernement a mis en place une hotline (139), disponible 24/7 pour rapporter les cas de violences conjugales. Or, ce numéro n’est pas suffisamment vulgarisé, a relevé le leader de l’Opposition au Parlement.

Pour mieux protéger les victimes, la Domestic Against Violence Act a été amendée en 2016. La nouvelle loi fait également provision pour tous ceux qui habitent sous le même toit que l’agresseur, souligne l’avocate Deena Bhoyroo. “La loi existe. Il faut l’appliquer et il faut que la victime aille de l’avant.”

Selon Statistics Mauritius, le nombre de cas de violence domestique signalés au bureau de la Family Protection Unit est en hausse. Il est passé de 5,104 en 2017 à 5,565 en 2018. Depuis le début de cette année, 1,790 plaintes à la police ont été enregistrées pour violence domestique, menant à 996 arrestations, a indiqué la ministre Daureeawoo.

Anushka Virahsawmy estime que, malgré les mesures et le soutien offert aux victimes, il faudrait effectuer une sensibilisation à partir du préprimaire sur la non-violence et le harcèlement. “Il ne faut pas accepter ces violences”, réclame Appamah Emraj. “Il ne faut pas être comme une esclave dans sa propre maison.”

À quoi sert un Protection Order ?
Cet ordre de la cour a pour but d’éloigner l’agresseur qui use de violence. Une personne n’a pas besoin d’avoir été victime de coups et de blessures pour y avoir recours. Dès qu’elle se sent en danger, elle peut se rendre à la police pour enregistrer une déposition. La police contactera les autorités concernées afin d’enclencher les démarches qui aboutiront à l’émission d’un Protection Order.

Si la personne incriminée n’accepte aucune charge portée contre elle, il faudra qu’elle se défende en cour. D’autre part, si malgré les avertissements, l’agresseur ne respecte pas l’ordre judiciaire, la victime peut le rapporter à la police. “Cela devient une arrestable offence et il commet un deuxième délit”, précise l’avocate Deena Bhoyroo.

Dans le cas où le suspect reconnaît les charges, l’ordre devient permanent. Il est valide pour une durée d’un an ou de deux ans.

Que dit la loi ?
Si l’agresseur ne respecte pas les ordres du tribunal, cela constitue une infraction à la loi. Pour une première condamnation, elle est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 50,000 et un risque d’emprisonnement d’une durée maximale d’un an. Pour une deuxième condamnation, sont prévus une amende pouvant aller jusqu’à Rs 100,000 et un risque d’emprisonnement d’une durée n’excédant pas deux ans. Pour une troisième condamnation et des condamnations subséquentes, le coupable sera sous le coup d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans.

SOS Femmes
On retrouve des femmes violentées, brisées par leurs conjoints, explique la manager des lieux. Dans un premier temps, lorsqu’une victime contacte l’organisation, un mécanisme d’écoute est mis en place. Par la suite, un hébergement et une thérapie avec une psychologue lui sont proposés gratuitement. Pendant que les procédures avancent, les membres de SOS Femmes aident la victime à se remettre sur pied. SOS Femmes avise les victimes qu’elles ne sont pas seules.

Procédures judiciaires
La Family Protection Unit offre un accompagnement aux victimes qui souhaitent porter leur conjoint devant la justice. Un officier de cette unité s’occupe du dossier légal de la victime. En cour, l’affaire est entendue par un magistrat. Ce dernier agit comme garant des droits des victimes, et a pour tâche d’analyser les demandes et juger si un ordre doit être émis afin d’assurer la sécurité de la victime. Cela se fait sans la présence de l’époux/le conjoint. Un huissier de justice se charge d’informer l’époux/le conjoint qu’il a été appelé en cour pour répondre de ses actes.

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