PTr — Comment Navin Ramgoolam a mis Arvin Boolell hors jeu

«Ena deza 2 lider: pou gayn enn 3 ème?». C’est sorti comme ça. Mais c’est aussi une petite phrase très lourde de sens qu’a prononcée Navin Ramgoolam. C’était en réponse à une question posée par une journaliste, mardi dernier, à l’issue de la réunion du comité exécutif élargi du PTr. Elle voulait savoir du leader des rouges ce qu’il adviendrait si d’aventure l’opposition proposait le nom d’un autre parlementaire travailliste pour occuper le poste de leader de l’opposition.

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La réponse est trop éloquente pour ne pas être correctement interprétée et décodée. Donc, il y a «deza 2 lider». En effet, il y a celui issu des rangs du PTr, Arvin Boolell qui occupait jusqu’à lundi dernier le poste constitutionnel de l’opposition et il y a le leader lui-même, Navin Ramgoolam qui, lui, contrôle l’appareil du parti.

L’un, Arvin Boolell, en tant que leader de l’opposition est celui qui a fédéré à l’Assemblée nationale les troupes opposées au gouvernement est, dans la tradition de Westminster, normalement considéré comme le principal challenger du Premier ministre du jour et celui qui aspire à le remplacer. L’autre, Navin Ramgoolam, est le leader du parti qui se présente comme majoritaire dans l’opposition et qui ne siège plus à l’Assemblée nationale parce qu’il a été battu en 2014 dans la circonscription qu’il représentait depuis 1991.

En décembre 2014, avant même le grand déballage et les nombreuses affaires révélées, le Premier ministre sortant était sévèrement battu par un trio de néophytes: Soodesh Callychurn recueille 25 980 voix (56,72 %) Sanjeev Teeluckdharry 23 810 voix (51,98 %) et Sharvanand Ramkaun, 23 589 voix (51,50 %). Navin Ramgoolam à la quatrième place obtenait 20 093 voix et 43,86 %).

En 2019, échaudé et suivant les conseils d’un prêtre qui lui avait suggéré que c’était une mauvaise idée de poser dans la circonscription No 5 qui abritait le samadhi de son père Sir Seewoosagur, Navin s’en alla se réfugier au No 10, lieu de la naissance de son paternel.

Candidat au leadership

La circonscription avait l’avantage de présenter un profil sociologique un peu différent que celui du No 5. Présenté comme le Premier ministre défiant Pravind Jugnauth, Navin Ramgoolam sortit bon quatrième une nouvelle fois. Il est arrivé loin derrière deux nouveaux venus, Vikram Hurdoyal qui a obtenu 23 252 votes (54,59 %), Zahid Nazurally, 18 459 votes (43,33 %), et le ministre sortant Sunil Bholah avec 18 174 votes (42,66 %). Il récolte, lui, 17 536 voix et 41,17%. Ce résultat a été confirmé à 3 h du matin le 8 novembre 2019 après les nombreuses objections logées par le candidat du PTr et prétendant au poste de Premier ministre.

Juste une parenthèse ici pour souligner que l’écart des voix qui sépare Navin Ramgoolam du dernier élu qui est de 638 voix n’a rien à voir avec ceux plus étriqués entre Ashley Ittoo et Stéphane Anquetil (25 voix), entre Gilbert Bablee et Cader Sayed Hossen (49 votes), entre Dorine Chukowry et Arianne Navarre-Marie (61 votes), entre Ivan Collendavelloo et Jenny Adebiro (92 votes), entre Kenny Dhunoo et Adrien Duval (102 votes) et Lindsay Paul (221) votes et entre Prakash Ramsurrun et Ezra Jhuboo (185 votes). Ces résultats sont, rappelons-le, contestés par voie de pétitions électorales devant la justice.

Arvin Boolell, sonné après sa débâcle en 2014, va commencer une petite agitation en interne appelant à la réforme et à un renouvellement du capitanat du navire rouge. Les candidats battus ne font pas mystère des raisons de la déroute: le rejet de Navin Ramgoolam et la confusion sur la deuxième république.

Arvin Boolell, poussé par l’aile réformatrice, ose quelques critiques et ne cache pas qu’il est candidat au leadership du PTr. Les soutiens se manifestent discrètement et peu se déclarent ouvertement. Rendez-vous est pris pour le 12 mai 2015. La fuite de Nandanee Soornack le jour même des résultats des élections et les images des coffres ont choqué la population et les travaillistes sont en plein désarroi et décident de faire l’impasse sur les municipales à venir dans les semaines suivantes.

Les choses tournent mal le 12 mai 2015. C’est ce jour-là qu’une réunion de l’exécutif est convoquée au Square Guy Rozement. Navin Ramgoolam, étant en congé, des travaillistes sont bien décidés à installer Arvin Boolell comme leader, mais c’était sans compter avec la ruse du leader en titre qui débarque, fortement entouré à la réunion.

Les gros bras font la chasse à Arvin Boolell, considéré comme un traître et comme celui qui a fomenté un putsch et le prient de partir en l’escortant jusqu’à sa voiture pour bien s’assurer qu’il quitte les lieux. Il y a cette image terrible de celui qui avait été fait porte-parole, et qui, tellement choqué, n’a qu’un mot : «ine envoy taper». Navin Ramgoolam avait neutralisé les prétentions de Boolell à occuper le leadership. Déjà.

Lorsqu’arrive la partielle de Belle-Rose/Quatre-Bornes en décembre 2017, à la suite de la démission de Roshi Bhadain, les partis étant éparpillés après le retrait du PMSD du gouvernement, un an plus tôt. Le PTr porte son choix de candidat sur Arvin Boolell. Bien que le scrutin, fort en abstention, soit pauvre en enseignement significatif, dans la mesure où le MSM déclare forfait, son leader venant de s’installer dans le fauteuil de Premier ministre dans un contexte très tendu, c’est bien le candidat du PTr qui est élu devant la candidate du MMM et Roshi Bhadain.

« Quand le stade se vide de ses spectateurs »

Fort de ce retour à la députation, Arvin Boolell rejoint les quatre députés du PTr à l’Assemblée nationale, Shakeel Mohamed, Ezra Jhuboo, Ritesh Ramful et Osman Mahomed et pousse, avec le style qui est le sien, le «soufflé-mordé» pour un changement de leadership au PTr.

Les petites phrases iront bon train sur la nécessité de changement à la tête du PTr. Mais rien ne se passe. Après les élections de 2019 et la seconde défaite du leader de l’alliance PTr/PMSD, Arvin Boolell donne de nouveau de la voix et pense que cette fois est la bonne pour prendre le leadership du parti.

Ne dit-il pas, le 16 novembre 2019, une semaine après les élections générales, cette phrase lourde de sens? «Un leader ne peut rester quand le stade se vide de ses spectateurs». Arvin Boolell va beaucoup s’appuyer sur cette belle entente de l’opposition au Parlement pour s’affirmer dans l’espoir que les apparatchiks rouges commencent à le considérer comme une option pour le «top job».

Le 27 janvier 2020, Arvin Boolell remet ça, et déclare dans une interview à Week-End que «si le collège électoral, qui organisera cette élection, est respectueux des valeurs travaillistes, je serai candidat au poste de leader. Et je suis sûr qu’il y aura, au sein du parti, d’autres candidats. Nous n’avons pas le choix, il faut préparer la relève maintenant, et pas après-demain, si nous voulons que le PTr puisse se renouveler et occuper la place qu’il mérite sur l’échiquier politique». Limpide!

Le 3 février 2020, c’est au tour de Yatin Varma, franchement expulsé, de dire à Week-End que «c’est une des raisons de mon évincement, ajouté au fait que, selon Navin Ramgoolam, je suis trop proche d’Arvin Boolell. Tout cela parce que quand Navin Ramgoolam avait amené des tapeurs au sein du parti pour évincer Arvin Boolell comme porte-parole du PTr, j’ai été le seul à me lever pour protester. Navin Ramgoolam ne l’a pas supporté, tout comme il n’a pas supporté le contenu de ma tribune. Il n’a rien oublié».

Il ne cache pas ses préférences et dit que «j’ai même dit personnellement à Navin Ramgoolam que je pensais qu’il ne devait pas se présenter comme candidat au poste de Premier ministre et céder la place à quelqu’un d’autre… pour moi, la personne capable de reprendre le leadership, de redresser le parti pour répondre à la demande de notre électorat est Arvin Boolell». C’est clair et c’est net et c’est dans le droit fil de la teneur de la tribune qu’il avait cosignée avec Rama Valayden demandant le départ de Navin Ramgoolam.

Comme un loup
dans la bergerie

Les réunions entre parlementaires du PTr/MMM/PMSD se formalisent entre-temps. Jusqu’à ce que Navin Ramgoolam prenne l’initiative de transformer cette plate-forme en entente politique triangulaire. Comme un loup dans la bergerie.

A la table des pourparlers, situation plutôt insolite, deux «leaders» pour le PTr, Arvin Boolell, Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier Duval. Il y a, début 2021, un désir de clarification dans la perspective des municipales, question de ne pas être embarrassé par les récriminations sur la présence de Navin Ramgoolam et à passer du temps à expliquer s’il sera ou pas de la partie.

Le 27 janvier, lors de leur réunion à quatre et après consultations préalables entre eux, Paul Bérenger et Xavier Duval opinent que pour mettre toutes les chances de leur côté, il était nécessaire de faire déjà savoir que, lui, Navin Ramgoolam ne se présentera pas comme Premier ministre. L’option alors est Navin Ramgoolam à la State House et Arvin Boolell candidat au primeministership.

Si la réaction n’est pas hostile, le propos de Navin Ramgoolam est plus que réservé. Ils se séparent, mais comme ils avaient appelé à une manifestation le 13 février, ils continuent cahin-caha. Jusqu’aux propos d’Eshan Juman, le 17 février, sur les ondes d’une radio indiquant que le PTr peut se présenter seul aux municipales et remporter la majorité dans les cinq villes.

Le député correctif, condamné en appel pour corruption, qui certes, craignait de ne pas être de la partie en cas d’une alliance de l’opposition, les places au No 3 étant déjà occupées par Shakeel Mohamed (PTr), Salim Abbas Mamode (PMSD) et Aadil Ameer Meea (MMM), ne pouvaient pas ne pas savoir que cette fanfaronnade allait provoquer des remous.

Il n’est donc pas étonnant que cela a été interprété comme la traduction d’un sentiment fort prévalant au sein des rouges dans le sens d’une remise en question de l’entente. C’est alors que le MMM, le PMSD et le Reform Party décident de crever l’abcès et de porter la question du primeministership sur la place publique.

Paul Bérenger a pu tenir des propos ambigus sur le nombre à l’Assemblée nationale et, ainsi, pousser Arvin Boolell à se déclarer étant donné l’unanimité qu’il fait autant dans l’opposition que dans le pays. Navin Ramgoolam a vu le danger et a utilisé cette occasion pour rétablir son autorité.

Tout le tam-tam qui a suivi n’est finalement qu’anecdotique parce qu’il cache le vrai sujet, la part d’influence de Navin Ramgoolam. En encourageant Arvin Boolell à démissionner, la direction rouge a réglé plusieurs problèmes: le neutraliser, limiter son rayonnement, le rendre moins visible et lui barrer la route au poste de Premier ministre et, ainsi, laisser la voie libre à Navin Ramgoolam.

Arvin Boolell avait le soutien de toute l’opposition pour demeurer leader de l’opposition. Il n’y avait qu’à écouter ses déclarations, même après qu’il a envoyé sa lettre de démission au président de la République pour savoir que ce n’est pas de gaieté de coeur qu’il quittait son poste constitutionnel. Après les appels de ses camarades pour qu’il le reprenne, il avait même été jusqu’à dire que «la nuit prête conseil».

Mais ce n’est pas lui qui décide. Il ne maîtrise pas son destin. Pour le moment, parce qu’en politique, tout ou presque est possible. Et si Navin Ramgoolam est condamné pour blanchiment dans l’affaire des Rs 220 millions logée par le Integrity Reporting Services Agency, la porte pourrait de nouveau s’ouvrir pour l’éternel second et une nouvelle entente retrouvée.

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