À la dérive et à vau-l’eau

BERNARD CAYEUX

‘Breaking News’! Notre île serait détachée du lit de la terre, elle n’aurait plus aucun lien avec la réalité du monde. En effet, des chiantifiques nous apprennent que nous sommes leurrés par le paraître. Notre île ne serait qu’un iceberg instable, alourdi par le béton, érodé et secoué par les aléas du réchauffement climatique. Au temps des câbles de Sheffield steel et de la Cable & Wireless l’illusion était parfaite mais ceux de la perfide Albion les auraient subrepticement remplacés par un gréement de fortune consistant en quelques accords(déons) commerciaux auxquels nous avons néanmoins tenu bon, nous permettant de faire perdurer le leurre de la stabilité.

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Pire ! Au cours des manœuvres ils auraient malencontreusement laissé entrer des rats parmi l’équipage de relève. Certains ont profité de la pagaille qui s’ensuivit pour étoffer leur fortune en s’octroyant des parts du patrimoine national, laissant tomber diplomatiquement quelques miettes aux rats, qui purent ainsi enfler, telle la grenouille, se glorifier et s’approprier la paternité de la nation. Du haut de leurs caisses de savon, à leur tour ils se sont mis à jeter en pâture au peuple quelques promesses, un peu de biryani par-ci, une terre de l’État par là.

Notre iceberg s’est alors mis à dériver à notre insu. La dérive a été sous-jacente puisque, surpassant leurs maîtres en perfidie, forts de leur technique du morde-soufle, les rats ont commencé par ronger les sous-couches de notre société ; l’éthique la première. À ce stade, les religions pouvaient déjà être instrumentalisées puisqu’en l’absence d’éthique il n’y a plus de lien entre la vertu de l’individu et sa moralité. Qu’importe, puisque comme le dit si bien le rat-tisseur (père du ‘rat-platplat’) « Moralite pa ranpli vant ». Du même souffle (de rat) la morale fut entamée et par l’urine, contaminée.

Plutôt que de nous éveiller, à l’aide des fibres aux effets d’optique si chers à Singh, les rats ont éteint la lumière, et notre sommeil fut. L’Ancrage à la morale détachée, le système politique se mit à tournoyer à la façon d’un ballon crevé, entraînant dans sa course folle, le judiciaire, la civilité et son frère le civisme ainsi que toutes les cartes qui composent le jeu de valeurs complexes essentielles à notre vivre ensemble, dans le respect de notre habitat, notre patrimoine et de l’ensemble du vivant, à commencer par nos compatriotes.

Le patriotisme ne put échapper à cette dérive, comme nous avons pu le constater par le biais de trois rubriques de l’actualité de la semaine dernière.

Mauritius Leaks

Ce fil d’actualité a mis en surface trois types de perversion du patriotisme.

Le premier a été celui du chauvinisme où il y a eu tentative de faire de ce leak le plus important du monde.

Le deuxième est l’inverse ; que l’on pouvait déduire de certains commentaires qui suggéraient que de faire éclater cette vérité au grand jour était un acte anti-patriotique.

Enfin, il y a ceux qui banalisent l’événement parce que tout s’est passé au sein de notre cadre légal. Nous vivons dans un monde où ce n’est plus la moralité qui régit les lois mais l’inverse… L’iceberg aurait-il basculé ?

GEF–PNUD–AKNL–NBT

En référence à l’annonce de la venue d’une équipe du PNUD pour enquêter sur la finalité de leurs actions de financement de projets de réhabilitation des zones côtières comme relaté par l’article paru dans Le Mauricien du 24 juillet dernier intitulé Environnement : les experts de l’UNDP débarquent pour enquêter sur le Greenwashing…

Le collectif AKNL a cru bon d’alerter le PNUD à propos de l’incohérence de notre politique environnementale, plus particulièrement celle de la gestion et la conservation des zones côtières. Incohérent en effet car, d’un côté, nous bénéficions de financements de l’UNDP/GEF à hauteur de 4,7 M US $ pour le projet Mainstreaming Biodiversity into the Management of the Coastal Zone of the Republic of Mauritius qui vise à la protection/réhabilitation de la biodiversité dans les zones côtières, et de l’autre les autorités encouragent la prolifération de projets hôteliers et immobiliers dans ces mêmes régions, n’ayant cure des zones écologiquement sensibles qui succombent au passage des tractopelles.

Dégoûtés de la mauvaise foi affichée de certains dirigeants, las de rédiger pétitions et lettres restant mortes, ce recours audacieux s’inscrivait bien dans le droit-fil du combat d’AKNL qui prône une politique d’aménagement durable du peu qui reste de notre littoral sauvage.

En réaction aux articles de presse dans le cadre de cette investigation, Mme. Nalini Burn Teelock fait paraître à son tour un article intitulé “Greenwashing” allegations: A red line crossed » (L’express), dans lequel elle expliquait sa désapprobation de cette démarche, évoquant entre autres :

– qu’il n’y avait pas de lien entre les démarches d’AKNL et le projet financé par le biais du PNUD ;

– que cette démarche d’AKNL pourrait causer l’arrêt de financements par l’UNDP/GEF, causant du tort au pays qui grâce à ces financements, prenait certaines mesures, toutes petites soient-elles. Ainsi, elle cite un projet intitulé Vision 2020 qui serait en gestation depuis… les années 80. Bravo ! Des décennies de gestation pour accoucher d’une souris dans le but de protéger les régions côtières en 2020, soit dans 6 mois… des décennies durant lesquelles, puisant à la source, certains se sont gavés au passage. Si Mme. Burn Teelock a très justement évité d’évoquer l’anti-patriotisme, les rares réactions approbatrices de son article confirmeraient ce non-dit.

Le patriotisme dérivé est donc une valeur selon laquelle nous devons témoigner du pillage, accepter la corruption, sans sourciller, pour maintenir l’image de nos gouvernements qui font acte de présence à chaque COP pour bez plis kas

JIOI – Allons à la JOIE et au Konze piblik

Désolé d’être ‘rat-bajoie’, on ne le dira jamais assez. Les athlètes mauriciens se sont démenés comme des chefs, jouant au foot dans une piscine et nageant dans 22° C devant des gradins vides par manque de tickets. L’heure est à la fête pour eux et pour l’équipe, c’est indéniable. Nous ne leur serons jamais suffisamment reconnaissants pour ce mauricianisme qu’ils ont permis de ressusciter, d’autant plus qu’il sera éphémère. Chapeau bas à tous, perdants comme gagnants. Ils ont 4 ans avant d’être refusés des tickets d’entrée aux prochains JIOI, 4 ans avant de sombrer dans l’oubli et qu’on ne leur demande un certificat de moralité…

Nous voilà brandissant à nouveau le quadricolore en nous pensant patriotes. Patriotes sans avoir versé ne serait-ce qu’une goutte de notre sueur. Patriotes le temps d’un week-end prolongé grâce à ce konze piblik décrété à la va-vite digne d’un royaume primitif. Un konze piblik aura permis de retarder d’un jour l’émergence de vérités qui vont fâcher à propos de la médiocrité des infrastructures et de l’organisationnel, des travaux bâclés, des abus de pouvoir, des trafics de tickets, voire pire.

En donnant ce congé (il faut d’ailleurs arrêter de dire qu’il nous l’a donné, au contraire, il nous l’a emprunté), le PM vient égoïstement et injustement dévier l’attention de nos vrais champions vers lui tel un enfant gâté. Un konze piblik qui coûte des millions que nous n’avons plus. Et le public qui se félicite, qui le félicite en balançant çà et là des « Merci PM » baveux et des « Merci Pravind » visqueux ; de quoi coller des affiches.

Nous sommes donc fiers d’être l’iceberg fondant à avoir envoyé le Titanic par le fond. Le congé et la fête nous ont permis d’oublier que parmi les rats embarqués il y a ceux qui sont prêts à fuir le navire, à commencer par le capitaine imprudent et son orchestre auquel il ordonne de jouer jusqu’à ce que l’eau nous arrive aux genoux.

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