À la recherche de la croissance perdue

Les habitudes, bonnes ou mauvaises (mais le plus souvent mauvaises), ont la vie dure. L’un des meilleurs exemples nous aura été donné par le virus qui, après s’être attaqué à nos organismes, s’en est vertement pris – par ricochet – à nos économies. Avec pour résultat, depuis que les pays ont commencé à nous confiner (« puis déconfiner, puis reconfiner », comme le chante Pierre Perret), de ne voir cesser de tourner nos planches à billets et d’assister à une chute vertigineuse de notre Sacro-sainte croissance. En contre-réaction, les États ont alors entrepris de mettre au plus tôt en place les structures nécessaires afin de faire rebondir cette même croissance, avec comme seul mot d’ordre un rapide « retour à la normale ». Et donc sans avoir entamé ne serait-ce que l’ébauche d’une pourtant indispensable réflexion portant sur la vulnérabilité d’un système gangrené par son lot d’injustices, sociales, écologiques et climatiques.
C’est un fait : seul système que les sociétés développées n’aient jamais connu depuis plusieurs décennies déjà, notre économie de marché est loin d’être résiliente, en atteste une fois encore la vitesse à laquelle celle-ci s’est ébranlée au fil de la progression du nombre de contaminations. Aussi le bon sens voudrait que l’on réfléchisse enfin à sa pertinence dans un monde en profonde mutation. Rappelons ainsi que bien avant la Covid déjà, les nations du monde, alertées de l’accélération du réchauffement climatique, avaient agréé l’idée d’une réduction de nos émissions de gaz à effets de serre, sachant pourtant que, ce faisant, cela signifiait de revoir nos ambitions de croissance soutenue à la baisse. Et voilà qu’aujourd’hui, Covid oblige, nous sommes prêts à tout pour retrouver notre lustre « d’antan ». Preuve, là encore, que les habitudes sont toujours plus fortes que les intentions.
Certes, le monde est plongé dans un marasme économique faisant presque paraître anecdotique la crise de 2008. Mais ne devrions-nous pas quelque part profiter de la décroissance imposée par le virus – quand bien même celle-ci diffère selon les cas – pour reprendre le contrôle de notre destinée ? Pourquoi en effet vouloir, coûte que coûte, renouer avec une croissance positive tout en sachant pourtant que c’est d’elle, justement, que viennent tous nos malheurs ? La réponse s’impose d’elle-même : parce que la décroissance fait peur ! Cette crainte, aussi déraisonnable soit-elle, est alimentée par plusieurs facteurs, à commencer par la peur du changement, que l’on suppose trop aléatoire, trop imprévisible, trop peu sûr. Mais aussi parce qu’à la barre du « Navire Terre » se trouvent des politiques et patrons d’importants groupes financiers qui, pour des raisons évidentes, n’ont pas du tout envie de voir s’écrouler leur empire. Raison pour laquelle on les voit aujourd’hui afficher envers la décroissance un incommensurable scepticisme et courir au triple galop derrière la croissance perdue.
Dans le même souffle aussi, et c’est un peu plus rassurant, le plaidoyer pour la décroissance, lui, reprend du poil de la bête. Pas assez, certes, mais suffisamment en tout cas que pour accélérer dans certains cercles (écologistes, scientifiques, philosophes, Ong…) la réflexion sur l’industrie et notre consumérisme outrancier. Cet « éco-brainstorming » est d’autant plus vital que jusqu’ici, s’ils mettent le doigt « là où ça fait mal », ils demeurent pour beaucoup trop flous dans leur approche. Bref, du pain béni pour les acteurs de l’économie, à l’instar du directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques, Xavier Timbeau, qui, en s’appuyant sur les discours des plus radicaux de l’anti-productivisme, peuvent s’en prendre allègrement aux collapsologues et autres théoriciens de l’effondrement.
En réalité, le fait de choisir entre croissance ou décroissance est un faux débat. La croissance, en effet, peut être totalement autre qu’économique (culturelle, idéologique, philosophique, intellectuelle…). Tout en prônant le bien-être et une qualité de vie qui, quoique débarrassée d’une grande partie de nos jouissances “techno-consuméristes”, ouvrirait enfin l’humanité entière sur une nouvelle ère de son développement : celle de l’entraide, de la solidarité et du partage, ou encore du plaisir simple de se retrouver entre proches, amis et voisins. Et nous permettant dans le même souffle de vivre en symbiose avec notre environnement, sans plus jamais chercher à le compromettre.

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