ACCIDENT À PAILLES – UN BUS SANS FREIN AVEC AU 70 OUVRIERS DU BANGLADESH : Entre larmes et incompréhension face à l’effroi

  • Le chauffeur: « Letan mo pe rod aplik frin, pa pe gagn naryen lor pedal. Frin inn koupe »

Le bilan de cet arrêt dramatique du bus Khousal Travel au Bus Stop de Pailles, tôt hier matin, est sans appel: quatre morts et 64 autres passagers recevant des soins à l’hôpital Dr Jeetoo pour des blessures de diverses gravités. Un des blessés est toujours admis aux soinsi et huit autres en salle. Le chauffeur du bus, Nishal Goorapa, est hors de danger après une intervention d’urgence. Et pendant toute la matinée d’hier, l’atmosphère était pesante à l’hôpital Jeetoo avec le personnel médical tentant pour le mieux de faire le maximum dans ces circonstances difficiles. Mais c’était trop tard pour quatre ouvriers bangladais de la firme de construction Hyvec Partners Ltd – Das Sonchey (30 ans), plus connu comme Sanjay, Farook Islam, Molla MD Rakib (30 ans) et Razzak Mohammad Avalir (28 ans). Ils ont succombé à leurs graves blessures essutées lors de l’accident de ce bus aux freins percés. deux premiers nommés avaient au moins des proches à Maurice, ceux-ci ayant eu la lourde tâche de procéder à l’identification des dépouilles à la morgue.
Parmi eux se trouvait Champa, dont le frère, Das Sonchey, n’a pas survécu au drame. Assise à la Casualty Ward, elle était inconsolable. « Que t’est-il arrivé mon frère ? » ne cessait-elle de répéter, pendant que ses compatriotes tentaient tant bien que mal de la consoler. « J’étais venue à Maurice pour aider ma famille il y a trois ans. J’ai trouvé emploi dans une usine. Je parlais assez souvent avec mon frère, qui était dans notre pays natal », raconte-t-elle à Le-Mauricien.

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« Nous sommes issus d’une famille pauvre du Bangladesh, et mon frère m’a confié qu’il faisait face à des difficultés financières. J’ai alors entamé des démarches pour lui trouver un emploi à Maurice. Il est arrivé quelques mois après moi pour travailler chez Hyvec Partners Ltd », poursuit-elle. Champa soutient que son frère et elle se rencontraient les week-ends pour « passer du temps ensemble », ce qui n’était pas possible en semaine, celle-ci résidant dans un dortoir à Baie-du-Tombeau alors que son frère se trouvait à Trianon.

« Il faisait beaucoup de sacrifice et se donnait corps et âme dans son travail. Il voulait que notre famille puisse vivre décemment au Bangladesh. À chaque fin du mois, nous envoyions de l’argent à notre mère. » Et d’ajouter : « Nos parents n’ont eux que deux enfants, Sanjay et moi. Je ne sais pas comment annoncer cette terrible nouvelle à ma mère. » En larmes, Champa dit aujourd’hui regretter d’avoir fait des démarches pour que son frère vienne à Maurice. « Je n’aurai jamais pensé que Sanjay allait mourir dans de telles circonstances. » Son souhait : accompagner la dépouille de son frère lors du rapatriement de son corps.

Khairoun Islam est un homme meurtri. Et pour cause : il vient lui aussi de perdre son frère, Farook. « J’étais au travail sur un chantier à Grand-Baie quand un ami m’a appelé pour m’annoncer l’accident. Je savais que mon frère travaillait pour Hyvec Partners Ltd et je me suis donc dépêché à l’hôpital Jeetoo. C’est là qu’un médecin m’a annoncé son décès… » Envahi par la douleur, Khairoun peine à s’exprimer. Ses compatriotes ont même dû l’aider, le jeune homme n’arrivant plus à marcher. « Je n’ai pas le courage d’annoncer cette terrible nouvelle à ma famille. Comme mon oncle est aussi à Maurice, je vais lui demander de le faire ! »

De leur côté, les rescapés sont également encore sous le choc. Parmi eux se trouve Mohamad Molla, qui a accepté de livrer quelques détails à Le-Mauricien sur ce jeudi noir. « Nous avons quitté le dortoir, à Trianon, vers 6h30 pour prendre place dans l’autobus. Toutes les places assises étaient prises, et environ une dizaine d’ouvriers était debout. » Le chauffeur, Nishal Goorapa, roulait à vive allure, dit-il. « Bien souvent, nous lui demandons de réduire sa vitesse. »

Arrivé dans les parages de Sorèze, Mohamad dit avoir noté un problème. « Le chauffeur a crié. Peut-être a-t-il voulu dire qu’il y avait un problème à bord. Nous ne comprenons que très peu le kreol, et donc nous ne comprenions pas ce qui se passait. » Il poursuit : « Le chauffeur a alors fait un virage au beau milieu de la route avant de percuter un abribus en béton. »

L’impact a été terrible, dit-il. Si violent, même, que des ouvriers ont littéralement été projetés hors du bus pour finir sur l’asphalte. « Quelques-uns ont même atterri sous le bus. D’autres se sont retrouvés coincés entre les sièges », se souvient-il. Quant à lui, ayant mal, il est descendu pour s’asseoir sur le côté de la route. « Des automobilistes se sont arrêtés pour nous aider. »

Puis des pompiers sont arrivés pour extirper ceux restés coincés dans le bus. « Beaucoup d’ouvriers ont été blessés aux pieds », explique-t-il. Naguib, un autre rescapé, blessé à la clavicule, ne pourra pour sa part pas en dire long, ce dernier ne se souvenant pas des détails de l’accident, probablement du fait du choc. « Letan tape, monn gagn boukou dimal. Mo pe soufer ! » se contente-t-il de dire.

À l’hôpital, le personnel soignant aura redoublé d’efforts afin de prendre en charge les victimes de l’accident. Tant et si bien que le “shift” de nuit est resté après ses heures afin de prêter main-forte à l’équipe de jour. Le plus gros problème immédiat aura cependant été la barrière de la langue, peu de victimes parlant en effet kreol. « Des blessés ne pouvaient expliquer où ils avaient mal. Ils ne montraient que des parties de leur corps où ils souffraient », confie un des médecins.

Fort heureusement, le personnel a pu compter sur de bon samaritain afin de jouer le rôle d’interprète. Salim Pathan est de ceux-là. Cet entrepreneur bangladais, marié à une Mauricienne, dit ainsi avoir quitté son commerce le matin du drame pour venir à l’hôpital en apprenant la nouvelle. « Je savais qu’il y aurait un problème de langage, et j’ai agi comme traducteur entre les ouvriers et le personnel soignant. Tous mes compatriotes m’ont dit que le bus était bondé. »

Les Mauriciens ne sont pas en reste, et ont, eux aussi, fait preuve de solidarité à l’hôpital, notamment en aidant les blessés à se diriger vers le Casualty Ward ou les autres unités, car à mesure que les rescapés rentraient, les fauteuils roulants commençaient à manquer. « Nous sommes des êtres humains et nous devons aider ceux en difficulté, surtout que ces personnes n’ont pas de famille à Maurice », nous confie un volontaire. Vishal Meetoo a aidé à sortir les blessés des vans pour les emmener aux Casualties. « J’avais rendez-vous à l’hôpital, et quand j’ai vu ce qui se passait, j’ai aidé le personnel, qui était débordé. »
Quant au chauffeur du bus Koushal Travel, Nishal Goorapa, il a donné hier une brève déclaration à la police sur son lit d’hôpital. Il a ainsi avancé que le véhicule n’appartient pas à Hyvec Partners Ltd, qui a sous-contracté le service de transport à une tierce personne. Selon lui, il respectait les limites de vitesse. Il ajoute : « Letan mo pe rod aplik frin, pa pe gagn naryen lor pedal. Frin inn koupe. Lerla monn al bat ek bis-stop. »

Blessé aux pieds, il a été placé en observation en salle, devant laquelle une sentinelle de la police a été placée, empêchant ainsi toute personne non autorisée à parler au chauffeur. Selon la police, 64 passagers se trouvaient dans le bus. Tous ont été emmenés à l’hôpital Jeetoo après l’accident. Sept blessés, dont le chauffeur, sont encore hospitalisés, alors qu’un Bangladais se trouve à l’Intensive Care Unit.


Les dépouilles rapatriées au Bangladesh la semaine prochaine

Les corps des quatre victimes seront rapatriés au Bangladesh « peut-être la semaine prochaine, dépendant de la disponibilité des vols », a indiqué Shakeel Anarath, responsable de l’Al Ihsaan Islamic & Funeral Centre. « Nous allons embaumer les corps, que nous allons garder dans notre morgue, à Plaine-Verte, en suivant les rites religieux. Une prière sera dite pour les victimes dans notre centre vendredi soir, avant que leurs corps soient mis dans des cercueils. » Shakeel Anarath rappelle que les services mortuaires pour les victimes sont gratuits.


Boolell : « Une enquête approfondie pour connaître les circonstances de cet accident »

Arvin Boolell, le leader de l’opposition, a rendu visite hier aux rescapés de l’accident en compagnie du député Eshan Joomun ainsi que du Dr Nawoor, Regional Health Director de cet établissement hospitalier. Dans une déclaration à la presse, Arvin Boolell a d’abord présenté ses sympathies aux proches des victimes, « qui vivent des moments difficiles, surtout ceux ayant perdu un proche dans ce drame ».
Tout en souhaitant un « bon rétablissement à tous ceux qui sont encore en observation », il félicite le personnel médical ayant pris en charge les blessés. « Il faut encadrer psychologiquement ces travailleurs étrangers », dit-il, avant de réclamer qu’une « enquête approfondie soit menée » pour faire la lumière sur les circonstances de ce drame.


Faizal Ally Beegun : « Bizin aret tret travayer etranze kouma esclav modern »

Le syndicaliste Faizal Ally Beegun a dénoncé hier les conditions dans lesquels travaillent les employés de Hyvec Partners Ltd. « Il y avait plus de 70 employés dans cet autobus. Konpani pe met espion pou ekout bann travayer bangladai ki pe dir. Ena explwatasion dan sa lizinn-la. Mo pa per pou dir ! Ena esclavaz modern dan lizinn. Zot pe servi dilo larivier pou kwin manze. Bizin aret explwat bann travayer etranze ki swa Bangladai, Malgas, Sinwa… 32 an sa pe dire koumsa. Bann lanbasader bizin pran zot responsabilite ! »

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