Administration locale : l’enjeu de la décentralisation

PATRICK BELCOURT
Citoyen engagé

C’est officiel : les élections villageoises auront lieu le 22 novembre. Une échéance bien trop rapide pour que les personnes les plus aptes à apporter des changements significatifs dans leurs villages puissent s’engager. Parce que ceux qui n’entendent pas faire de la figuration ou se comporter en sous-fifres des partis politiques ne s’aventurent pas dans ces responsabilités à partir de considérations superficielles. Cette échéance, en réalité, exprime la vision étriquée du gouvernement en place pour les administrations locales et régionales. Mais si cela peut consoler ceux qui se trouvent à la tête du pays aujourd’hui, les autres formations politiques ont également contribué à la dégradation constante de l’autonomie des conseils de villages.

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Je reviens toujours avec cette vision d’un développement intégré et on me demande quelquefois comment une telle approche serait pertinente pour nos villages. Je prendrais un seul exemple pour expliquer comment une réelle vision politique est à même de changer la réalité sociale de nos villageois pour qu’ils bénéficient davantage des services de l’État : la décentralisation des services administratifs et d’accompagnement social.

Pour véritablement décentraliser les activités de l’État, il faut que le gouvernement, par le biais du ministère des Administrations locales, consente à passer le témoin aux élus des villages. Mais, depuis quelques décennies et sous des gouvernements successifs, l’État fonctionne en mode centralisé avec un pouvoir politique qui ampute les élus locaux des moyens de développer de réelles ambitions pour leurs localités.

C’est quoi la décentralisation pour nos villages ? Que l’on puisse, par exemple, avoir un bureau de poste dans chaque village est une mesure concrète pour que les gens n’aient pas à se déplacer sur de longues distances pour payer des factures. Le conseil de village peut aussi développer un réel service d’accompagnement pour ceux qui ont besoin des différentes prestations de la Sécurité sociale. Cela représente un soulagement pour de nombreuses personnes âgées et autres invalides. Un conseil de village aurait pu aller jusqu’à offrir des mesures d’intéressement aux entreprises et aux entrepreneurs et ceux-ci augmenteraient alors les opportunités d’emplois. Les employés peuvent rentrer plus facilement et plus tôt chez eux pour s’occuper de leurs enfants et c’est ce qui va réduire les risques de délinquance. En même temps, cela crée des emplois de proximité qui a pour conséquence de réduire la pression sur les services de transport. Le pays peut alors réduire sa facture énergétique et les entreprises dépensent moins dans le remboursement des « travelling » et gagnent en productivité. C’est cela très concrètement le Développement intégré.

À bien voir, plus c’est inefficace et plus cela occasionne la corruption. Comme il n’y a pas de services de proximité, les gens doivent se déplacer. Dans certains villages, ainsi que les zones péri-urbaines, si vous n’avez pas le taxi-train, vous ne pouvez rien faire. Vous devez marcher des kilomètres avant d’arriver à un arrêt d’autobus. Alors, les politiciens sont sollicités pour un permis de taxi et tout le monde peut réaliser que cela relèverait davantage du « Bribe électoral » que du service établi pour la mobilité des personnes. Les conseillers de village auraient pu adresser la question pour leur propre localité : comment réguler toute cette anarchie pour que cela devienne un véritable service pour les usagers et une activité profitable pour ceux qui investissent dans les véhicules? Mais, c’est clair que l’administration centrale ne leur reconnaît pas les compétences pour formuler des solutions sur le plan de leurs villages.

Dans une approche de Développement intégré, ce sont les services qui viennent vers les citoyens et non l’inverse. On doit venir à Port-Louis pour encore trop de démarches administratives. C’est pénible et coûteux pour les gens économiquement plus démunis. On perd des journées de travail à attendre le transport, faire la queue et c’est coûteux pour les gens, en même temps que c’est improductif pour les entreprises et les services de l’État.

Mais les partis qui ont été au pouvoir jusqu’ici n’ont pas cette vision du développement; ils sont davantage occupés à caser « zot dimounn » dans des bureaux situés soit à Port-Louis, dans les grandes villes ou des lieux soumis à de fortes densités. Cela oblige les gens à faire de longs trajets pour des prestations sociales et cela donne des embouteillages, c’est-à-dire que l’on brûle encore plus de carburant pour faire du sur-place et comme cela occasionne beaucoup de bruit, il faut fermer les bureaux et allumer la climatisation, ajoutant ainsi à la facture énergétique. C’est une démarche aussi inefficace qu’elle est extrêmement coûteuse. Et, pour couronner le tout, nous aurons des ministres qui vont venir faire des discours sur le réchauffement climatique, taxer encore plus les produits pétroliers et trouver du financement pour des turbines. Vous aurez beau changer de gouvernement, cela ira de mal en pis parce que c’est un serpent qui essaie d’avaler sa queue !

En fait, les partis s’attendent à ce que les élus locaux fonctionnent comme leurs agents. Les conseillers de villages font le travail de proximité, pour ensuite aller négocier en conseil de district (tout comme ceux des municipalités), l’asphaltage de quelques routes et le remplacement des lampadaires. Les fameux PPS, eux, disposent d’un budget pour entreprendre des constructions de locaux dédiés à quelques services de l’État. Dès qu’il y a une occasion de rassembler du monde, les grosses pointures des différents gouvernements rappliquent avec les équipes de la MBC et tout le monde est bien content de se voir à la télé.

Ainsi, quand on procède à une vraie analyse de la question des administrations locales à Maurice, force est de reconnaître qu’aucun gouvernement n’a manifesté de réelle volonté politique pour doter les conseils de villages de meilleurs moyens décisionnels pour projeter leurs villages vers les défis de demain. Tout passe par l’État centralisateur et cela fait le jeu des ministres excessivement puissants. Et, en tout, l’excès nuit. Ainsi, l’excès de vitesse pour ces élections villageoises est une nuisance pour l’autonomie effective des conseils de village.

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