Anou sov Fraternité Nord-Sud ek leritaz Julien Lourdes

Prof. (Dr) Arnaud Carpooran, OSK

Au nom de nombreux sans voix de Sainte Croix et des régions avoisinantes

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Dans deux mois (soit le 24 mai 2019), l’Association Fraternité Nord-Sud (désormais FNS), située à Sainte Croix, est censée fêter ses 20 ans d’existence. Une occasion en or pour rendre un vibrant hommage à Julien Lourdes, son fondateur, au moment même où l’on s’apprêtera également à commémorer le deuxième anniversaire de sa mort. Tel ne sera hélas probablement pas le cas, si l’on tient compte des efforts déployés, et de l’empressement démontré, par une petite poignée de membres de l’actuel Comité exécutif de FNS pour se débarrasser du bail de 20 ans que détient le centre pour l’offrir, sans la moindre condition écrite à ce jour, à l’Ong ANFEN. Cette démarche, contraire aux principes élémentaires de démocratie et de bonne gouvernance, qui prive tous ceux qui fréquentaient le centre du vivant de Julien Lourdes, de l’un des rares espaces communautaires de la région à remplir des fonctions relevant tout à la fois du culturel, du pédagogique et du social, est en train de soulever énormément d’interrogations et de remous dans la région et il y a lieu de croire que les choses vont se compliquer davantage dans les jours et semaines qui viennent si les protagonistes qui sont à la source de cette initiative, aussi contestable que contestée, ne reviennent pas rapidement  à la raison. Petit historique pour y voir plus clair.

Quand et pourquoi le Centre Fraternité Nord-Sud a-t-il été créé ?

C’est au mois de mai 1999 que le Frère jésuite et infatigable travailleur social Julien Lourdes (alors déjà fondateur de plusieurs ONG de renom telles que Terre de Paix-Albion) donne naissance à l’Association FNS. Parmi les nombreux objectifs cités dans la Constitution de ladite Association, les trois qui figurent en premier peuvent se résumer ainsi: (1) accueil de jeunes issus de familles pauvres, alcooliques, toxicomanes, ou ceux qui ont des parents en prison, ou encore qui font face à des problèmes au niveau scolaire; (2) accueil des personnes âgées sans domicile fixe; (3) formation et/ou alphabétisation des adultes, cours de rattrapage, formation continue dans le domaine professionnel, économique et culturel, ou dans la construction du tissu familial.

Pourquoi Sainte-Croix ?

Le choix de Sainte-Croix pour Julien Lourdes n’est pas anodin. Son objectif principal était de s’attaquer de front aux conséquences, encore fraîches alors, des émeutes de février 1999, lesquelles avaient rendu extrêmement précaire et compliquée, la situation sociale et économique de pas mal de familles de la région Port-Louis Nord. Ce choix s’inscrivait donc dans l’ordre des choses et se conformait à la grande nature humaniste de son fondateur. Si c’est d’abord chez des particuliers, dont l’actuel président de FNS, qu’il s’installe, c’est en 2005, grâce au soutien de Joe Lesjongard, alors député de l’endroit et ministre des Administrations régionales, que Julien finira, aux termes d’âpres luttes, à obtenir un bail de 20 ans (donc jusqu’en 2024) pour occuper l’espace où se situe, encore aujourd’hui, le centre Fraternité Nord-Sud, en face de la foire de Sainte-Croix. Fait très important : avant cette date, cet espace servait surtout de repaire pour le haut banditisme, lieu de prostitution et de toutes sortes de trafics illicites.

Fonctionnement du centre de 2005 à 2017

De 2005 jusqu’à 2017, année du décès de Julien Lourdes, FNS a été un véritable centre névralgique pour les activités d’ordre pédagogique, social et culturel pour la région Port-Louis Nord. Ecole pour enfants en difficulté le jour, centre de formation et d’alphabétisation pour adultes le soir. Sans compter qu’il était aussi un lieu de rencontre pour des discussions et échanges sur des sujets de portée sociétale et communautaire. En 2012, le ministre des Arts et de la Culture d’alors y a même inauguré, en présence des députés de la région (c’est-à-dire, Mireille Martin, Aurore Perraud et Kalyanee Jugroo) et du représentant du Lord-Maire d’alors, un Sant Lektir ek Lekritir an Kreol (SLLK ; la plaque y est toujours d’ailleurs). Un projet d’alphabétisation pour femmes à travers la cuisine y a même vu le jour et a fait l’objet de plusieurs couvertures de presse (cf. Le Mauricien du 14 mars 2013 et du 23 juillet 2014). C’est par rapport à son titre de responsable du SLLK que le nom de Julien Lourdes a été proposé en 2013 comme 2e vice-président de la Creole Speaking Union, position qu’il occupait toujours au moment de sa mort. Il faut souligner ici qu’entre 2013 et fin 2016 (année où Julien est hospitalisé), le FNS n’a jamais manqué de célébrer de façon très active toutes les Journées destinées à célébrer le Kreol, qu’il s’agisse de ZILM (Zourne Internasional Lang Maternel), ZIK (Zourne Internasional Kreol) ou FIK (Festival Internasional Kreol).

  Vers la fin de FNS ?

Tout cela (c’est-à-dire, l’héritage de Julien Lourdes) court malheureusement le risque de disparaître bientôt si on laisse faire le petit groupe de personnes qui ont complètement noyauté les appareils de décision au sein du Comité exécutif de FNS, et dont l’objectif principal semble être de résilier au plus vite le bail que détient FNS au bénéfice de ANFEN dans les conditions qui demeurent encore obscures pour la grande majorité des gens ayant fréquenté le centre ces dernières années.

Quel rôle joue ANFEN dans cette histoire ?

Sans vouloir pointer du doigt cette Ong, force est de constater qu’elle aurait donné une meilleure image d’elle-même si elle avait déposé un projet en bonne et due forme à FNS et avait laissé démocratiquement les habitués du Centre le soin de donner leur avis. Mais en fait, jusqu’ici, seule une infime minorité au sein même du Comité exécutif de FNS semble avoir pris connaissance du projet d’ANFEN, sans qu’aucun accord écrit n’ait été circulé à ce jour aux différents membres. Pire : alors que ce n’est qu’au mois de novembre 2018 que des discussions ont commencé à avoir lieu entre les membres du Comité exécutif de FNS et un représentant d’ANFEN sur le type de collaboration que son Ong était susceptible d’apporter à FNS, ce n’est que tout récemment qu’on apprendra qu’une requête officielle avait déjà atterri sur la table du ministère des Terres et du Logement dès le mois d’août 2018 (c’est-à-dire, quelques jours seulement après la tenue de la dernière Assemblée générale et la constitution d’un nouveau comité exécutif toujours aux commandes aujourd’hui), où il est explicitement demandé que le bail de FNS soit transféré « in favour of Adolescent Non-Formal Education Network [(ANFEN)]». N’était-ce une clause qui interdit ce type de transfert (comme le mentionne un mémo dudit ministère en date du 23 janvier 2019, où il est demandé à FNS de choisir soit : (a) de sous-louer son terrain à ANFEN, soit (b) de résilier totalement son contrat au bénéfice d’ANFEN, l’affaire aurait déjà été dans le sac depuis longtemps et les bénéficiaires du centre se seraient retrouvés aujourd’hui devant un fait accompli. Orphelins de leur Centre, sans qu’ils aient eu leur mot à dire, et pour des raisons qui exigent toujours des clarifications.

Qu’allons-nous faire ?

Tout cela ayant été dit, nous espérons sincèrement que le petit groupe omnipuissant du Comité Exécutif, ainsi que le représentant d’ANFEN mentionné plus haut, vont retrouver vite leur raison et prendre la seule décision sage qui s’impose ici. Ils ne peuvent continuer à faire fi des réserves et des interrogations fort légitimes exprimées jusqu’ici, et encore moins de laisser pourrir une situation de conflits fratricides internes entre les membres d’un Centre (qui porte paradoxalement le nom de Fraternité) et au niveau de la région, pendant que les bénéficiaires externes se reposent tranquillement sur leurs lauriers en attendant de bâtir leur futur sur les ruines que ces conflits auront laissées. A chacun ses responsabilités. Pour ma part, en rendant publics ces faits (après de vaines tentatives d’appels à la raison), j’estime faire mon devoir, envers Sainte Croix et envers la mémoire de Julien Lourdes, que j’ai eu l’honneur d’accompagner pendant ces 20 dernières années dans différents combats, et dont je souhaite voir poursuivre l’œuvre. Conformément d’ailleurs à ses dernières volontés ainsi qu’à l’engagement que plusieurs d’entre nous ont publiquement pris en ce sens.

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