APRÈS LE CORONAVIRUS : Un changement systémique pour un monde équitable et durable

Zaheer Allam est intervenant à l’Université Deakin, Australie, également l’auteur de cinq publications sur la thématiques des villes futures.
Carlos Moreno est Envoyé spécial ville intelligente de la Maire de Paris et Directeur scientifique de la Chaire eTi (Entreprenariat Territoire Innovation), IAE Paris – Université Panthéon – Sorbonne

Gaëtan Siew est un ancien Président de l’Union Internationale des Architectes et l’actuel Envoyé spécial de l’ONU HABITAT pour la République de Maurice.

Nous vivons la plus exigeante expérience planétaire de tous les temps. Aujourd’hui, plus de trois milliards de personnes, presque la moitié de la planète, sont confinées à résidence ; sans certitude quant à la tournure que prendra la pandémie de COVID-19, nous pouvons penser que ce nombre est susceptible d’augmenter dans les prochaines semaines. Nous sommes face à un gigantesque défi, celui de notre mode de vie, qui est à l’heure actuelle, soyons réalistes, une impasse. Le monde arrive à l’heure de choix majeurs et nous ne pouvons plus ni l’ignorer ni reculer. Nous voyons partout dans le monde se dresser une sérieuse interrogation sur la manière d’exercer le pouvoir, de gérer l’économie, l’environnement et les liens sociaux. Car à la sortie de cette profonde crise, notre futur, mais aussi notre survie, demandent une radicale transformation : se concentrer sur la qualité de vie des gens avant le profit. La création et les échanges de valeur doivent passer de l’argent aux services, soulignant la résurgence de nouveaux usages, économies de proximité, valorisation de savoir-faire, monnaies locales, voire du troc matériel ou immatériel.

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Imaginer une nouvelle socialisation de nos vies, sous toutes ses formes, est une urgence absolue. En seulement trois mois, notre mode de vie, nos manières d’être « performants », de penser et d’agir au quotidien ont dû totalement changer. Mais à quel coût ? Des dizaines de milliers de morts dans le monde, des centaines de milliers qui porteront de lourdes séquelles, mais aussi des millions de personnes en souffrance. Au-delà de la morosité qu’entraîne cette situation, il subsiste de l’espoir pour la vie après le coronavirus. Nous devons utiliser cet élan pour accélérer la transition en cours des fonctions sociétales et économiques – afin d’orienter nos actions à tous niveaux vers une stratégie de radicale transformation et ainsi gagnant cette guerre, la gagner aussi sur le long terme. Nous avons l’occasion aujourd’hui d’entraîner des changements significatifs, pour remodeler nos économies et nos sociétés.

Notre défi est majeur à l’heure où les médias bombardent leurs audiences de prédictions contradictoires, de sujets sur des pays en crise, avec des reportages sur des hôpitaux surchargés, sur la détresse humaine, mais sans aller au fond de ce que signifie cette crise. Bien que la situation soit effectivement alarmante, au-delà du sensationnalisme, nous devons garder le cap vers une vraie perspective en sortant de cette crise. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre, ce serait alors tomber de Charybde en Scylla, et il serait alors trop tard…
En observant la situation avec du recul, on discerne de bonnes nouvelles. Les émissions globales de carbone chutent fortement. La Chine a enregistré une baisse de 25% de ses émissions depuis le début de l’année. L’Italie, le Royaume-Uni et la France ont rapporté des baisses de 16% au cours du mois de mars, depuis le début des confinements. Jamais l’Europe n’a eu une aussi bonne qualité de l’air. Il est également rapporté que New York affiche une réduction de 50% de sa pollution. Delhi a vu chuter de manière spectaculaire, en une semaine seulement après le début de son confinement, son taux de PM 2,5 de 71% ! Ceci est une bouffée d’air frais, mais pour combien de temps encore ?
Alors que les impacts sont ressentis, localement et globalement, sur l’économie, des mesures de relance sont conçues en vue de soutenir l’industrie pour que les affaires retrouvent, post-crise, leur dynamisme antérieur. Mais devons-nous vraiment revenir là où nous étions ? Se remémorer avec un sentiment de nostalgie les précédentes données économiques évite de rappeler combien notre monde, avant le coronavirus, était affligé de blessures sociales et environnementales. Des plans de relance conçus pour ramener au « business as usual » seraient une erreur. En y ayant recours, nous pourrions, encore une fois, provoquer une flambée d’émissions, avec des conséquences dramatiques et irréversibles pour les prochaines décennies. Au lieu de revenir au passé, nous devons nous tourner vers l’avenir. Pour cela, l’expérience forcée que nous vivons démontre qu’un mode de vie alternatif – auparavant repoussé avec une résistance agressive – est bien possible. Nous déboucherons sur toute une palette d’opportunités, pour redéfinir le monde.
La découverte de la proximité, de nos voisinages, du quart d’heure, de la demi-heure, de nos ressources matérielles et immatérielles, d’autres manières de travailler limitant les déplacements, du poly centrisme et du multi usages, par exemple, montrent que nous pouvons faire autrement, que nous pouvons sortir de la possession de la voiture et des longs trajets, pour privilégier d’autres usages, pour vivre autrement. Nous pouvons ainsi réduire la pression sur les infrastructures physiques, en rendant caduque la construction de nouvelles routes, permettant d’économiser des milliards de dollars de travaux publics. Nous pouvons utiliser plus et mieux les infrastructures existantes. Nous pouvons vivre en diminuant radicalement nos émissions de CO2, en préservant la nature, la biodiversité et ses ressources. Nous pouvons mener une vie en accord avec la lutte pour le climat. Ces économies budgétaires pourraient bénéficier à d’autres secteurs prioritaires dans le besoin, tels que la santé, l’éducation, le soin pour nos aînés et pour nos enfants… Nous sommes nombreux à préconiser ce changement indispensable pour aller vers d’autres manières de produire et de consommer, cette « quatrième révolution industrielle », qui a rencontré une féroce résistance au changement.

Notre réponse au COVID-19 a été élaborée et façonnée, souvent de manière improvisée, et au nom de la survie. De nombreuses barrières d’usages ont sauté du fait de ce bouleversement, et la confiance accordée par les citoyens aux gouvernements sera liée au succès sanitaire, mais aussi aux perspectives d’avenir qui seront proposées. Nous devons garder cet élan pour aller plus loin. Depuis la naissance de la révolution numérique, pour la première fois une nouvelle voie s’ouvre, pour qu’elle accompagne une réelle et profonde transformation sociétale ; pour passer du « zombie geek » (l’hyper connecté technologiquement, mais déconnecté socialement) au citoyen utilisant le numérique pour son bien-être, le « digital citizen, le digizen ». C’est un vrai rôle, vital pour la technologie, pour que ces nouvelles manières de travailler s’améliorent, l’e-work/travail se prolonge vers les e-health/santé, e-education/éducation et e-others/autres. Notre société doit se transformer pour faire émerger un soi plus résilient. Nous devons utiliser cet élan pour engager un changement significatif, pour soigner nos blessures sociétales, pour restructurer notre agenda économique et raviver nos réseaux de confiance et de collaboration.

Nous avons, depuis longtemps, parlé d’un modèle de changement transitionnel, afin de ne pas bouleverser les dispositifs économiques globaux. Mais, aujourd’hui, nos machines ont été brutalement paralysées, les soucis de transition n’ayant plus cours. Nous avons l’occasion, l’obligation même, d’être plus audacieux et de parler de changements systémiques. Nous ne cherchons plus un logiciel de montée en gamme, nous sommes au seuil d’une révolution. Les gouvernements, les décisionnaires et les entreprises doivent réaligner les discussions pour réfléchir à notre vie post-virus. Ils seront jugés par les choix pour modeler les nouvelles orientations. Les générations futures, la génération naissante, « La C-Generation », celle du COVID-19, ne leur pardonneraient pas s’ils se trompent.

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