ARCHÉOLOGIE : Un travail de fourmi pour la reconstruction de la mémoire

Pendant deux semaines, l’équipe de l’archéologue mauricien Krish Seetah, de l’Université de Stanford aux États-Unis, s’est penchée une nouvelle fois sur le cimetière du Morne pour des fouilles archéologiques. Le but : mieux connaître la population — esclaves, esclaves libres, marrons ou propriétaires d’esclaves — ayant habité la péninsule du Morne, son origine et son mode de vie. C’est à un travail de fourmi que se sont livrés ces étudiants pour mettre à jour neuf nouveaux squelettes. « Trois d’adultes, six enfants dont un bébé », affirme Krish Seetah au Mauricien. Les travaux de ces nouvelles fouilles ont pris fin vendredi dernier.
Situé à quelques mètres du terrain de foot en direction du village du Morne, le cimetière est jalousement abrité au fond de la forêt, en bord de mer, qui se trouve au pied de la montagne. Seuls les habitants du Morne et quelques avisés connaissent son emplacement. Une fois le passage d’accès décelé à partir de la route goudronnée, l’on tombe directement sur une clairière parsemée de pierres indiquant l’emplacement des tombes. « Ce ne sont cependant pas toujours de bonnes indications », indique Krish Seetah au Mauricien qui le rencontrait sur place la semaine dernière. Des carrés de sable ont été tracés, découpés et fouillés. Autour, nombre d’accessoires y sont déposés : éponge, brosse, pinceau, couteau, scie, pelle, pioche… Un premier coup d’oeil donne l’impression qu’il n’y a pas grand monde sur place. De temps à autre, une tête émerge d’une tombe. Les cinq chercheurs sont à l’intérieur.
Julia Haines doctorante en anthropologie-archéologie de l’Université de Virginie pioche dans une tombe qui se situe au bord de l’eau. Muni d’une pelle, Edino Minerve, élève en Form III au collège d’État de La Gaulette l’aide à enlever le sable, qu’il transporte dans un panier pour en faire un amoncellement un peu plus loin. « The bones are scattered around. It is the crabs », dit-elle en tamisant le sable. Elle retire un fragment de couleur brun, le regarde et le jette. « C’est un morceau de bois », avance-t-elle. Julia Haines fait des recherches sur les marrons de Maurice. « Because Mauritius is an island, it is a unique place for research. I’m working on the archaeology of Maroons in Mauritius », poursuit-elle en précisant qu’il est plus facile de délimiter le terrain de recherche.
Edino Minerve habite le village du Morne. Il a été recruté pour quelques jours par le Morne Heritage Fund (MHF) pour travailler sur le site. Il observe attentivement Julia. Il n’est pas à son première expérience sur un site archéologique. « L’année dernière, j’étais là. Ils étaient à trois. » Edino découvre cette discipline scientifique : « C’est très intéressant. On apprend beaucoup de choses et cela demande de la patience. » Le jeune Mauricien n’hésite pas à poser des questions lorsqu’il trouve des fragments. Tout comme Julia qui, elle-même, sollicite l’expertise d’Alessandra Cianciosi qui co-dirige les travaux avec Krish Seetah : « Is it a fragment ? », demande-t-elle tenant dans sa main un petit objet ressemblant à une paillette. « No, it’s a coral », lui répond Alessandra Cianciosi. À l’aide d’un morceau de bois, celle-ci gratte énergiquement dans une tombe. Au bout de longues minutes, ses mouvements ralentissement, elle sent une surface dure sous son instrument. Elle apparaît bientôt. De couleur brune orangée. « Oh, it seems to be a the clavical of an adult », lance-t-elle, heureuse de ses trouvailles après tout ce temps accroupie dans la tombe. Alessandra Cianciosi est de l’université de Venise. Elle fait des recherches post-doctorales et est à sa deuxième visite à Maurice.
Entre temps, Lizzy Monreo et Marissa Firrante, toutes deux de l’université de Stanford épongent précautionneusement le fond d’une tombe où l’eau de mer source, selon la marée. Elles y ont trouvé un squelette. Ensuite, à l’aide de couteaux d’artistes, elles enlèvent le sable pour ne pas abîmer les os ou les déranger de leur emplacement. « Ils sont bien mieux préservés qu’à Bois-Marchand », indiquent-elles en ajoutant que par conséquent, il est plus facile de faire des fouilles dans le sable mouillé qu’en terre, de surcroît lorsqu’elle est riche en fer comme à Bois-Marchand, où elles ont travaillé les jours ayant précédé les travaux au Morne. Lizzy Monreo, qui n’a pas encore choisi de spécialité pour sa quatrième année qu’elle entame à la rentrée, a une expérience pratique en archéologie pour avoir été sur un site au Pérou et Marissa Firrante, qui souhaite poursuivre en ostéologie, a une expérience pratique du Royaume-Uni.
À quelques mètres de là, Nick Brown a déjà dégagé deux squelettes : l’un d’un bébé et l’autre d’un enfant à un niveau inférieur. Il recouvre les deux découvertes de sac poubelle, le temps de la pause déjeuner. « At the end of the day, we cover it with a basket », fait-il ressortir. Du sable est ensuite remis dans la tombe pour la remplir. En ces mêmes lieux, Nick Brown a aussi repéré d’autres traces qui indiquent la présence d’une tombe. D’un adulte je pense, dit-il. Le jeune homme termine aussi sa troisième année d’archéologie. Il observe que la couleur du sable délimite la présence d’un cercueil. Ici, le sable fouillé et remis en place est plus foncé. Notre interlocuteur a fait des travaux pratiques au Pérou et en Turquie. Son intérêt pour l’archéologie réside dans la relation que l’homme entretient avec son histoire.
L’équipe du professeur Seetah a quitté le pays à la fin de la semaine dernière. Dans une interview accordée au Mauricien, ce dernier souligne que « le plus gros du travail sera fait ici sauf pour les analyses ADN qui se seront faites dans les îles Canaries et les analyses isotopiques à Cambridge ».

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