AU NOM DE LA DIGNITÉ HUMAINE : Aluta continua ! *

AICHAH SOOGREE

La structure légale n’a jamais été construite pour ceux ne détenant pas le pouvoir. Les changements ayant conféré davantage de pouvoir et de liberté à ceux qui n’en avaient pas se sont opérés dans le sang des révoltes. Si on se souvient d’Anjalay Coopen, c’est parce que sa mort s’est inscrite dans cette tradition de révolte pour changer la donne. Sur cette île, les quelques lois ‘justes’ ouvrant la voie à une démocratie accrue disparaissent, effaçant le travail de nos aïeux, ceux-là mêmes qui ont tout risqué, tout donner. Fini par exemple le droit de grève spontanée, fruit de la révolte des femmes travaillant dans la zone franche. Mais il n’y a pas que les lois ‘justes’ qui disparaissent – notre empathie, notre intelligence et notre humilité aussi.

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Cela fait des mois que femmes et enfants dorment dehors parce que le gouvernement a mené une opération monstre contre des « squatters ». J’ai du mal avec le terme « squatters » car à lire le rapport de la Truth and Justice Commission, à revoir les archives et l’histoire de ce pays, les « squatters » ne sont pas ces femmes peinant à joindre les deux bouts, qui, à force de faire la ronde des bureaux de la structure publique et privée censés les aider, ont décidé un jour que la dignité d’un toit leur était due – à leur être et à celui de leurs enfants. On aura beau me dire « ayo, enn ta traser ladan » en parlant de ces familles, la vérité est tellement plus complexe à mon sens. La ‘criminalisation’ de la pauvreté a toujours existé mais cette manie de s’acharner sur des gens déjà à bout ne relève-t-elle pas d’une perversité? La mort d’un nourrisson, les récits de nombre de personnes sur leurs démarches n’ayant jamais abouti pour une maison ou encore l’appel d’artistes, de religieux… n’y ont rien changé. Pourquoi ? Peut-être parce que les politiques ont trouvé dans ces poches de désespoir un filon non négligeable de personnes prêtes à tout pour un toit décent. Car c’est dans ces ‘poches’ que l’on recrute pour coller les affiches, décoller ceux des autres, faire les gros bras pendant les campagnes électorales… Mais pas que, rappelez-vous la rage de Madame Mélodie vis-à-vis des Obeegadoo, le fait d’avoir fait le sale boulot et être ainsi récompensé…

La politique c’est du sérieux, des idées, un idéal qui respecte la dignité des gens si on se clame de gauche. Si pa kapav pran sarz, inn ler pou pran retret. Le manque de dignité de certains élus et  ministres, entre autres, est flagrant.

L’Ombudsperson for Children parle de retirer les enfants des camps de « squatters » mais la Child Development Unit (CDU) est déjà une structure surbookée. On traumatisera des enfants qui n’ont rien demandé alors que l’on veut éviter des « children beyond control ». Pire, on oublie qu’en premier lieu c’est le fait même d’avoir déplacé des gens en pleine pandémie qui a provoqué cette situation. A-t-on perdu la raison pour ne pas s’en prendre à qui de droit ? Est-ce qu’on s’en fout au gouvernement parce qu’il s’agit de femmes majoritairement ? La CDU et des structures semblables n’ont-elles pas des préjugés vis-à-vis des gens démunis ? On parle constamment de venir en aide, d’assister mais pas de se révolter… La dignité humaine n’a pas de prix, ces mères ayant bravé la loi pour donner un toit à leurs enfants méritent notre admiration et on devrait poser les bonnes questions. Pourquoi n’a-t-on pas de logements dignes de ce nom en 2020 pour des gens qui en cherchent ? Est-ce normal de loger des personnes dans des longères alors que celles-ci ont déjà prouvé leur faillibilité comme à Baie du Tombeau ?

Il y a quelques semaines, un groupe de femmes en Afrique du Sud (#weseeyou) a enclenché la machinerie pour occuper une villa de luxe à Camps Bay pour rappeler les inégalités flagrantes quant au logement. Cette initiative n’a pas été prise sur un coup de tête mais bien parce que l’État est sourd et muet, qu’il profite de la précarité, qu’il a poussé ces femmes de la communauté LGBT+ à bout. L’une d’entre elles m’a dit : « À force, tu n’as plus envie de pleurer, de crier, tu regardes l’État et tu vois le patriarcat, cette force qui nous fait du mal en tant qu’humain, et la seule solution possible c’est le combat ». Aluta continua.

* La lutte continue

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