Au pays des Bisounours

À Maurice plus que dans la plupart des autres pays, l’image que l’on projette sur la scène internationale est indéniablement d’une importance capitale. Et pour cause : notre relatif isolement géographique nous conférant une relative fragilité, notre développement reste intimement lié aux rapports que l’on entretient avec le reste du monde, les seules ressources naturelles impérissables dont nous disposons n’étant finalement que notre intelligence à poursuivre notre construction, en tant que nation, d’abord, mais aussi économique.

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Pour autant, devons-nous systématiquement brader notre intégrité intellectuelle aux plus offrants ? La réponse, hélas, n’est pas la même pour tout le monde. Aussi, lorsque l’on se risque à dénigrer les institutions ainsi que leur fonctionnement, que ce soit par le biais de projections économiques ou d’annonces (fondées ou non) d’interventions de l’État afin de pousser un pays tiers à l’extradition d’un ressortissant jugé trop indésirable, nos élus sont toujours prompts à remettre les pendules à l’heure. Évidemment, l’on parle ici de l’heure politique, et dont le décalage avec tout baromètre extérieur négatif ne serait à inscrire que dans la pure logique du « verre à moitié plein » !

La vérité, bien sûr, n’est jamais qu’une vision de l’esprit, tant il est vrai qu’à un problème donné, les facteurs exogènes sont suffisamment nombreux que pour nous pousser à adopter des postures diamétralement opposées. Reste que, trop souvent, la perception de nos décideurs, du jour et antérieurs, apparaît comme un acte évident de mauvaise foi. Ainsi, la question de la croissance économique, pour ne prendre que ce seul exemple, a dernièrement bénéficié de séances d’autocongratulation au sein du gouvernement, appuyés en cela il est vrai par des classements pour le moins flatteurs de la Banque mondiale et de Mo Ibrahim. Aussi, lorsque la dernière édition de MCB Focus a revu à la baisse le taux de croissance réel de 0,1% (ce qui apparaît d’un prime abord peu de chose), les premiers couteaux sont-ils rapidement montés au créneau pour clamer leur totale désapprobation. Une source au PMO demandait ainsi si, avec pareille projection, « on veut casser le moral du pays ? ». Et de reprendre immédiatement avantage des indicateurs précités, se flattant d’être premier en Afrique dans l’indice Mo Ibrahim, oubliant dans le même souffle de préciser que ce même indice était en baisse (légère, là encore, il est vrai), le pays enregistrant son score le plus bas en dix ans.

Dans le même temps, notre ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, Sudhir Sesungkur, s’attaquait de son côté au Fonds monétaire international (FMI), et plus particulièrement à la récente publication d’un document de travail sur son site Web. Dans ce rapport, intitulé “The Cost and Benefits of Tax Treaties with Investment Hubs: Findings from Sub-Saharan Africa”, les auteurs estimaient en effet que les pays africains signataires de traités de non-double imposition avec Maurice n’avaient « pas obtenu de grands bénéfices » en termes d’apport de FDI et de revenus fiscaux, évoquant même l’évasion fiscale. Ce que rejette évidemment le ministre, pour qui le document contenait « des ambiguïtés et des contradictions ». Doit-on dès lors postuler que le FMI s’est trompé ? Voire encore qu’il en a oublié quelques facteurs « indigènes » dans son approche ? Pour le commun des mortels, impossible de le savoir. D’autant que le « bon » ministre de la gouvernance (ou le contraire, c’est selon) et ses officiers n’auront jamais clairement explicité ce qu’ils entendaient par les termes « ambiguïtés » et « contradictions ».

Il ne s’agit évidemment que de quelques exemples, auxquels nous aurions pu en ajouter bien d’autres, comme les volets de la pauvreté, de l’ethnicité (dans le sillage de la récente intervention de l’Attorney General Maneesh Gobin devant le comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale), du bilinguisme, voire du chômage (à la méthodologie de calcul contestable). C’est connu, le linge sale se lave en famille. Aussi, tant que les questions s’exposent sagement entre nos frontières nationales, personne n’aura rien à y redire, ou si peu de chose. En revanche, hors de question que nos affaires internes s’exportent, au risque de ternir la belle carte postale mauricienne que nous vendons à l’étranger depuis si longtemps déjà.

En d’autres termes, si vendre notre destination, aux touristes comme aux hommes d’affaires, est un impérieux besoin, le fait est que nous devrions faire la différence entre « ce qui peut être dit » et « ce qui doit être dit ». Une ligne de démarcation difficile à situer, c’est vrai, et encore moins à atteindre. Mais à force de bomber le torse à la moindre récompense et à feindre l’ignorance lorsque se profilent des « macadams », nous pourrions un jour le regretter. En attendant, l’autruche continue d’être l’animal roi sous notre beau soleil. On vous l’a dit : « À Maurice, tout… va… bien ! »

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