Aujourd’hui à Marie Reine de la Paix, Hier au Vatican

PAULA LEW FAI

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Deux moments de profonde émotion.

De ces émotions qui ne s’expliquent pas trop, émergeant d’un lieu enfoui au plus profond de nous-mêmes que par pudeur, on ne voudrait pas révéler.

Aujourd’hui François, hier Paul VI.

Un long chemin de l’Église, un long chemin personnel également.

Au Mozambique, à Madagascar et à Maurice, aux pieds de Marie Reine de la Paix, François fait inlassablement appel aux jeunes, à la joie de vivre, à l’espérance, au courage pour ne pas renoncer, renoncer à soi-même. La fatigue, l’adversité (1) sont là. Le peuple voit, partage ce chemin de croix de tous les instants qu’il accomplit, en bon pasteur, en pèlerin de paix. Courage inouï de dénoncer la culture des privilèges, « l’idolâtrie de l’argent », de rester près des petits, humble, si proche de cette humanité en souffrance. Le visage d’une Église blessée, ancrée dans le réel, plus dépouillée des privilèges du monde, au plus près du message évangélique.

La ferveur autour de François est authentique. « Viva il Papa ». L’émotion est générale. La tendresse et le pardon de Dieu sont là, en cette figure du Père qui attend inlassablement le Fils prodigue. Et on revit cette autre scène biblique de Jésus montant à Jérusalem, entouré de foules portant des palmes que l’on retrouvait sur les pièces impériales, avant d’y être crucifié.

Réconciliée avec les autres, avec elle-même, la foule à Marie Reine de la Paix porte aussi les « palmes ». Elle chante « legliz vivan ki enn pep an mars lor enn mem sime….enn lespwar ki met lazwa dan nou leker ».

C’est un Hosanna joyeux mais c’est aussi un « Sauve moi ! » ou  » Sauve nous ! », premier sens du mot Hosanna, le cri que le pauvre adressait au roi qui pouvait le sauver et lui faire justice. C’est aussi ce cri que le peuple lance vers Dieu dans sa marche vers le temple : « Donne, Seigneur, donne le salut » Psaume 117, 25 (2).

Et comme partout où il va, cette demande finale de François de prier pour lui. C’est aussi un Hosanna, non plus festif, mais celui du

« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes… et vous n’avez pas voulu ! » Luc 13, 34.

En moi-même, j’ai compris. Et j’ai eu mal. Loin, très loin.

Je me suis vue à Rome, pleurant un soir de lune et d’étoiles dans les rues du Trastevere. Je ne comprenais pas mon Église. Je ne pouvais comprendre cette institution romaine, si décalée par rapport au monde, désincarnée, emmurée dans une morale étriquée, reproduisant pour beaucoup des privilèges et des pouvoirs temporels. C’était toute mon enfance et ma jeunesse qui s’en allaient. Le fondement même de ce qui faisait ma joie de vivre.

Du temps de Paul VI, étudiante de psychologie en France, à ma plus grande stupéfaction, je fus nommée au Conseil des Laïcs, comme jeune, de sexe féminin, étudiante, représentante de la Jeunesse indépendante catholique internationale (JICI) dont j’étais responsable nationale et membre du bureau international, représentante de l’Afrique, de l’Asie, de l’océan Indien. C’était beaucoup trop de responsabilités pour moi qui prenais ces différents rôles très au sérieux. Entourée des plus grands de la Curie Romaine, la plus jeune, considérée par beaucoup comme une mascotte – certes exotique – je me sentais si seule, ne comprenant guère mon malaise, ne pouvant l’expliquer, devenue muette tout d’un coup devant tant de protocoles, de discussions en coulisse pour faire adopter ou rejeter tel ou tel article du document final. En assemblée générale, devant tant d’interprètes et tant d’experts, de laïcs chevronnés à l’éloquence bien rodée, qu’étais-je ? Une jeune fille d’un rocher de l’océan, peu versée en diplomatie, en quête de vérité. Larguée, à la croisée de plusieurs cultures, tout repère ayant volé en éclats. Mes études en psychologie ont également participé à cette remise en cause fondamentale, ce délabrement de tout ce qui a constitué mes croyances les plus fortes, ces valeurs qui nous donnent force et joie de vivre dont parle François. Avec d’autres membres du Conseil des Laïcs, j’ai rencontré le Pape Paul VI, une douceur ineffable. J’ai tenu deux ans entre études et Conseil à Rome. Puis le cœur dévasté, malgré la grande affection dont j’étais entourée par certains dont Marie Louise Monnet (sœur de Jean Monnet et fondatrice des mouvements jeunes et adultes du milieu indépendant), j’ai écrit une lettre à Paul VI pour lui demander de me démettre de mes responsabilités. Qu’ai-je écrit ? Sans doute des mots de jeune, d’une certaine naïveté ou innocence.  Je me souviens uniquement d’une page mouillée de larmes. Celles du deuil de l’enfance.

Je voulais, il y a cinq ans, revoir notre salle de réunion au Conseil des Laïcs à Rome. Cette salle si grande et impressionnante pour moi à l’époque a repris ses véritables dimensions. Et je me suis souvenu de la jeune fille que j’étais, levant le doigt pour réclamer la parole. Devant attendre son tour. Une véritable crucifixion : et ensuite, ce sacré décalage entre des mots de tous les jours et le verbe des autres planant sur la salle, balbutiements mais, malgré tout, allant jusqu’au bout. M’est revenu avec attendrissement le souvenir d’un des vétérans de ce verbe là, me disant que lors des séances, entre somnolence et lecture de l’Osservatore Romano, on était en semi-veille mais dès que je levais mon petit doigt, tous se redressaient car ce que je devais dire devait être très important pour moi. Le courage des petits.

En écoutant François et sa demande de prière, la présence de Paul VI était à mes côtés. Je lui ai demandé pardon de lui avoir écrit cette lettre mais je sais aussi que pour cette fidélité à soi-même, ce non renoncement à ce qui nous est le plus cher, il fallait le faire.

C’est un chemin de vie : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ».

Avec François, nous sommes cette Église blessée, chancelante parfois, chantant Hosanna dans les moments de fête et aussi dans le désert quand la pluie se fait désirer trop longtemps.

« C’est pourquoi voici, je veux l’attirer et la conduire au désert, et je parlerai à son cœur.
Là, je lui donnerai ses vignes et la vallée d’Acor, comme une porte d’espérance, et là, elle chantera comme au temps de sa jeunesse, et comme au jour où elle remonta du pays d’Egypte ». Prophète Osée, 2, 14-15

La pluie est venue et le soleil a resplendi aussitôt. À Marie Reine de la Paix.

(1 Cf. par ex. Senèze N., Comment l’Amérique veut changer de pape, Bayard, 2019.  Thèse qu’une frange du catholicisme américain a saisi l’occasion des scandales au sein de l’Église catholique pour multiplier les attaques contre François. De riches philanthropes ont noué des liens étroits avec certains évêques américains ces dernières années et voient d’un très mauvais œil l’arrivée du pape argentin, qui dénonce « l’idolâtrie de l’argent ».

(2) En la fête de Sukkôt ou des Tentes, célébrée à l’automne rappelant le temps du nomadisme au désert, durant lequel Dieu veillait, on demandait aussi, par ce cri, l’eau pour les semences et moissons à venir. Dans le cadre de la fête, le terme est devenu une acclamation, repris plus tard pour dire l’attente eschatologique, l’attente de la venue définitive du Messie : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Psaume 117, 26

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