BEACHCOMBER—Le Chef Paul souhaite plus de Mauriciens Chefs exécutifs

Le 15 septembre dernier, à 66 ans, le chef Paul Ng Hung Shing a raccroché toque, tablier, casseroles et couteaux après 45 années passées au sein du groupe Beachcomber. Quelques semaines avant de partir, le Chef exécutif des restaurants de l’hôtel Trou-aux-Biches Resort and Spa rencontrait Le Mauricien. Une occasion pour revenir sur son parcours et sur l’évolution de l’hôtellerie et de sa cuisine, à Maurice. Il souhaite qu’il y ait plus de Mauriciens qui s’affirment et prennent les responsabilités nécessaires pour devenir Chef exécutif.
Issu d’une fratrie de cinq garçons et deux filles, Paul Ng est né à Port-Louis mais a grandi à Curepipe. Par la suite, sa famille a déménagé à Rose-Hill. Il a perdu son père, un commerçant venu de Chine, lorsqu’il était enfant, et sa mère a travaillé dur pour élever ses sept enfants. Paul Ng fréquente l’école primaire Saint-Enfant Jésus, ensuite la Belle-Rose Central School jusqu’à la Form IV et opte pour la filière technique, plus précisément la cuisine. Parallèlement, pour se faire de l’argent de poche, le jeune Paul travaille au restaurant Coin Idéal, à Rose-Hill, durant le week-end et les jours fériés. Il a tout juste 14 ans. Le jeune Ng prend aussi du plaisir à voir les anciens cuisiniers en cuisine. « Le restaurant appartenait à mon oncle. J’y ai appris à faire des mines et des plats simples comme le meefoon et les boulettes ». Deux ans plus tard, suivant un cousin qui travaille à l’hôtel Le Morne Brabant, il y entre comme plongeur. L’hôtellerie mauricienne est à ses premières prémisses. « Les chefs mauriciens y préparaient des currys de poulet ou de camaron, le camaron à la sauce rouge, gratins, soufflets, coeur de palmiste… Je les observais et j’apprenais ». Ayant perçu son intérêt pour la cuisine, le directeur de l’hôtel l’envoie suivre une formation en cuisine à l’occasion de la formation que propose New Mauritius Hotels en collaboration avec une société française de formation dans le cadre de l’ouverture d’un nouvel établissement : le Dinarobin. « Et là, la première école hôtelière voit le jour aux Casernes de Curepipe. On commence à apprendre les techniques de cuisine, à préparer les mets et à lire une recette. Aujourd’hui on sait que chaque morceau de viande a un nom. Mais à l’époque on ne le savait pas. Pareil pour la découpe des légumes et la préparation des différentes sauces. Tout cela était nouveau. Ce que je ne comprenais pas, je le cherchais dans des bouquins par la suite et je découvrais aussi la dimension scientifique de la cuisine. Alors qu’être cuisinier était mal vu à l’époque, cette formation ouvrait notre esprit. On découvrait les différents métiers de cuisine et la hiérarchie ». Après six mois en formation accélérée, Paul Ng est employé au Dinarobin. « J’avais 19-20 ans et je devais cuisiner pour 50 à 60 personnes en collaboration avec les Chefs français qui étaient là ». Il obtient par la suite une bourse d’un an à l’École d’alimentation de Paris. Une formation complétée par des stages pratiques dans les hôtels Novotel et Le Méridien, et en pâtisserie française, notamment chez Gaston Lenôtre et chez Air France. « Le catering pour les avions est différent. Tout est bien pensé. Il y a un menu préétabli en fonction de la destination, par exemple ». Ce séjour à Paris lui fait découvrir une autre facette de la cuisine et du service. « J’apprends à faire des mets allégés, à travailler les produits différemment. J’ai essayé d’adapter toutes ces nouvelles connaissances ici ».
« Sélection naturelle »
De retour à Maurice, Paul Ng travaille pour la Dinarobin et l’hôtel Trou-aux-Biches. Il évoluera au sein du groupe avant de se poser, en 1980, à l’hôtel Trou-aux-Biches. Il fera de nombreux autres stages à l’étranger et continuera à suivre l’évolution dans les techniques de cuisine et les produits. « J’ai vu toute cette évolution ».
Constate-t-il un intérêt de la part des jeunes pour les métiers de cuisine ? « J’ai vu beaucoup de jeunes qui se sont joints aux métiers de cuisine pour des raisons de chômage. Mais il est important de savoir que la cuisine est un métier très dur et on ne peut pas s’y lancer si on n’est pas sûr. Il n’y a pas de jours de fête, de samedi ou de dimanche ou de jours fériés. Il faut être prêt à travailler de longues heures. On est debout du matin au soir, c’est donc très dur physiquement. Les conditions se sont nettement améliorées mais n’empêche que le métier est encore très dur. Cependant, une sélection naturelle s’opère et seuls les passionnés demeurent. La formation à l’école hôtelière permet aux jeunes de prendre connaissance de ces différents métiers – boucher, pâtissier, sommelier, le bar, le service etc. — avant de s’y lancer. Ils ont une formation technique, théorique et pratique. Ils ont aussi l’occasion de travailler dans des établissements étrangers », répond-il en précisant que le cuisinier ou Chef travaille toujours en collaboration avec les autres personnes engagées dans les métiers de cuisine.
Notre interlocuteur observe que la cuisine mauricienne a de multiples facettes. Pour lui, il faut être ouvert à ce qui se fait dans le monde, essayer d’adapter les techniques à la nôtre, mais il récuse le terme « cuisine fusion ». « On adapte les techniques et les produits. C’est cela qui fait grandir », affirme-t-il, avant d’ajouter que la télévision et l’internet ouvrent une grande fenêtre sur ce qui se fait ailleurs, notamment à travers toutes les émissions culinaires. À plus forte raison qu’aujourd’hui, dit-il, la vie est sédentaire et que de nouvelles maladies font leur apparition. Il est donc important de suivre l’évolution de la cuisine vers le diététique. Le Chef Paul a un mot spécial pour le directeur de l’hôtel, Michel Daruty de Grandpré, « qui m’a toujours encouragé à aller de l’avant ». « J’ai toujours travaillé en étroite collaboration avec lui », dit-il.
Pour le Chef Paul, la réussite réside dans la persévérance, le sacrifice de soi et le sens des responsabilités. « Si vous restez dans votre coin, vous n’allez pas avancer ». Son fils aîné a suivi ses pas. Après des études en Food technology, il a ouvert une pâtisserie/café, le 8083, à Grand-Baie. À sa retraite, le Chef souhaite « rattraper le temps perdu » et pourquoi pas « partager ma riche expérience et prodiguer des conseils à ceux qui le sollicitent ». Paul Ng demande aux jeunes de bien réfléchir avant de se lancer dans ces métiers et souhaite qu’il y ait plus de Mauriciens qui s’affirment et prennent les responsabilités nécessaires pour devenir Chef exécutif. « Il n’y a pas que les étrangers qui peuvent le faire ». Le chef Paul Ng quitte le Trou-aux-Biches Hotel non sans un pincement au coeur, et fier de son équipe.

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