Bienheureuse métanoïa !

Il y a des choses auxquelles l’on ne veut croire, que l’on ne veut voir. Parce qu’elles font mal, parce qu’elles pourraient changer notre regard, nos perspectives. Des changements que l’on appréhende, simplement parce que, par nature, tout changement comporte son lot d’incertitudes, et donc d’inquiétudes. Aussi préfère-t-on ignorer les évidences, et s’enfermer dans le déni, quitte à ignorer la dangerosité de ce type de comportement. Pour autant, quelquefois, il suffit d’un événement, soudain et terrible, pour changer, au moins un court laps de temps, notre état d’esprit. Ce sentiment, les psychologues l’appellent « métanoïa ». Loïc Steffan, cofondateur de l’Observatoire des vécus du collapse, la définit en ces termes : « La métanoïa est une conversion du regard qui fait que l’on croit enfin ce que l’on savait déjà. On ne peut plus se réfugier dans le déni. Elle peut être provoquée par n’importe quoi. Pour Greta Thunberg, ça a été les ours polaires. Pour d’autres, ce sera la disparition des abeilles. » Et pour d’autres encore… la Covid-19.
C’est un fait, la propagation du virus, et les plus de 500 000 morts qu’il aura fait en quelques mois, aura suscité un vent de panique mondial. Certes, nous vivons tous la crise de manière différente, mais la plupart d’entre nous seront néanmoins passés par des phases identiques, à commencer par la peur naturelle de contracter le virus. Cette peur se sera ensuite affinée, nous faisons craindre pour nos emplois, nos revenus, bref, notre sécurité. Et donc de voir compromis ou altéré notre mode de vie. Pour certains, cela sera aussi passé par la recherche d’un coupable, l’idée qu’il y en ait un nous permettant de nous soustraire d’une partie de notre colère, née de l’angoisse. Toutefois, si, au début, il n’était pas question de pointer du doigt les limites de notre système, cette perception tend progressivement à changer.
Après le déni, vient alors l’heure du questionnement. Beaucoup ont en effet commencé à se rendre compte de la perversité de notre monde globalisé, où tout apparaît si parfaitement imbriqué que la moindre secousse de magnitude supérieure vient en ébranler les fondements. On l’a bien vu avec la Covid : le virus a « profité » des failles de notre système néolibéral pour se propager à une vitesse inédite. Mais, surtout, il nous aura permis de constater nos manquements. Les magasins et stations-service ont été pris d’assaut, provoquant de rapides ruptures de stock ; pour beaucoup, usines et bureaux ont fermé leurs portes, créant en aval d’autres ruptures ; tandis que nos avions sont restés cloués sur le tarmac, empêchant quiconque ou quoi que ce soit de bouger. Partout, les gens, conscients que la chute de ce premier domino risquait d’entraîner les autres, ont alors commencé à réfléchir à une forme de résilience qui leur permettrait de survivre si d’aventure le confinement devait se prolonger. Chez nous, cela s’est aussi constaté au niveau de l’appareil d’Etat, où le terme « autosuffisance » est plusieurs fois revenu sur le tapis, du moins jusqu’à ce que le budget ne vienne quasiment le balayer des priorités.
Ce phénomène n’est cependant pas unique à Maurice. Partout, le discours politique aura plus ou moins été le même, bien qu’avec des réponses différentes. Cette phase d’acceptation, même temporaire, est cependant importante, car elle est en quelque sorte le moteur de l’action. Sans elle, nous ne bougerons pas. Reste à savoir maintenant de quelle manière nous « bougerons », si nous le faisons bien sûr. La Covid ayant fait apparaître une brèche dans notre système, nous n’avons en effet que trois solutions : soit nous ne faisons rien, soit nous la colmatons (un peu comme nous le faisons avec de la colle sur un tuyau percé), soit nous reprenons tout à zéro. Et inutile de dire que cette dernière solution est assurément plus intelligente, car plus résiliente.
Dans tous les cas, et au risque de nous répéter, la Covid est une aubaine en ce sens qu’elle pourrait nous permettre de faire un « reset » de notre système pour en reconfigurer ensuite les visions. Dès lors, pourquoi ne pas profiter de cette « scission mentale », comme l’appelle Loïc Steffan, pour revoir l’ordre du monde, reconstruire le système, recomposer le réel en en soustrayant au maximum nos considérations mercantiles ? Bref, de revenir à l’essentiel, pour un monde définitivement débarrassé de ce qui l’aura amené aujourd’hui au bord du précipice.

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Michel Jourdan

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