Bourde ou opportunité?

Les élèves du collège Royal de Curepipe ont fané… bien fané. Il n’y a pas à sortir de là. Non seulement ils ont été mal inspirés, mais se sont comportés comme des inconscients irresponsables. Leur démarche a été sévèrement condamnée et continue à provoquer des réactions.

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Cependant, la direction que prend cette polémique me dérange. Je situe cet incident dans un contexte où, d’après moi, trois facteurs doivent être pris en considération :

[1] Le collège Royal est un collège d’élite, fréquenté par des enfants d’une élite bourgeoise loin des préoccupations d’une frange de la population des cités. Ce collège est, au départ, inaccessible à ces exclus du système ‘one size fits all’.

[2] Chaque année, la période du 1er février ravive de douloureux souvenirs – cette année encore plus avec la vulgarisation du fameux Code Noir. Cela nous rappelle comment la communauté créole est restée au poteau, marginalisée, exclue du développement. Elle peine à se frayer un chemin dans une société où l’égalité des chances ne semble qu’un slogan creux.

[3] Le mood social : malgré le ‘feel good’ factor que le Premier ministre ‘sent’ en ce moment dans la société, cette population est accablée par toutes sortes de préoccupations : inondations et perte d’effets personnels et provisions, coût de la vie, l’eau qui ne coule pas dans les robinets, prolifération de la drogue, sentiment d’être des laissés pour compte… pour ne citer que quelques-unes. Les nerfs sont donc à fleur de peau.

Bref, cette communauté, non seulement ne se sent pas respectée, encore moins valorisée, mais a le sentiment – à tort ou à raison – d’être victime d’injustices répétées.

Ça, c’est pour le contexte. Pour le reste, c’est sûr, je vais me faire copieusement lyncher. En somme, qu’ont fait ces jeunes inconscients ? Dans un moment d’euphorie et de fierté collective, ils ont entonné une chanson d’un autre temps qu’ils ont remise au goût du jour et qui fait partie du patrimoine. [Je vois déjà certains bondir, scandalisés… Patrimoine !!!]. Au fait, cette chanson, je l’ai bien chantée durant mon adolescence, voire mon enfance. C’était une sirandane qu’on chantait dans les bus picnic ou à l’école pour taquiner les copains. Seulement, c’était l’époque de la franche camaraderie, de la tolérance, où les arrière-pensées étaient absentes. On pouvait s’appeler entre copains « gro malbar », « long laskar », « sinwa macaw »; moi, j’étais « fay kreol »  La seule modification, c’est la phrase « ah kreol, dir mwa ki to vande ? ». Dans la version originale, c’était « enn zoli fam ». Ce n’était pas mieux mais on chantait tout simplement sans s’y attarder.

La suite maintenant : les élèves se sont excusés – je n’ai aucune raison de croire qu’ils ne sont pas sincères, ils ont été ou vont être sanctionnés – comité disciplinaire, suspensions, annulation de la ‘sports day’ etc. Le recteur assume, s’est excusé et s’est engagé à prendre des mesures correctives. Que voulons-nous de plus ?

Je crois qu’on a assez manifesté, qu’on a donné une dimension suffisamment conséquente à l’événement qu’il faut commencer à songer à l’apaisement et transformer cette bourde en opportunité. N’est-ce pas l’occasion de faire prendre conscience à ces jeunes de l’élite de la précarité dans laquelle vivent certains de leurs compatriotes du même âge ? Je rêve peut-être, mais je pense qu’il faut donner à cette jeunesse l’occasion de se prouver, prendre le risque de lui faire confiance. Rappelons-nous l’épisode des graffitis sur les murs du couvent de Lorette impliquant des élèves de ce même collège et le ‘happy ending’ qui s’ensuivit.

Si nous persistons dans la voie de la demande de la sanction extrême, nous risquons de nous retrouver au même niveau que quelques intolérants qui ont réagi de la même manière il n’y a pas longtemps. Je fais ici référence à ce chasseur qui avait fait une blague sur Air India, qui a été rapidement suspendu de son poste, a dû se présenter au CCID et qui n’avait fait qu’une plaisanterie – de goût douteux certes – mais qui ne visait pas à faire du tort. Il a été victime de toutes sortes de tracasseries, même s’il avait pris la peine de s’excuser dès le départ et précisé ses intentions. Plus récemment, il y a eu l’épisode Joanna Bérenger et son « manz bondie kaka diab ».

Gardons-nous donc de suivre ceux-là. Ça ne fait du bien à personne et certainement pas à la société mauricienne. Je trouve tout cela un peu gros, démesuré… insultez-moi, traitez-moi de toutes sortes de noms, mais j’appelle cette insistance dans cette voie ‘intolérance’.

Pour terminer, une voix discordante : celle du père Philippe Goupille, qui demande d’accepter les excuses des fautifs et qui semble prendre à contrepied certains de ses collègues. J’ai apprécié sa prise de position, car il ne faut pas oublier qu’il est le président du Conseil des religions. On pourrait cependant arguer qu’il est un blanc, qu’il est lui-même un ancien lauréat et qu’il a fréquenté un collège d’élite… De toute façon, cette affaire doit s’arrêter quelque part et avec un peu de bonne volonté, déboucher sur quelque chose de positif. N’est-ce pas cela l’éducation…

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