Budget sans vision et sans dimension

AVINAASH I. MUNOHUR

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Politologue

Voilà, la présentation du budget est passée. Cela faisait des mois que l’équipe gouvernementale nous faisait miroiter un budget qui se voulait être le baromètre pour l’avenir du pays. Les importantes annonces distillées depuis quelques mois concernant la gratuité des institutions d’éducation tertiaires publiques et l’institution d’un fonds d’assurance pour la fonction publique faisaient office d’amuse-bouches, préparant le terrain à une panoplie d’annonces phares et visionnaires. Disons le d’emblée, l’enjeu était énorme pour le Premier ministre et ministre des Finances, qui abattait lundi l’une de ses cartes maîtresses pour les prochaines élections.

De ce point de vue, ce budget se devait d’imprimer la marque de l’homme, tout en étant une rampe de lancement pour qu’il remporte sa première élection en tant que PM. Il se devait donc d’imposer sa griffe et de traduire sa vision politique par le truchement d’un ensemble de mesures s’adressant au quotidien de tous les Mauriciens, ainsi qu’aux différentes problématiques des acteurs de l’économie, du social et de l’associatif, tout en faisant preuve d’innovation en encourageant l’essor d’autres secteurs d’activités. Ce budget se devait de montrer la voie à emprunter pour les réformes économiques, écologiques, institutionnelles et sécuritaires. Ce budget se devait d’être la traduction économique et comptable d’une vision politique. Ce budget se devait de donner un prénom à un homme qui n’aurait, pour l’instant, qu’un patronyme.

Au final, Monsieur Jugnauth et son équipe ont accouché d’un exercice timide, qui s’est plutôt évertué à conserver le statu quo actuel tout en dégainant quelques cadeaux électoraux. Nous avons eu droit à une multiplicité de petites mesures sans grandes conséquences – surtout pour les fonctionnaires, les agriculteurs, les pêcheurs, les retraités et les PME –, et qui ne s’adressent pas aux problèmes structuraux des secteurs concernés. Nous avons également eu droit à l’annonce de quelques projets d’infrastructures, qui ne verront pas le jour avant les prochaines élections – il faut le préciser.

Mais aucune annonce phare. Aucun emblème. Aucun symbole. Aucun slogan. Rien.

Et c’est là le plus choquant, Pravind Jugnauth se trouvant devant l’impératif d’avoir une mesure qui puisse driver sa campagne électorale ; une mesure qui l’aurait inscrit dans le paysage politique de notre pays et qui aurait été son slogan de campagne. Cette mesure se devait de répondre à un vrai problème de société qui concerne et engage tous les Mauriciens, et aurait dû symboliser la direction que Monsieur Jugnauth souhaite donner au pays. Une mesure forte, un emblème, un symbole qui puisse donner une certaine légitimité au candidat Jugnauth et qui puisse rassembler et mobiliser avant une élection. Mais il n’en est rien… nada !

Obama avait Obama Care ; Trump a surfé sur la relance de l’industrie lourde et la préférence nationale avec son « Make America Great Again » ; Macron a été élu sur la volonté d’une modernisation en profondeur de l’État social français ; et plus récemment, Modi a été réélu grâce à la promesse de faire de l’Inde une puissance économique et militaire.

Chez nous, et à notre échelle, SSR sera à tout jamais associé à la construction de l’État providence de l’après-indépendance et à la gratuité de l’éducation ; SAJ est, lui, le père des dérégulations économiques qui ont permis une élévation importante du niveau de vie pour une majorité de Mauriciens ; et NCR a, à son bilan, l’essor de l’offshore et du secteur immobilier. Ces Premiers ministres, malgré leurs nombreux défauts et ratés, ont – avec d’autres – contribué à bâtir notre pays en apportant leurs pierres à l’édifice.

Pravind Jugnauth a, lui, eu l’opportunité historique, par le biais de ce budget, de poser les premières pierres des transitions qui auraient fait de la République de Maurice un exemple de méritocratie, de justice, d’égalité et de développement durable, en injectant un nouveau souffle à notre modèle économique et social. Au final, mis à part un Metro Express réalisé dans l’empressement de trouver quelque chose à faire lorsqu’il est devenu PM et dont les effets vertueux restent encore à être démontrés, il n’a encore rien à montrer en tant que PM; rien qui puisse justifier et légitimer sa victoire aux prochaines élections du moins.

Et le budget 2019/2020 ne déroge pas à cette règle, car il ne nous donne aucune direction, aucune orientation, aucune vision. Nous n’avons eu droit qu’à une multiplication de petites annonces dont certaines sont louables, mais qui ne dessinent rien de nouveau et qui n’orientent absolument pas notre pays vers le tournant de la modernisation qu’il devient urgent d’engager.

Rien sur une stratégie holistique pour combattre l’insécurité. Rien sur le développement de l’économie océanique. Rien sur la modernisation de l’État. Rien sur l’inclusion de tous les Mauriciens à la vie nationale et publique. Trop peu pour l’autonomisation des femmes. Rien pour commencer à contrer les effets pervers de la bombe démographique. Rien pour la promotion de la méritocratie dans la fonction publique. Trop peu pour la lutte contre la corruption. Trop peu pour les énergies renouvelables et la relance des secteurs traditionnels. Trop peu pour la protection de notre environnement, de nos lagons, de nos côtes, de nos forêts, et de nos patrimoines historiques et agricoles. Trop peu pour le pouvoir d’achat. Trop peu pour l’accès au logement pour la classe moyenne. Trop peu pour la relance de la machine productive. Trop peu pour régler définitivement le problème d’approvisionnement en eau. Trop peu pour l’avenir du travail, notamment dans notre ère digitale.

Nous avons eu droit à un budget timide, témoignant d’un manque flagrant d’initiative, de courage politique et de vision. Un budget avec quelques mesures qui allégeront un peu le quotidien de certains Mauriciens, mais sans une seule mesure phare sur laquelle le PM pourra asseoir sa campagne électorale. Un budget qui n’a fait que multiplier les mesures koup riban et les cadeaux électoraux ; avec, et c’est sans doute le point crucial à retenir, une mesure troublante : le remboursement d’une partie de notre dette nationale en utilisant les réserves de la Banque de Maurice, pourtant vitales à la résilience de notre pays dans un contexte de grande incertitude internationale.

Au final, nous nous attendions à un grand exercice politique et nous avons eu droit à un budget fade, timide, sans vision et sans dimension, qui n’a pas su prendre la pleine mesure des enjeux économiques, écologiques, sociaux et sécuritaires.

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