Catherine La Hausse, fille de Maurice Paturau : « Léguer une trace de tout ce que papa a fait pour le pays »

Catherine La Hausse vit en France et est actuellement à Maurice pour le lancement d’une biographie de son père, Maurice Paturau, décédé en juin 1996, et qui fait partie des grands tribuns ayant marqué l’histoire politique et économique du pays. Aujourd’hui, la majorité des Mauriciens le connaît à travers sa photo imprimée sur le billet de Rs 50.

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Peu de personnes savent toutefois que cet élève du Collège Royal de Curepipe, sorti deuxième derrière le Dr Fakim aux examens menant à la Bourse d’Angleterre, avait fait de brillantes études d’ingénieur. Il a aussi été un Compagnon de la libération pendant la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle il s’est distingué comme pilote d’avions de guerre.

Il a aussi été ministre du gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam, avant l’accession à l’indépendance, et est considéré comme un des artisans de l’économie mixte, sur laquelle repose le succès économique de Maurice. Dans une interview accordée à Le-Mauricien cette semaine, Catherine La Hausse évoque le souvenir de son père avec amour et émotion. Elle explique aussi que le livre, qui sera lancé le 7 décembre, a pour but de laisser aux générations présentes et futures une trace de tout ce que son père a pu faire pour le développement de l’économie mauricienne.

Une biographie de Maurice Paturau sera lancée au début du mois prochain. Si on comprend bien, c’est vous qui avez eu l’idée de publier un livre consacrй а la vie de votre pиre. Pourquoi cette initiative ?

C’est une idée que mon frère, ma sœur et moi, ainsi que la famille, avons mijotée depuis longtemps. Tout le monde était intéressé à voir une publication sur la vie de papa. Nos activités professionnelles ne nous ont pas permis de réaliser cela plus tôt.
Le projet est revenu sur la table en début d’année, faisant suite à ma retraite. Nous avons donc décidé de nous lancer dans cette aventure à partir du mois de mars dernier en recherchant tous les documents qui étaient à notre disposition, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer de longues recherches. À partir de tout ce que nous avons pu trouver, nous avons décidé de nous lancer dans ce projet afin de laisser aux générations présentes et futures une trace de tout ce que papa avait pu faire pour le développement de l’économie mauricienne.

Vous avez raison de parler d’aventure lorsqu’il s’agit de découvrir une personnalité de l’envergure de Maurice Paturau. Quel souvenir gardez-vous de lui en tant que pиre ?
Pour nous, c’était déjà notre père, pour qui, personnellement, j’avais une grande admiration. C’était un personnage qui savait se mettre à la portée de tout le monde. Il était à l’aise aussi bien avec un président de la République qu’avec un ami ou un enfant de cinq ans. Il était à l’écoute des autres. Il était toujours disponible. On pouvait l’appeler à n’importe quelle heure.

Les amis ou les connaissances lui disaient « Mic, peux-tu faire un papier sur tel sujet… » ou pour lui demander un conseil. On voyait quelqu’un venir le voir à n’importe quel moment pour avoir ses lumières.
C’est vrai, il a été un homme aux multiples facettes. Il était à l’aise dans tout ce qu’il a pu entreprendre. C’était un homme de culture et il était curieux de tout. Il s’intéressait à tout, depuis les coquillages marins jusqu’à ce qui se passait dans l’espace. Il se documentait perpétuellement.

Enfant, étiez-vous consciente que votre pûre était une personnalité importante ?
Je devais avoir à peu près 12 ans lorsqu’il a été nommé ministre. À l’époque, il n’y avait pas autant de médias et de réseaux sociaux. Cependant, on sentait qu’il se tramait quelque chose d’important. On en parlait autour de nous. Dans le car qui nous conduisait à l’école, j’entendais des enfants dire : « Son papa sera ministre ! » On sentait que quelque chose allait se produire et qu’il était appelé à jouer un rôle important.

Au fil des années, nous avons pu découvrir cet homme qui a joué un rôle très important dans les différents domaines et différents secteurs dans lesquels il s’était engagé. En tant que ministre, on le voyait se rendre en mission à l’étranger et participer à de nombreuses activités à Maurice. En tant que conseiller dans le domaine sucrier, on l’a vu participer à des conférences internationales dans le monde, que ce soit à Cuba, à Saint Domingue ou en Asie. Graduellement, on prenait conscience qu’il était un homme hors du commun.

Est-ce que c’était un conteur ? Racontait-il а ses enfants ce qu’il faisait et ce qu’il avait fait ?

Pas du tout. À tel point qu’alors que je terminais mes études à Paris, je lui ai dit que j’aimerais bien connaître un peu son histoire, surtout toute la partie concernant le compagnon de la libération qu’il avait été pendant la guerre, et tout ce qu’il avait fait comme aviateur. Mais il ne soufflait pas un mot à ce sujet. On voyait bien dans son bureau une photo de lui avec ses compagnons d’escadrille et ses décorations, mais cela s’arrêtait là. Sans qu’on le sache un jour, il a écrit dans un document les grandes lignes de son histoire. Il en a fait quatre exemplaires : un pour chacun de ses trois enfants, et un pour ma mère.

Nous avions enfin plus de détails sur les différents aspects de sa vie personnelle, ses passions et le déroulement de sa vie professionnelle. Dans la famille, on évoquait ses aventures de façon intime, pas comme le public le percevait. Ce document a été pour nous une belle découverte. En tout cas, cela nous a donné envie d’aller plus loin et d’essayer de partager avec le public la vie de cet homme d’exception.

C’est ainsi que vous avez découvert qu’il était un combattant pendant la guerre ?
On découvre un personnage fantastique qu’on sous-estime. Pour ne citer qu’un exemple, pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’il était engagé dans le groupe Lorraine, il avait imposé le respect et la confiance de ses frères d’armes. Dès sa première mission, en août 1943, il se distingue comme navigateur leader. À la fin de la guerre 1939-1945, alors qu’il était connu comme lieutenant Paturau, il avait comptabilisé 76 missions de guerre, dont six en vol rasant, ce qui représentait 210 heures de vol de guerre et lui a valu de nombreuses décorations et les plus hautes distinctions.

La biographie fait aussi mention de grandes personnalités qu’il a côtoyées durant la guerre…

Effectivement, parmi ses frères d’armes, on comptait l’homme politique Pierre-Mendès-France, qui avait demandé en tant que jeune député d’être envoyé au front. Il y avait aussi le lieutenant Romain Gary, double prix Goncourt, ainsi que le prince Starhemberg, ancien vice-chancelier d’Autriche. Il y avait également parmi les proches du Groupe Lorraine, Maurice Druon, auteur des Rois Maudits, ainsi que Joseph Kessel… Ils étaient dans la même escadrille et se côtoyaient quotidiennement.
Au fil de son parcours, il a eu la chance de rencontrer toutes ces personnalités mondiales. Il a participé à des conférences partout dans le monde. Cela a été pour lui une belle ouverture et une belle façon de propulser Maurice, qu’il tenait tant à cœur sur le plan international.

Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné dans sa personnalité ?
Je ne le dis pas uniquement parce qu’il était mon père, mais c’était un homme excessivement intelligent et brillant, et qui était d’une humilité incroyable. Il ne parlait jamais de lui. Lorsqu’il aimait bien quelqu’un, il faisait tout pour l’aider. S’il n’était pas d’accord avec une personne, que ce soit le président de la République ou une simple personne de son entourage, il savait le dire aussi haut et fort.

Vous lui rendez un émouvant témoignage dans ce livre…
Oui. Je parle de l’amour qu’il éprouvait et qu’il montrait pour nous, ses enfants. Nous avions l’impression d’être la prunelle de ses yeux. J’aime à dire qu’il était comme une bonne fée, perpétuellement penchée sur nos berceaux, à guetter nos moindres mouvements de peur qu’il nous arrive quelque chose. Nous gardons de lui l’image d’un père aimant, à l’écoute, d’un conseiller, d’un confident… On pourrait presque dire d’un ami, avec qui nous faisions 1 000 bêtises.

Il est vrai que pendant les années qu’il servait comme ministre, il nous a beaucoup manqués. Il était régulièrement retenu par ses activités officielles et politiques. Ce qui nous privait de sa présence et, souvent, de celle de maman, qui l’accompagnait. Nous avions l’impression de le perdre à tout jamais.

On peut supposer que lorsqu’on célèbre l’Armistice, comme cela a été le cas dimanche dernier а Maurice, des souvenirs vous reviennent а la mйmoire…
Certainement. En plus de ce fascicule qu’il avait écrit pour nous et qui parlait de ses années de guerre, il lui arrivait de fredonner des chansons qu’il chantait avec ses compagnons de la libération. Il faut dire que lorsqu’on s’est plongé dans les documents qu’il avait laissés derrière lui, cela a sauté à la figure, en nous disant : « Il a fait tout ça ! ».

Il a donc laissé beaucoup de documents ?
Oui. Ce sont ces documents qui nous ont permis de préparer ce livre, qui sera présenté bientôt.

La République de Maurice lui a-t-elle été reconnaissante ?
Certainement, parce que la République de Maurice lui a donné de belles décorations. Il a été fait Docteur Honoris Causa, il a eu le GOSK. Il a été élu Homme de l’année en 1965. À la fin de sa vie, on a mis son effigie sur le billet de banque de Rs 50. C’est un bel hommage qu’on a rendu à ce personnage. Mon frère, Jean Maurice, en parle d’ailleurs dans le livre.

En lisant Maurice Paturau , un homme d’exception, on se rend compte que Maurice Paturau n’a rien а envier aux grands tribuns politiques qui ont marquй l’histoire du pays. Est-ce votre sentiment ?

On peut le dire. Dans ce livre, on essaie de présenter la force de l’homme, avec son engagement dans l’armée, son action dans le domaine politique et économique… Il avait également une dimension culturelle et a été l’auteur non seulement de livres économiques, mais aussi de poèmes. Il a siégé dans plusieurs institutions mauriciennes de renom, dont la Chambre d’Agriculture, le MSIRI, le CEB et d’autres institutions culturelles mauriciennes.
Il a aussi participé au lancement de la zone franche à Maurice. C’était un homme écouté de tous, qui savait convaincre quand il défendait des projets importants pour le développement du pays, et il parvenait à rallier tout le monde à son point de vue avec une éloquence digne des plus grands tribuns. Sa forte personnalité faisait de lui un leader et un homme charismatique.

Il a donc jeté les bases sur lesquelles on continue de construire…
Il a œuvré pour le développement de la zone franche industrielle aux côtés d’autres visionnaires de renom, que ce soit au niveau politique ou du secteur privé. La zone franche a évolué pour devenir le secteur d’exportation et le secteur industriel. Il a aussi œuvré pour le développement portuaire et aéroportuaire, ainsi que pour le développement touristique aux côtés d’Amédée Maingard.

Quelle est la réalisation qui vous a le plus impressionnй ?
Je dirais que c’est le développement de la zone franche, pour laquelle j’avais moi-même rédigé mon mémoire de Maîtrise de géographie en France. Il a su fédérer les hommes politiques, les cadres des secteurs publics et privés, et les promoteurs mauriciens autour de cette idée, et faire en sorte que Maurice offre des avantages fiscaux et mettre en place les entreprises locales susceptibles de créer le maximum d’emplois. C’était un défi majeur à relever.

Il faut également souligner qu’il a jeté les bases de l’économie mixte à Maurice à un moment où, dans la région ou sur le continent africain, les États favorisaient l’Étatisation et la nationalisation. Pour cela, il a reçu aussi bien l’écoute du gouvernement en place que celle du secteur privé. Au départ, c’était compliqué, mais à travers son action au niveau du Joint Economic Commitee et les bonnes relations qu’il entretenait avec les dirigeants du pays, il a réussi à créer un dynamisme entre le secteur public et le secteur privé, dont les conséquences sur le développement du pays se font sentir jusqu’à aujourd’hui.

Quelles étaient ses relations avec Sir Seewoosagur Ramgoolam ?
Il avait beaucoup d’admiration pour le Dr Ramgoolam, avec lequel il a eu la chance de travailler au sein du gouvernement. Je pense qu’il y avait beaucoup de connivence et beaucoup de respect entre eux. Dans le livre, il y a une lettre que sir Seewoosagur Ramgoolam lui a adressée après avoir quitté le gouvernement. Il lui disait qu’il souhaiterait qu’il continue de venir le voir pour prodiguer ses conseils et lui donner son avis.

Y a-t-il une raison pour laquelle vous avez choisi le 7 décembre pour lancer le livre ?
Comme je vous l’avais dit, nous avons débuté ce travail au mois de mars, et on pensait que le meilleur moment pour faire une large promotion du livre serait de le faire paraître avant les fêtes de Noël. Le jour du lancement du livre, nous avons décidé d’organiser une table ronde avec trois invités, à savoir Raj Makoond, qui a succédé à Maurice Paturau au JEC, Jean-Claude Autrey, qui parlera de la partie économique et sucrière, et finalement Yvan Martial, qui a rédigé l’ouvrage, et qui apportera un éclairage plus large sur le personnage.
Ce sera intéressant de voir quel héritage a laissé Maurice Paturau après tant d’années. Nous, ses enfants, nous sommes impatients de savoir l’accueil que le public réservera à cet ouvrage. Il est vrai qu’il est décédé il y a 27 ans, et que les gens l’ont un peu oublié. Mais il faut reconnaître que ce livre, on l’a fait pour la famille également. J’ai un fils et des petits-enfants. Mon frère a des enfants. Et on a tous envie que la génération présente et celle qui suivra puissent avoir une trace de leur grand-père.

Parlez-vous de votre papa а vos enfants ?
Certainement. Mon fils était le premier petit-enfant de mon papa. Il adorait Romain. Les derniers mots qu’il a prononcés sont : « Où est Romain ? » (Très émue) Cela me touche particulièrement.

Que fait Romain aujourd’hui ?
Il travaille à Paris. Il est directeur chez un joaillier de la Place Vendôme. Il peut être fier de son grand-père.

Justement, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour écrire ce livre ?
Peut-être qu’il nous a fallu du temps pour digérer cette disparition. C’était trop sensible et pesant pour nous. Ensuite, nous sommes tous des professionnels et disposions de très peu de temps pour nous arrêter et nous pencher sur tous ces documents. Aujourd’hui, on a le plaisir de mettre à la portée de tous les documents qu’on a retrouvés pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli.

Voulez-vous dire que le livre a été conçu а partir de ses documents uniquement, sans avoir recours а d’autres sources ?
Tout à fait. Il est composé de documents qu’il avait gardés au fil des années. Il y avait des documents sur ses voyages, sur des articles et interviews parus dans la presse… Il y a aussi des notes qu’il a pu prendre. Les livres qu’il avait écrits. On a découvert un fascicule avec plein de poèmes qu’il avait écrits. Il ne faut pas oublier son livre sur l’économie, qui est une référence pour cette époque, mais il a aussi écrit un livre sur les agents secrets, un autre sur les sous-produits de la canne. Il y a écrit aussi de nombreux rapports sur toutes sortes de sujets.

Dans quel domaine étiez-vous engagé а Paris ?
Personnellement, j’ai passé toute ma carrière aux Éditions Nathan, dans le service des livres scolaires. Je dirigeais le département international, qui publiait tous les livres scolaires destinés à l’étranger, dont Maurice. On touchait tous les pays francophones d’Afrique, du monde arabe, des Antilles… J’ai travaillé sur tous les livres scolaires qu’on préparait pour ces pays. C’était une expérience fantastique. J’ai eu l’occasion de travailler avec les ministres de l’Éducation de différents pays. J’ai organisé des conférences et animé des tables rondes sur l’éducation, et participé à des rassemblements de la Banque mondiale sur l’éducation.

J’ai pris ma retraite en 2019. Je me souviens qu’afin de donner aux enfants une éducation à travers ces manuels dans les pays où le pouvoir d’achat n’était pas très élevé, j’avais comme devise de leur donner un produit de qualité, qui ne coûte pas cher, pas plus d’un euro !

Vous aviez donc l’expérience nécessaire pour lancer un livre consacré а votre père ?
Cela m’a certainement aidée. Pour finir ma carrière, réaliser un livre consacré à papa, c’est une fierté et une belle récompense.

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