CERCLE DE ROSE-HILL — 80 BOUGIES: Entre souvenirs et regrets…

Effeuiller la marguerite du temps et recomposer avec le passé pour pouvoir faire revivre ces jours d’antan à la demeure accueillant le cercle de Rose-Hill. La grande dame fêtera ce soir ses 80 ans d’existence. Si son bâtiment flambant neuf fleure bon la modernité, l’on ressent néanmoins dans les propos des anciens une grande tristesse. Pour eux, une grande partie du patrimoine s’est envolée et ce “cercle” jadis lieu familial est désormais fréquenté que par les habitués d’un certain âge. « Nous avons eu le besoin de reconstruire le club avec l’idée que cela attirerait plus de nouveaux membres. Tout ce qui n’évolue pas est appelé à disparaître et si les jeunes ne reprennent pas le flambeau, ce lieu ne sera qu’un souvenir… » explique Robert Gellé, son président de 2000 à 2002.
Cercle de Rose-Hill, un nom inconnu pour la jeune génération qui est plus habituée aux boîtes de nuit, à Facebook, entre autres. « Je ne connais pas vraiment, c’est plus de la génération de mes parents, encore faut-il qu’ils aient eu accès au Cercle qui à l’époque était très sélect », laisse entendre un jeune.
Vinod Bungsy, 68 ans et barman, a commencé à fréquenter le Cercle de Rose-Hill en 1971 à 27 ans. Ce sexagénaire parlera lui d’un patrimoine, de pans d’histoire, d’un lieu où on pouvait trouver l’élu de son coeur tout en s’adonnant à plusieurs loisirs comme le tennis, le foot, le bridge et le domino. Le cabaret était l’occasion pour les dames de se parer de leurs plus beaux atours. Sans oublier, les petits drinks que ces messieurs commandaient au bar, histoire de faire passer le temps et que Vinod Bungsy se faisait une joie de mitonner, un peu à la manière de Tom Cruise dans Cocktail. Vodka à l’orange. Whisky double soda.
Vinod Bungsy parlera aussi des petits snacks que l’on servait, les préférés des initiés du Cercle de Rose-Hill étant la rissole et l’oeuf farci. Et, que dire de ce petit fascicule qui parle du premier banquet offert… le 1er juillet 1933 par R. Morin et P. Henri à l’occasion de leur récente promotion. Banquet où l’on a servi du potage à la royale, du poisson à la chambord, de l’aspic de foie gras truffé, de la plombière au dessert et du St Emilion, en vin rouge, de la liqueur Grand Marnier, du champagne Resdeless. Et, comme l’avait si bien écrit un de ses membres en 90 : « La qualité des vins et le choix des plats sont révélateurs d’une très haute gastronomie. » Tout en y ajoutant une petite pique humoristique : « La taxe sur les vins et le foie gras n’existait probablement pas en 1933… de quoi faire rêver plus d’un. »
Groupement féminin
C’était tout cela l’univers du Cercle de Rose-Hill, ses petits plaisirs de la table, de conversation. Au départ, il n’y avait que des hommes, mais c’était mal connaître les épouses qui elles aussi ne tardèrent pas à faire entendre leur voix à tel point qu’Harold Glover et Arnold Loumeau consentirent à fonder le Groupement féminin en 1942. Ce qui permit aux dames et demoiselles de jouer au tennis. Il y avait également des tournois, doubles dames et doubles mixtes.
L’on apprend par ailleurs que les épouses et filles des membres n’étaient admises au Cercle de Rose-Hill que pour les soirées dansantes. En 1957, une certaine Lady Scott procéda à l’inauguration du pavillon que le Groupement féminin avait fait construire dans la cour du cercle. Ce n’est qu’en 1964 que décision fut prise pour que toutes les dames soient admises dans le bâtiment du Cercle certains jours de semaine mais que seules les membres du Groupement féminin auraient accès aux courts de tennis. Ce premier pas vers l’intégration de l’élément féminin permit aux femmes de fréquenter assidûment le club.
Ouvrant une parenthèse, Robert Gellé, qui a assuré la présidence du Cercle de 2000 à 2002, raconte une anecdote selon laquelle les épouses, avant d’avoir accès aux locaux, venaient de temps en temps à la rencontre de leur mari et, une fois, l’une d’elle a débarqué avec son chien qui a aboyé afin d’attirer l’attention de son époux. Des situations cocasses, il y en a eu au point de faire sourire la vieille dame (la demeure abritant le Cercle de Rose-Hill) qui en a été le témoin privilégié.
Robert Gellé poursuit que le Cercle de Rose-Hill est passé de statut de maison familiale à celui de Club social. C’est en 1930, explique-t-il, que Marcel Brouquet et une dizaine d’amis se sont réunis pour former un Cercle. Depuis 1932, ils se rencontraient dans une demeure appartenant à Reynolds Rohan à la rue Vandermesch à Rose-Hill, d’où la naissance du Cercle de Rose-Hill.
« Elle était consciente la vielle dame que ses adhérents quitteraient Rose-Hill et viendraient à Beau-Bassin et qu’elle passerait par le statut de maison familiale et de Club à celui de Cercle en 1947. » Il fallait la somme de Rs 50 000 pour faire l’acquisition de ce Cercle qui occupait alors un domaine magnifique bordé par quatre rues dans la meilleure région de Beau-Bassin.
Le temps des amours
L’enjeu de la mise sur pied du Cercle était d’y inclure un esprit d’équipe et une vie associative vivante et agréable. Un lieu qui a accueilli 39 présidents, dont deux femmes Marie France Roussety et Sybil Ythier. Il fallait un engagement constant de leur part pour maintenir le cercle. Un cercle qui a fêté des lauréats — dont de la famille Glover — et qui a accueilli des amourettes et des amours comme celui conté par Vinod Bungsy, père de sept filles et d’un garçon. Il a d’ailleurs toujours une étincelle dans le regard quand il raconte sa rencontre avec Pretima, alors sa promise au Cercle de Rose-Hill où elle travaillait avec son père. « So papa, finn transmet mwa lamour metie barman. »
À l’époque, le bâtiment était en bardeaux. Il a ensuite été reconstruit avec du profilage, la toiture subissant également des changements.
« Lontan, Cercle ti pli frekente ki aster. Cercle de Rose-Hill, ti connu couma enn lieu de reunion de famille. J’ai côtoyé des magistrats, avocats… Le banquet, pa kapav raconte telma zoli. J’ai même eu la possibilité de marier mes filles ici. » Il s’attardera aussi sur l’aspect folklorique des cabarets où les unions se formaient et où, sur une piste de danse, l’occasion était le prélude à une rencontre. Il raconte que pour la consommation d’alcool, la vente se faisait sur ticket et que la plus grosse recette du Cercle remonte au 31 avril 2009, au cours d’une White Party, avec plus de Rs 100 000.
Passé réduit en cendres
Vinod adorait aussi les cerises qu’il pouvait cueillir dans la cour, et dont il n’en existe plus la moindre trace. Il regrette aussi qu’on ait enlevé cette cascade qui abritait un bassin en marbre avec un jet d’eau. « Aswar ti zoli pu gete, ti ena de flanbo, letan alim sa, extra, ek bann skiltir zanimo kouma dofin, pwason dan bann gro bac glason, ti ena enn leffe vizwel feerik. » Sa plus grande tristesse est la disparition des planchers en teck qui donnaient du cachet au lieu. « On a récupéré une partie du bois pour en faire le bar et les portes des toilettes, mais tout un passé est parti en fumée. Li trist ki zordi, bann zenn pa konn linportans sa lieu-la. » Même son de cloche du côté de Robert Gellé qui parlera du Cercle de Rose-Hill comme un club sélectif. « J’avais dix ans lorsque j’ai découvert ce lieu qui était un club social, familial et sportif. C’était une distraction en ce temps où il n’y avait pas de loisirs. Je faisais du foot et ensuite du volley et du tennis. Les jeunes fréquentaient ce lieu surtout pour faire du sport et les membres plus âgés aimaient bien jouer aux cartes, au billard. Il y avait aussi des chasses aux trésors, des tournois de volley, de tennis. Ce lieu a abrité des grands noms du sport. »
Robert Gellé se souvient que lors du discours du 70e anniversaire du Cercle de Rose-Hill s’être mis dans la peau de cette vieille dame que représentait le Cercle de Rose-Hill. Si elle pouvait parler, lance-t-il, elle dirait que son rêve le plus fou serait d’être entourée dans 100 ans de cette grande famille du Cercle. « Ce qu’elle aurait souhaité, ce n’est pas de grandes fêtes, d’un bouquet, d’un molleton ou de Rs 5 000 mais bien de la présence des jeunes qui sauraient prendre la relève. » Arguant que tout ce qui n’évolue pas est appelé à disparaître, il soutient : « On a eu une évolution dans la famille qui a apporté un autre style de vie que celui prôné par le Cercle il y a 80 ans. Il y a eu la migration des familles, des décès et vu que tout le monde travaille et que les habitudes changent, personne ne trouve vraiment le temps d’insuffler une nouvelle âme à ce lieu. Les vieux sont restés fidèles… »
Il faudrait ainsi au Cercle de Rose-Hill du sang neuf, des idées jeunes et novatrices pour que la vieille dame arrive avant ses 100 ans à subir un véritable lifting. En attendant la relève, elle affichera sereinement ses 80 ans ce soir, preuve irréfutable qu’elle existe encore et qu’il ne faut pas l’oublier car pour plusieurs membres le Cercle de Rose-Hill a été un pont d’ancrage, source de joie et de bonheur.

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