Chaosmos 

DAVINA ITTOO

« Rien n’existait alors, ni l’être ni le non-être ; le ciel brillant n’était pas encore, ni la large toile du firmament étendue au-dessus. Par quoi tout était-il enveloppé, protégé, caché ? Était-ce par les profondeurs insondables des eaux ? Il n’y avait point de mort, ni d’immortalité. Pas de distinction entre le jour et la nuit. L’Être unique respirait seul, ne poussant aucun souffle, et depuis il n’y a rien eu autre que Lui. La semence, qui reposait encore cachée dans son enveloppe, germa tout à coup par la vive chaleur. Puis vient s’y joindre pour la première fois l’amour… » (Nasadiya Sukta, Rig Veda, traduit en français par Max Muller).

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Les interrogations sur l’origine du Cosmos hantent l’humanité depuis le début des temps et plusieurs cosmogonies qui tentent d’expliquer l’émergence de tant de mystères sont apparues dans chaque civilisation. Chacune propose une vision différente de l’Univers. Certains versets du Purusha Sukta parlent d’un certain démembrement de l’Être suprême : ses parties se seraient dispersées dans l’espace, donnant ainsi naissance à plusieurs phénomènes cosmiques. Plusieurs mythes babyloniens témoignent également de cette idée de démembrement originel. Quant aux croyances africaines, certaines énoncent l’apparition d’un chapelet de mondes, en forme de disques plats, qui serait prisonnier d’un grand serpent. Les Mayas croyaient en un ciel qui serait stratifié en treize couches. Les Aborigènes pensent que tout était déjà là, à l’état virtuel et spirituel. Selon eux, le Cosmos s’est assemblé dans l’air, dans ce temps que les aborigènes appellent le temps du rêve. Ensuite, les grands ancêtres seraient sortis d’un long sommeil et auraient peuplé la Terre, tout en faisant jaillir les eaux.

Au-delà de ces belles cosmogonies, que révèle donc la science à ce sujet ? Les clés pour espérer comprendre ce phénomène absolument inédit et éblouissant qu’a été le Big Bang nous sont livrées dans un magnifique texte : La plus belle histoire du monde – les secrets de nos origines. « La plus belle histoire du monde » ou la naissance de l’Univers et des êtres. Écrit par un astrophysicien (Hubert Reeves), un docteur ès sciences (Joël de Rosnay), un paléontologue (Yves Coppens) et Dominique Simonnet (auteur et journaliste), ce texte rassemble les particules sémantiques qui permettent de relier la source à la finalité, la semence originelle du Big Bang au phénomène de l’évolution. De la lenteur des assemblages au tournoiement des galaxies, quelles sont les forces qui président à la naissance du Cosmos ? Les quatre forces de la Physique ou les quatre chevaux d’une Apothéose. Ces forces fomentent des fusions entre les particules, les atomes, les molécules… La belle histoire de l’Univers ne saurait débuter sans la concordance de ces forces qui façonnent la forme originelle. Si la force nucléaire soude les noyaux atomiques, la force électromagnétique maintient la connexion entre les atomes. La force de la gravité préside sur des phénomènes cosmiques à grande échelle – dans le mouvement des étoiles et la circonvolution des galaxies.

Quant à la force faible, elle agit sur des particules infimes, nommées neutrinos. À la question sur l’origine de ces forces, Hubert Reeves répond : « Vaste question, à la limite de la métaphysique… Pourquoi y a-t-il des forces ? Pourquoi ont-elles la forme mathématique que nous leur connaissons ? Nous savons maintenant que ces forces sont partout les mêmes, ici et aux confins de l’Univers et qu’elles n’ont pas changé d’un iota depuis le Big Bang. Ce qui pose question dans un univers où tout est en changement… ». D’où viennent-elles ? De la volonté d’une intelligence suprême ? D’une autre force, elle-même infiniment plus grande que les quatre forces ? L’astrophysicien se demande si ces lois immuables n’appartiennent pas à une sphère qui serait « au-dessus de l’univers, dans ce monde des idées chères aux platoniciens » ? Entre la physique et la métaphysique, la passerelle nous échappe sans cesse, à mesure que l’on progresse dans la découverte de l’univers… Dans un univers en perpétuel mouvement, l’immuable nous contemple dans la présence de ces quatre forces. Responsables de l’avènement de la complexité, elles sont agencées avec une telle précision que « si elles avaient été légèrement différentes, l’univers ne serait jamais sorti de son chaos initial ».

Revenons à l’horizon cosmique qui nous est le plus proche, le Big Bang qui expliquerait tant bien que mal, la naissance inouïe d’un phénomène absolument éblouissant. « La scène est blanche, infinie. Partout, ce n’est qu’une clarté implacable, la lumière d’un univers en incandescence, le chaos d’une matière qui n’a encore ni sens, ni nom… ». Informe, latente, désordonnée, la matière est tout simplement. C’est son organisation progressive qui est à l’origine de la belle histoire, dont nous sommes les derniers maillons. Du grand désordre, a surgi le secret d’un agencement dont les premiers résultats sont l’émergence des atomes. Apparaît ainsi la valse des particules élémentaires : électrons, photons, quarks, neutrinos, gravitons, gluons… Hubert Reeves établit un parallèle magnifique entre l’apparition des particules originelles et la naissance d’un manuscrit. Ces particules ressemblent à des syllabes qui vont s’assembler en mots, puis en phrases, puis en paragraphes pour se transformer en chapitres qui donnent lieu au livre. Il nomme cela « la pyramide des alphabets de la Nature ». Sous l’emprise des quatre forces, la matière va ainsi commencer sa lente mutation… Mais y a-t-il une certaine « intention » de la Nature ? A-t-elle été programmée pour façonner et former, foudroyer et fusionner ? Hubert Reeves nomme cela « la question à mille balles ». L’étymologie même du mot nature, provient du verbe nascor en latin qui signifie : « ce qui est en train de naître ».

Chaos en grec, signifie la béance, la vacuité, la faille… En quelque sorte, la condition première qui permettrait la possibilité d’une émergence. Lorsque le rêve du cosmos se pose sur les paupières du chaos, il y a alors le phénomène de chaosmos… Ou chaosmose, selon la terminologie de Gilles Deleuze. Cette osmose aurait alors pour finalité, les humains, les dernières productions d’une organisation universelle : « Notre corps est composé des atomes de l’univers, nos cellules enferment une parcelle de l’océan primitif, nos gènes sont en majorité, communs à ceux de nos voisins primates, notre cerveau possède les strates de l’évolution de l’intelligence et quand il se forme dans le ventre maternel, le petit homme refait en accéléré, le parcours de l’évolution animale ».

Mais avant l’avènement de l’humain, naît le berceau qui abritera la plus belle évolution : la Terre. « Dans le désert spatial, les premières molécules engagent une ronde ininterrompue et engendrent dans la banlieue d’une modeste galaxie, une planète singulière ». Cette planète particulière est le Soleil, qui a émergé à la périphérie de la Voie lactée, il y a 4.5 milliards d’années. Or, à l’échelle de la galaxie, le Soleil n’a rien de spectaculaire. Il demeure une planète banale et sur « cent milliards d’étoiles, au moins un milliard lui ressemble à s’y méprendre ». Lors de son apparition, le Soleil est d’abord une grosse boule rouge. Progressivement, il se contracte, sa température intérieure s’intensifie et il devient jaune. Tout comme le Soleil, les grandes planètes sont des sphères brûlantes et incandescentes. C’est ainsi que la Terre conserve en son cœur un brasier qui est à l’origine des mouvements de convection de la pierre encore liquide. Ces activités provoquent alors plusieurs instabilités géologiques : déplacements de continents, éruptions volcaniques et tremblements de terre. Et le plus beau des mystères s’est incarné sur Terre : l’abondance de l’eau liquide. Certes, il y a beaucoup d’eau dans le système solaire mais elle est présente sous forme de glace dans les satellites de Jupiter et de Saturne où la température demeure très basse. Elle existe également sous forme de vapeur dans l’atmosphère brûlant de Vénus, qui est plus proche du Soleil. Or, ce qui rend possible la présence de l’eau liquide sur Terre est son orbite qui la positionne à une distance adéquate pour que l’eau reste fluide. D’après les découvertes scientifiques, des fluides étaient probablement présents sur la surface de Mars, il y a au moins un milliard d’années. Ses canaux et ses oueds asséchés témoignent de la probable existence de l’eau.

Mais avant l’apparition des organismes vivants sur Terre, celle-ci, dans un premier temps, était « bombardée en permanence par les rayons ultraviolets émis par le tout jeune Soleil, son atmosphère est parcourue par d’immenses cyclones, de puissants éclairs la zèbrent, comme sur Vénus aujourd’hui ». Et ainsi débute la belle aventure de la Terre, entre apocalypse et apothéose…

Le mystère ne cesse de s’épaissir entre les plis de la Terre vieillissante et le tournoiement incessant des astres, au-dessus de nous… et en nous peut-être puisque nous sommes faits de la poussière des étoiles… La physique quantique nous révèle qu’à l’échelle microscopique, les phénomènes quantiques, la nature se comporte de manière étrange. Elle nous dirait qu’un atome, qu’un grain de lumière, une particule peuvent être simultanément à plusieurs endroits à la fois ou dans plusieurs états différents. C’est ce qu’on appelle le principe de superposition des états qui est à la base de l’étrangeté quantique… Dans quel royaume demeure la vérité ultime ? Entre science et cosmogonie, il subsiste ce maillon qu’on nomme l’humain qui oscille entre la vie et le néant…

« Mais sur quoi repose donc l’air ? Sur rien, mais rien n’est rien et tout cela n’est rien… Admire l’œuvre de ce Roi, quoiqu’il ne la considère lui-même que comme un pur néant… » écrit Farîd-Ud-Dîn’Attar dans Le langage des Oiseaux.

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