« Comment conduire un pays à sa perte »…

GÉRALDINE HENNEQUIN

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Ne vous méprenez pas, ceci n’est pas le titre d’une méthodologie que je viens vous livrer mais le titre d’un livre dont l’auteure, la journaliste turque Ece Temelkuran, a publié l’année dernière pour raconter la montée en puissance d’un « empereur psychotique » dans son pays et la lente descente aux enfers d’une démocratie.

Il y a, j’en conviens, des analogies qui peuvent faire sourire les plus cyniques. Mais en cette fin 2021, l’heure est grave. Notre île Maurice, depuis des années, érigée en exemple de démocratie en Afrique, et avec raison, avance pas à pas vers l’innommable. Cette dégringolade a commencé lors des dernières élections législatives quand, pour la première fois, et de manière choquante, des milliers de Mauriciens ont été privés de leur droit de vote. Leurs noms avaient été rayés des registres électoraux pour des raisons diverses et variées, bafouillées par une administration qui serait prête à descendre son froc vis-à-vis des princes du jour. Voilà qui me fait dire que parfois la peur a ses raisons que la raison ne connaît point. Les motivations scabreuses personnelles réveillent aussi avec fougue les comportements les plus inattendues parfois des responsables de ces institutions dont chacun se fait une idée qu’elle est le rempart contre toutes dérives. Il y a des miroirs aux alouettes qui se révèlent après coup !

Certains intellectuels de ce pays étaient même venus se gausser sur les antennes des radios pour dire que les 6813 votants (chiffre officiel) qui n’ont pas pu exercer leur droit constituent en quelque sorte une marge d’erreur acceptable, que c’est de leur faute après tout, que la Commission électorale est au-dessus de tout soupçon depuis toujours et surtout pour toujours, que ceux qui parlent de droits usurpés sont pour la plupart des jeunes hystériques qui ne comprennent rien au subtil jeu de la démocratie. La nouvelle génération ne saura que trop vous remercier tous de vos postures convenues délivrées sur des tons de stentor. Surtout ces donneurs de leçons qui, jeunes, s’étaient engagés en politique pour mener alors un combat pour un idéal !
Les dernières élections législatives marquent à jamais un tournant dans le processus d’une immoralité épuisante, voire terrifiante, qui force de nombreux jeunes à se chercher ces jours-ci une terre, quelque part ailleurs !
Mois après mois, de stratégie politique nauséabonde et déversement de tactiques malsaines, de privilèges à des groupuscules en défiant toute forme de justice et d’égalité en décisions politiques nous conduisant au bord du gouffre, nous voilà rendus avec des lois qu’on nous impose sans consultation aucune.
Le MSM, dont personne ne doute du génie de ses communicants, avait piqué habilement le slogan de Nicolas Sarkozy pour sa dernière campagne électorale. Il avait transformé le Ensemble, tout devient possible de l’ex-Président français pour un Ensam tou possible ! Il faut croire que le gouvernement du jour – mêlant membres du MSM et ses acolytes – incarne parfaitement ce slogan. Tout est possible sans doute mais je le redis tout n’est pas souhaitable pour le peuple.
Avec un vote sans appel d’un Premier ministre, droit dans ses bottes, et des députés de la majorité cautionnant, acceptant et justifiant les amendements à l’Independent Broadcasting Act le mardi 30 novembre 2021 les journalistes radio sont devenus donc les nouveaux opposants à combattre par le pouvoir en place. Ce seraient les ennemis du peuple à abattre par principe de précaution, estime le pouvoir en place. Je crois donc vivre sur une terre qui flotte entre hérésie et déraison. Ils ont été une poignée à tenter désespérément à travers des tribunes, des débats publics et des lettres ouvertes à tenter de « raisonner » quelques membres de cette majorité qui ont, eux-mêmes, exercé au sein des radios privées. Nous avons pensé que « des valeurs communes » peuvent réveiller certaines consciences. Mais le vote de mardi donne l’opportunité à chaque citoyen de mesurer comment l’inconsistance et l’hypocrisie de certains peuvent être enveloppées dans des discours sans queue, ni tête, pour sauver le bon peuple d’une menace urgente que font peser les radios sur notre Mère Patrie ! Cette loi scélérate n’est pas seulement l’affaire des radios. Elle touche à la liberté d’expression de chaque citoyen qui souvent s’exprime sur les ondes de ces radios et dans la presse en général. Ainsi, le pouvoir menace ! Cela fait toujours partie de la cohorte des mesures désespérées dont se pourvoient les régimes autocratiques pour assurer que seule leur voix soit perceptible !
Je me rappelle pour le coup que quelqu’un, érigé en mythe aux pays des gens sans mémoire, et sans doute en mal de héros, disait ceci : « Moralite pa ranpli vant » !
Le rétrécissement de notre démocratie est mesuré à chaque sondage mené par des organismes internationaux tels que V-DEM, Reporters Sans Frontières et tant d’autres. Plus récemment une inquiétante étude menée par Afrobarometer, spécialement sur la question de la corruption en Afrique et de son impact sur les démocraties, publiée par le journal de référence Washington Post le 19 novembre dernier, installe Maurice dans le trio « gagnant » où les citoyens voient une montée des fraudes et de la corruption. Un phénomène qui atteint des sommets vertigineux. Le sondage est très explicite sur ce qu’il appelle la « extensive institutional corruption ».
Comme des milliers de citoyens mauriciens, je refuse une réédition face à ce pourrissement de l’action politique année, après année, de gouvernement en gouvernement.
Je refuse les processus qui entrainent l’oppression et la peur dans son sillage pour contrôler les masses !
Je refuse que les radios que j’ai eu l’honneur de servir et que tout autre média deviennent le jouet d’un nouvel empereur psychotique.
Je refuse d’abandonner aux laquais du pouvoir le loisir d’encenser des lois qui naissent sur le terreau des règlements de comptes des frustrés du jour !
Ece Temelkuran écrit ceci : « La vérité n’est pas un concept mathématique qui a besoin d’être vérifié à l’aide d’équations. Son unicité exige une boussole, un guide moral intact et d’avoir des certitudes sur ce que sont le bien et le mal ! »
Ce matin, je me demande : « Est-ce bien là mon pays ? »

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