Comment faire de l’Union européenne un acteur global ?

JOSEP BORRELL
Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères
et la politique de sécurité / Vice-Président de la Commission européenne

À l’invitation de la Fondation Robert Schuman j’ai présenté le 1er février quelques-uns des principaux dossiers sur lesquels nous allons travailler cette année : apaiser les tensions dans notre voisinage, organiser un nouveau départ avec les États-Unis, rééquilibrer nos relations avec la Chine, mettre en œuvre notre « autonomie stratégique » et relancer le multilatéralisme. Lundi 1er février, la Fondation Robert Schuman m’avait demandé d’intervenir sur le thème de “L’Union européenne, un acteur global”. Ce fut tout d’abord pour moi l’occasion de saluer la mémoire de cet illustre ministre des Affaires étrangères français qui joua un rôle décisif dans le lancement de l’intégration européenne avec sa fameuse déclaration du 9 mai 1950.

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Cinq dossiers pour faire de l’UE un acteur global

Sept décennies plus tard, la tâche est encore loin d’être achevée, notamment dans le domaine dont j’ai la charge : la politique étrangère et de défense. Cela a été l’objet de mon intervention : j’ai fait le point en ce début d’année 2021 sur quelques dossiers sur lesquels nous nous concentrons pour réaliser notre ambition de faire de l’UE un acteur global.

Tout d’abord, il nous faut continuer à consacrer une grande partie de notre énergie à notre voisinage immédiat, compte tenu des menaces et des défis considérables qui se multiplient à nos frontières, des Balkans à l’Afrique, de la Méditerranée orientale à la Russie.

Dans nos relations avec la Turquie, nous avons enregistré depuis décembre dernier des déclarations encourageantes d’Ankara et quelques mesures positives comme la reprise des consultations entre la Grèce et la Turquie sur la délimitation des zones maritimes. Nous avons cependant besoin maintenant d’actes et de propositions concrètes pour progresser. Notre objectif reste clair : nous voulons sortir de la dynamique négative qui a marqué l’année 2020 et revenir à la coopération pour développer une relation mutuellement bénéfique avec la Turquie, voisin et partenaire incontournable pour l’Union.

Au cours des prochains mois, notre relation avec l’Afrique sera également une priorité. Dans le contexte actuel, nos partenaires africains accorderont en effet une attention toute particulière au soutien que nous saurons leur apporter face à la crise engendrée par l’épidémie de COVID-19, notamment via l’allégement de la dette. L’Union est aussi fortement engagée au Sahel, pour œuvrer avec nos partenaires africains à la stabilité et au développement de la région face au terrorisme islamiste. Et le défi est immense.

Du côté de la Russie enfin, je me suis rendu à Moscou, dans un contexte difficile. L’Union européenne a immédiatement condamné l’arrestation d’Alexei Navalny à son retour en Russie le 17 janvier ainsi que sa condamnation le 2 février et demande sa libération. Nous continuons aussi d’appeler les autorités russes à enquêter d’urgence sur la tentative d’assassinat dont il a été victime. Nous avons également condamné la répression violente et massive des manifestations des dernières semaines qui confirme la réduction de l’espace laissé à l’opposition en Russie.

Pour autant la Russie reste un voisin et un partenaire de première importance avec lequel nous devons maintenir un dialogue exigeant si nous voulons vraiment devenir un acteur global et pouvoir peser sur des dossiers essentiels pour notre sécurité comme la Syrie, la Libye, le Haut-Karabakh, la Biélorussie ou encore l’Ukraine. C’est l’objet de ma visite.

Il nous faut ensuite organiser un nouveau départ dans nos relations avec les États-Unis. Depuis son entrée en fonction le 20 janvier dernier, Joe Biden a montré un autre visage de l’Amérique. Celui que nous connaissons et qui nous rassure. Les premiers contacts avec la nouvelle administration américaine sont très encourageants, et contribuent à poser les jalons d’un partenariat vertueux et exigeant.

Relancer les relations entre l’UE et les États-Unis ne signifie pas cependant que nous serons nécessairement à l’avenir toujours d’accord sur tout, mais nous continuons manifestement de partager un socle de valeurs communes. L’Europe a pris progressivement conscience de la nécessité d’entamer sa mue, pour pouvoir répondre aux défis de notre époque. Une Europe plus autonome sur le plan stratégique sera aussi un partenaire plus efficace pour les États-Unis.  Nous voulons aussi travailler ensemble en priorité sur les réponses à la crise climatique, sur le commerce et l’investissement et sur la réglementation des nouvelles technologies.

En termes de politique étrangère au sens plus traditionnel, les sujets d’intérêt commun ne manquent pas non plus. À commencer par les crises dans le voisinage oriental de l’UE où nous devons défendre ensemble la souveraineté et les réformes en Ukraine et développer une approche forte et cohérente à l’égard de la Russie. Nous devons aussi mieux coordonner nos engagements avec la rive sud de la Méditerranée, au Moyen-Orient et dans le golfe Persique.

Faire revenir les États-Unis

dans l’accord sur le nucléaire iranien

Enfin, en tant que coordinateur de l’accord nucléaire avec l’Iran, j’ai travaillé dur durant toute l’année 2020 pour le maintenir en vie. Avec l’administration Biden, nous devons maintenant trouver un moyen pour que les États-Unis puissent revenir dans l’accord tout en faisant aussi en sorte que l’Iran s’y conforme à nouveau pleinement.

Il nous faut ensuite réussir à rééquilibrer nos relations avec la Chine. Dans nos relations avec cette superpuissance, notre unité est un préalable essentiel : aucun pays de l’Union ne peut défendre seul ses intérêts face à un pays de cette taille. La coopération avec la Chine est nécessaire dans des domaines comme le changement climatique, mais cela vaut aussi pour la pandémie de COVID-19 ou l’allégement de la dette des pays pauvres, etc.

Améliorer l’accès au marché chinois

C’est dans ce contexte, que nous avons conclu avec elle fin 2020 un accord global sur l’investissement. Cela va nous permettre d’améliorer l’accès au marché chinois pour nos entreprises. Mais nous ne devons pas nous faire d’illusions et être vigilants à la stricte application des engagements pris par la Chine en matière d’aides d’état ou de droit du travail.

En même temps, chacun peut constater le comportement inacceptable du gouvernement chinois à Hong Kong ou au Xinjiang. Nous l’avons condamné sans ambiguïté et nous continuerons à le faire. Nous devons donc, selon les dossiers, continuer à considérer la Chine à la fois comme un partenaire, comme un concurrent et comme un rival.

Il nous faut également mettre en œuvre l’autonomie stratégique européenne. Nous avons beaucoup discuté de ce concept mais la pandémie de COVID-19 a souligné l’urgence de le mettre en pratique. Il ne s’agit pas de rechercher l’autarcie ou de se convertir au protectionnisme, mais de rester maîtres de nos propres choix pour décider de notre avenir.

Cela implique que l’Europe corrige ses vulnérabilités dans un large éventail de domaines, du numérique et des infrastructures critiques aux terres rares, en passant par la santé et la défense. Sur ce terrain, la prochaine étape consiste à adopter un Strategic Compass, une boussole stratégique, pour forger une culture stratégique européenne et développer un langage commun sur la sécurité et la défense.

Revitaliser le multilatéralisme

Enfin, last but not least, nous devons d’urgence réussir à revitaliser le multilatéralisme. Le retour des États-Unis sur la scène mondiale est un point d’appui important dans ce domaine mais nous espérons aussi que d’autres, et notamment la Chine et la Russie, accepteront de modifier leur approche trop sélective de la coopération au sein des Nations unies et ailleurs.

Appeler à un « Rules-Based International Order », une « coopération internationale fondée sur des règles » restera cependant toujours un slogan moins mobilisateur que « take back control » ou « America first ». Pour que le multilatéralisme redevienne crédible, nous devons donc veiller à ce qu’il donne des résultats tangibles pour les citoyens.

Ce doit être le cas en particulier cette année sur le dossier des vaccins contre le COVID-19. À cause notamment de l’apparition de nouveaux variants, personne ne sera réellement en sécurité tant que nous n’aurons pas vacciné toute la population mondiale. Tout au long de cette année, une des principales questions qui se posera en Europe comme partout ailleurs dans le monde sera : combien de vaccins allons-nous recevoir et quand ?

Dans ce contexte, il existe un risque très sérieux que domine le « nationalisme des vaccins » ou la « diplomatie des vaccins », les pays les plus riches et les plus puissants se plaçant en première ligne. Ce n’est pas notre choix. En même temps que nous vaccinons les populations européennes, nous sommes pleinement engagés pour aider nos partenaires à vacciner les leurs, notamment via l’initiative globale COVAX, dont l’UE est le premier donateur.

Notre deuxième grande priorité multilatérale pour 2021 est évidemment la lutte contre la crise climatique, avec la COP26 qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain. Il n’y aura en effet jamais de vaccin contre le changement climatique et nous devons absolument réussir à infléchir sans délai la courbe des émissions.

Pour sa part, l’UE s’est fixé l’objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone en 2050. De son côté, la Chine a rendu publique son intention de devenir neutre en carbone d’ici 2060. Les États-Unis viennent de décider de revenir dans l’Accord de Paris et devraient eux aussi se fixer des objectifs élevés. Il est urgent que l’Inde, la Russie, le Brésil et d’autres grands émetteurs se joignent à ce mouvement et nous allons travailler dur pour les en convaincre.

Du pain sur la planche

Bref, nous avons du pain sur la planche cette année pour faire de l’Europe un véritable acteur global. Sans compter bien entendu les crises qui ne manqueront pas de surgir de façon inattendue comme le COVID-19 l’avait fait avec tant d’éclat l’année dernière.

 

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