CONFÉRENCE : « Ne pas se limiter aux indicateurs économiques » selon Bernard Lugan

Invité par le magazine économique de l’océan Indien L’Eco austral, dans le cadre de l’AfrAsia Tecoma Award 2013, Bernard Lugan a animé vendredi dernier au Angsana Hotel, Balaclava, une conférence sur le thème « Mieux connaître l’Afrique avant d’y investir ». Le géopolitologue français a présenté une vision sans concession « des Afriques » car, soutient-il, les situations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Avant d’investir sur ce continent, il conseille de bien analyser les forces et faiblesses de chaque pays et ne pas s’en tenir qu’aux seuls facteurs économiques.
« Si vous voulez faire du commerce avec l’Afrique, il n’y a pas de problème », déclare d’emblée Bernard Lugan. « Le potentiel se révèle d’ailleurs énorme puisque ce continent représente moins de 4 % du commerce mondial et la montée des classes moyennes dans certains pays génère de nouveaux besoins », s’enthousiasme-t-il.
Le géopolitologue nuance toutefois ses propos quand il s’agit non de commerce mais d’investissement : « Par contre, si l’on envisage d’investir en Afrique, alors il faut toutefois se montrer prudent », conseille-t-il. « Un taux de croissance global de 5 %, ça ne veut pas dire grand chose. Il existe d’importants décalages régionaux, par exemple entre les pays à façade maritime et ceux qui demeurent enclavés… Il y a aussi les problèmes liés à la géopolitique du pétrole. L’approche macroéconomique ne facilite pas une bonne compréhension car elle fait l’impasse sur la terre et les hommes… », prévient-il. Il estime que « la politique peut avoir des effets dévastateurs sur l’économique ».
En tant qu’historien et géographe, Bernard Lugan affirme analyser le potentiel mais aussi les risques à investir dans un pays africain. « Combien d’investisseurs se sont fourvoyés en Côte d’Ivoire pour avoir négligé cette vision géopolitique ! », déplore-t-il. La Tunisie et le Zimbabwe sont deux autres pays qui illustrent les effets dévastateurs du politique sur l’économique, dit-il.
Le conférencier regrette ce défaut des investisseurs qui consiste à trop privilégier l’économie. « Pour les grands groupes, c’est moins grave car ils disposent d’un pouvoir autonome de négociation. Mais pour une PME, cela peut être lourd de conséquences », fait-il observer.
Pour étayer son analyse, Bernard Lugan sort ses cartes. D’abord celle des dix pays les plus performants sur la période 2008-2012, avec une croissance moyenne annuelle d’environ 7 %. Il cite notamment : la Libye, Sierra Leone, Le Liberia, le Ghana, le Nigeria, l’Éthiopie, le Rwanda, le Malawi, le Mozambique et le Zimbabwe.
« Deux fois sur trois, cependant, on court à la catastrophe si l’on s’en tient à ces pays précités », prévient Bernard Lugan. En effet, poursuit-il, la Libye n’existe plus, et le Nigeria pourrait exploser avec des musulmans au nord et des chrétiens au sud où se tiennent les richesses. De même la croissance du Rwanda demeure artificielle, estime-t-il, avec un budget de l’État alimenté à 50 % par des dons qui représentent la « rente génocidaire ». Aussi préconise-t-il « la méfiance » vis-à-vis du Nigeria et du Rwanda.
Pour le géopolitologue, il existe cependant d’autres pays qui partent de très bas, comme le Liberia et Sierra Leone, mais qui affichent d’impressionnants taux de croissance.
Est-ce une bonne raison pour y investir ? Absolument pas, répond le conférencier. Sur les dix pays les plus performants (en termes de croissance), il n’en retient que trois : l’Éthiopie, le Mozambique et le Ghana.
« L’Éthiopie est un grand pays d’avenir… », indique-t-il. « C’est aussi le gendarme de la Corne de l’Afrique, disposant d’une des meilleures armées du continent avec celle de l’Angola. Mais ce pays a perdu sa façade maritime avec l’Érythrée et une guerre est donc possible s’il veut la retrouver », avertit-il.
De gros projets sont en cours en Éthiopie avec notamment celui d’une immense usine hydroélectrique pour toute la péninsule arabique. Mais ce projet entraîne des problèmes avec l’Égypte « qui ne vit que par le Nil ». Ce projet éthiopien, doublé d’un projet au Sud Soudan, va retenir l’eau que l’Égypte voulait capter pour son irrigation — l’Égypte est un pays dont le problème numéro un est la surpopulation. « Le nombre d’habitants aurait atteint le cap des 100 millions alors que le pays n’a la capacité d’en nourrir que 40 millions », précise-t-il.
Un autre pays d’avenir, selon le conférencier : le Mozambique, qui dispose de terres fertiles, d’une longue façade maritime et de richesses importantes en gaz. « Mais ce pays n’a pas fini avec la guerre et le niveau de corruption est important », fait-il observer.
« Au final, sur les dix pays les “plus performants”, le Ghana représente la valeur sûre, d’autant qu’on y a découvert des réserves pétrolières exploitées depuis 2011 », se félicite Bernard Lugan.
Le conférencier se penche ensuite sur les cinq pays les moins performants sur la période 2008-2012, ceux dont la croissance moyenne annuelle s’est située entre 1 % et 2 % et qui pour autant, « ne sont pas forcément à exclure de projets d’investissements ». Il s’agit du Soudan, du Swaziland, du Lesotho, de l’Afrique du Sud, de Madagascar et des Comores.
Le Soudan, explique l’orateur, a donné le jour à deux pays, dont le Sud Soudan où tout est à faire. Ce pays dispose d’un gros potentiel, mais se heurte au problème de l’écoulement de son pétrole dépendant du Soudan Nord. Ce problème pourrait se régler avec le projet de « couloir pétrolier » initié par le Kenya. Mais ce « couloir » devrait passer à proximité du sud de la Somalie, une zone de tensions à l’heure actuelle et qu’il convient d’abord de pacifier.
D’autres pays attirent l’attention de Bernard Lugan comme « pays d’avenir » : l’Ouganda, l’Angola et la Tanzanie. Il se montre plus réservé au sujet du Kenya, englué dans d’éternels conflits ethniques.
L’intervenant estime que d’une manière générale, l’Afrique francophone semble la moins séduisante et le grand pays francophone qu’est la RDC n’existe plus vraiment comme pays avec des régions qui échappent au pouvoir de l’État.
De l’Afrique du Sud, Bernard Lugan dira que ce pays n’a pas répondu aux attentes de l’après-apartheid. « La faible croissance ne permet pas de répondre aux besoins en emplois et le chômage augmente alors qu’on assiste à une fuite des cerveaux », élabore-t-il. « Il existe toutefois des secteurs de pointe qui survivent et demeurent attrayants pour des investisseurs. Attention cependant ! Le scénario zimbabwéen n’est pas exclu et pourrait se révéler catastrophique », prévient-il.
Sur Madagascar, Lugan dit ne pas souhaiter se prononcer car ce pays ne fait pas partie de son champ d’études. De même, ne s’est-il pas penché sur l’avenir des Comores.
Et le conférencier de conclure : « L’Afrique dispose d’énormes potentialités, mais il ne faut pas aller investir n’importe où et il faut bien mesurer les risques en ne se limitant pas qu’aux indicateurs économiques. »

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