COP27 : quand crise climatique rime avec colonialisme…

SHAAMA SANDOOYEA

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Activiste pour le climat

La 27ème conférence des parties (COP27) sur les changements climatiques a pris fin le dimanche 20 novembre 2022 avec quelques progrès sur certains sujets notamment le lancement de l’initiative ENACT et l’approbation du mécanisme de financement pour les pertes et préjudices liés aux impacts du changement climatique, appelé « loss and damage » en anglais, mais pas sur d’autres comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou l’abandon des combustibles fossiles. Les grands émetteurs comme la Chine ou l’Arabie Saoudite refusent catégoriquement la proposition d’abandonner les combustibles fossiles. Malgré cette énorme déception, les activistes et négociateurs des pays du Sud ont finalement pu témoigner de l’agrément du tant attendu « loss and damage ». Ce mécanisme de financement est crucial pour les pays vulnérables, dont les petits états insulaires, car l’impact de la crise climatique dans ces territoires dépasse l’adaptation. Dans ces situations, les incidences sont irréversibles, à titre d’exemple la destruction des infrastructures et les pertes de vie au Pakistan suite aux inondations ; la famine accentuée au Kenya, en Éthiopie et Somalie avec les épisodes de sècheresse liée à La Niña (1) ; les inondations au Nigéria ; la montée des eaux qui détruit les maisons au Kiribati ; ainsi de suite.

D’après la science

Selon une analyse continue par des scientifiques de la NASA, l’augmentation de la température globale se situe actuellement entre 1,1℃ à 1,2℃ depuis la révolution industrielle. Pour rappel, l’objectif de l’Accord de Paris est de ne pas dépasser le seuil de 1,5℃ d’ici 2100. Les Nations unies ont effectué une estimation de l’augmentation de la température globale d’ici 2100 en se basant sur les feuilles de route soumises par les états membres en amont de la COP27 et le résultat est désastreux. Si tous les états membres respectent leurs plans nationaux, nous atteindrons une augmentation de 2,5℃ (meilleure évaluation estimée entre 2,1℃ et 2,9℃), soit 0,2℃ moins que les ambitions présentées à la COP26 à Glasgow en 2021. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que les émissions globales de gaz à effet de serre devront diminuer de 45% à 50% jusqu’à 2030 (en contraste aux émissions de 2010) si nous souhaitons respecter la limite de 1,5℃ d’ici 2100. Malgré le troisième épisode consécutif de La Niña, il est fort probable que 2022 soit une des années les plus chaudes selon le Dr. Bill McGuire, professeur émérite en géophysique et risques climatiques à l’University College London (UCL). Dans la mesure où nous observerons El Niño fin 2023 ou en 2024, la température globale pourra frôler ou temporairement atteindre le seuil de 1,5℃ dans les prochaines années.

Les dirigeants politiques sont aussi coupables que les compagnies pétrolières

L’agence internationale de l’énergie (IEA) a émis un rapport en 2021 précisant que nous devons abandonner tous les projets de combustibles fossiles afin d’éviter l’accélération de la crise climatique. Néanmoins, les compagnies pétrolières et les décideurs politiques font la sourde oreille. Les dirigeants utilisent l’invasion violente de la Russie en Ukraine pour davantage investir dans le pétrole ou le gaz à travers le monde. Prenons l’exemple du gouvernement mauricien qui s’est permis de venir de l’avant avec un projet de loi (Offshore Petroleum Bill) pour l’exploration et l’exploitation du pétrole dans les eaux mauriciennes, et qui se voit participer à un projet « scientifique » financé par le Programme des Nations Unies (PNUD), pour l’exploration du pétrole en collaboration avec le gouvernement seychellois à la Joint Management Area (2).

L’herbe n’est pas plus verte ailleurs : même si quelques membres de l’Union européenne (UE) tentent de réduire la consommation d’énergie durant l’hiver ou de favoriser l’utilisation des énergies renouvelables, des banques de l’Union européenne continuent de soutenir des projets de combustibles fossiles en Afrique. Des banques canadiennes et américaines sont également impliquées. Tout récemment, TotalEnergies, une compagnie pétrolière française, a annoncé son investissement dans un projet gazier offshore au large de l’Afrique du Sud, plusieurs mois après que Shell, une compagnie pétrolière américaine, se soit retiré avec le même type de projet. TotalEnergies construit également un pipeline de 1400 km de long en Ouganda et en Tanzanie, menaçant le lac Victoria, les forêts denses et les communautés locales. Pendant ce temps, Joe Biden et Emmanuel Macron s’envolent pour la COP27 pour nous alarmer sur la crise climatique !

Trêve d’hypocrisie, place au colonialisme !

Comme mentionné plus tôt, un sujet très attendu à la COP27 était le mécanisme de financement pour les pertes et préjudices liés aux impacts du changement climatique. Celui-ci a été voté et accepté à la dernière minute grâce à la pression implacable des activistes et des négociateurs des pays du Sud. Ce mécanisme n’est pas encore mis en place et il faut attendre possiblement plusieurs mois ou années avant que celui-ci soit concrétisé puisqu’il faut préciser la/les source(s) des fonds, l’écoulement des financements, l’éligibilité des pays, et s’assurer que les communautés affectées bénéficient directement des fonds contrairement au fonds pour le climat. En effet, les communautés des pays du Sud affectées par la crise climatique militent depuis plus de 30 ans pour des réparations climatiques. Ce terme, sujet sensible auprès des diplomates, ne convient pas aux pays développés qui préfèrent « réhabilitation » et « rescousse ». Les réparations climatiques ne constituent pas une compensation, mais il est bien question de reconnaître la responsabilité du colonialisme par les pays du Nord dans la crise climatique – première étape vers la justice climatique.

Il n’est pas possible de s’attaquer à une telle problématique sans aborder sa source. Le GIEC a publié plus tôt en 2022 un rapport reconnaissant, pour la première fois, le lien entre la crise climatique et le colonialisme. Les pays développés ont bâti leur richesse sur l’exploitation des ressources [naturelles et humaines] des pays du Sud. Ces derniers se sont appauvris, n’ont jamais pu remédier à ce traumatisme, et sont devenus particulièrement vulnérables aux crises, que ce soit en termes de ressources [financières ou naturelles] ou en termes de résilience des territoires. En parallèle, les pays du Nord sont responsables de 92% des émissions accumulées des gaz à effet de serre depuis 1850(3) et 100 compagnies pétrolières sont responsables de plus de 70% des gaz à effet de serre depuis 1988(4). Les pays du Sud ont du mal à s’adapter à la vitesse à laquelle change le climat, et donc depuis quelques années, le financement pour le climat a été mis en place dans le but de permettre aux pays vulnérables de s’adapter à la crise climatique et de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le financement pour le climat a deux mécanismes principaux : prêts pour les pays à revenus moyens et dons pour les pays pauvres. De 2016 à 2020, 46 des pays pauvres ont eu accès à 17% du financement uniquement selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2020. En conséquence, les pays du Sud éligibles aux prêts se sont retrouvés endettés. Ce financement a été critiqué par des scientifiques et activistes, notamment Barletti et Larson (2017) qui illustrent des exemples de violation des droits humains en Indonésie, au Kenya, au Pérou et en Tanzanie où les autorités empêchaient aux communautés locales d’accéder aux terrains sous prétexte que ces territoires faisaient l’objet des projets de conservation. Des technologies « vertes », comme les véhicules électriques ou les panneaux solaires, sont engagées dans des pratiques qui nuisent à l’environnement et aux communautés locales. Le cobalt, le nickel et le lithium sont très prisés par ces industries et les compagnies minières s’engagent dans l’exploitation des mines dans les pays sous-développés, impliquant des fois le trafic des enfants notamment au Congo selon une étude menée par Amnesty International.

D’après l’IEA, les activités minières, en particulier pour accéder au lithium et au cobalt, connaîtront une hausse d’ici 2040. Plusieurs pays commencent déjà à envisager l’exploration des fonds marins afin de soustraire les minerais et cela s’ajouterait à la liste de pressions qui pèsent actuellement sur les écosystèmes marins. D’ailleurs, il est possible que le gouvernement mauricien présente un autre projet de loi, le Seabed Mineral Bill, qui permettra aux compagnies minières étrangères d’exploiter les ressources minières des fonds marins dans les eaux mauriciennes. Ces pratiques ne sont pas durables et répètent l’histoire coloniale qu’ont vécue les pays du Sud. À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’actions concrètes ou de mécanisme concret mis en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou pour abandonner les combustibles fossiles. Afin de correctement valoriser le financement « loss and damage », les pays du Nord doivent impérativement reconnaître le rôle du colonialisme dans la crise climatique afin de ne pas commettre les mêmes erreurs comme avec le capitalisme vert et le financement pour le climat, et viennent de l’avant avec des actions climatiques concrètes.

Le mot de la fin

Nous ne pouvons plus censurer la vérité. Le colonialisme a séparé l’humain de la nature en arrachant violemment les communautés locales et indigènes de leurs terres afin d’exploiter les ressources naturelles. À ce jour, 80% des territoires de conservation pour la biodiversité sont protégés par moins de 5% de la population globale – soit les peuples autochtones, et ils sont menacés par des capitalistes ! Afin de protéger ces écosystèmes naturels, il faut, par exemple, que les communautés indigènes deviennent propriétaires de leurs terres et soient suffisamment équipées financièrement et soutenues par la communauté scientifique.

Le financement « loss and damage » pourrait faire la différence au sein des communautés gravement affectées par la crise climatique dans les pays du Sud mais cela, si correctement concrétisé, reste tout de même qu’une bouée de sauvetage. Il faut que les pays du Nord assurent un avenir sain et sauf pour tous, en particulier pour les pays du Sud qui paient, de manière injuste, le prix fort des émissions des pays du Nord. Il faut que les dirigeants politiques aient l’audace de sanctionner les compagnies gazières et pétrolières et les banques qui financent les projets de combustibles fossiles. Les coupables de la crise climatique doivent avoir la décence de reconnaître leur responsabilité dans la destruction perpétuelle des peuples vulnérables et des pays du Sud. Nous avons besoin d’actions concrètes aujourd’hui, et non pas de vagues « possibilités » pour demain car entre temps, la crise climatique fera encore plus de victimes.

Le message est clair : il faut que les émissions de gaz à effet de serre globales baissent de 45% à 50% d’ici 2030 ; qui est prêt à relever ce défi ?

Notes

1)La Niña est un événement climatique induisant une baisse de la température des eaux (à la surface) dans l’est de l’océan Pacifique proche de l’équateur ; contrairement à El Niño qui induit une augmentation de la température des eaux. Notons que nous observons le troisième épisode consécutif de La Niña cette année-ci. Selon une étude récemment publiée dans le journal Nature Communications, les impacts des événements El Niño et La Niña s’exacerberont d’ici 2030 avec l’augmentation de la température globale.

2)Le Joint Management Area est un mécanisme juridique joint permettant aux gouvernements mauricien et seychellois de gérer la zone étendue du Continental Shelf sur le plateau des Mascareignes.

3)Publié en septembre 2020 dans le Lancet Planetary Health.

4)Publié en 2017 dans le rapport Carbon Majors Report.

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