Cour International de Justice — Chagos : « Londres assimile un fait accompli à un choix libre »

Maurice récuse la thèse que les élections générales du 7 août 1967 pouvaient satisfaire les exigences de l’autodétermination

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La première puissance coloniale de Maurice se range du côté de Maurice face à la Grande-Bretagne sur le dossier de l’archipel des Chagos

New Delhi : « À travers la résolution 1514 (XV), la communauté internationale a démontré la ferme détermination que tous les pays coloniaux ainsi que les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes accèdent immédiatement à une indépendance complète »

Outre les différents exposés de nature juridique devant la Cour internationale de justice, après l’intervention liminaire du ministre mentor, sir Anerood Jugnauth, d’hier matin, la position de Maurice sur les Chagos est explicitée dans deux séries de documents. Le dernier en date, notamment les Observations écrites de la République de Maurice Volume I en date du 15 mai dernier, accessible comme tous les autres exposés écrits, soumis dans le cadre de l’“Advsiory Opinion” sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, a toute sa pertinence dans la mesure où Maurice répond de manière systématique aux objections et points soulevés par la Grande-Bretagne et ses rares alliés, en l’occurrence les États-Unis, l’Australie et Israël. Le point fondamental est qu’avec l’excision unilatérale et illégale de l’archipel des Chagos de la République de

Maurice, le processus de décolonisation et d’auto-détermination n’a pas été complété. Comme l’a affirmé sir Anerood au Palais de La Paix devant le “full bench” de la CIJ, « the choice was no choice at all » sur l’archipel des Chagos dans le sillage de la conférence constitutionnelle de Lancaster House de septembre 1965.

Maurice reviendra sur cette thèse de “No Choice” pour répondre à Londres au sujet de la tenue des élections générales cruciales d’août 1967 concernant l’indépendance. La position affichée par Londres était que les élections « furent tenues à un moment où le détachement de l’Archipel des Chagos était de notoriété publique ; les électeurs de Maurice et leurs représentants élus votèrent donc en faveur de l’indépendance sans l’Archipel des Chagos. »

Contestant cette déclaration des Anglais au sujet des élections de 1967, Port-Louis attire l’attention de la Cour internationale de justice que « l’argument du Royaume-Uni tente d’assimiler un fait accompli à un choix libre. Le choix du peuple mauricien fut précisément le même non-choix qui avait été proposé aux ministres mauriciens en 1965 : devenir indépendant sans l’Archipel des Chagos ou demeurer une colonie, également sans l’Archipel des Chagos ». Maurice s’appuie aussi sur la déclaration de Lord Brickway, intervenant à la Chambre des Lords en 1980, qui était arrivé à la conclusion que « l’archipel des Chagos fut détaché de Maurice avant son accession à l’indépendance pour que la nation ne puisse pas exprimer son opinion décisive ».

Présentant le contexte de la tenue des élections pour l’indépendance, Maurice ajoute que « les documents de cette époque montrent que les principaux enjeux des élections de 1967 étaient l’indépendance et les difficultés économiques et sociales auxquelles Maurice était confrontée ». L’exposé écrit du Royaume-Uni reconnaît que le détachement de l’Archipel des Chagos était d’une importance limitée – voire d’aucune importance – lors des élections de 1967 : « Il n’y avait aucune controverse particulière au sujet du détachement lors des élections générales. »

Maurice prend à témoin l’historien Jocelyn Chan Low pour dénoncer cette « affirmation quelque peu fallacieuse » de la Grande-Bretagne au sujet de ces élections législatives. « Pour la classe politique mauricienne, face aux tensions qui avaient surgi lors des émeutes ethniques et meurtrières et vivant dans un pays souffrant d’une grave crise de sous-développement, la question de Diego Garcia et le sort des Ilois revêtaient peu d’importance ».
Pour clore les arguments remettant en cause les arguments des Britanniques au sujet du consentement de la population sur le détachement de l’archipel des Chagos avant l’indépendance, Maurice soutient avec force que le Royaume-Uni déclare que « l’argument secondaire de Maurice est que le consentement au détachement ne pouvait être exprimé qu’à travers un référendum comme preuve du consentement libre et véritable de la population concernée. » Cela n’est pas exact. La position de Maurice n’a jamais été qu’en aucune circonstance, un peuple ne peut exercer son droit à l’autodétermination par le biais de ses représentants élus. Cependant, la pratique largement établie des Nations unies a été d’organiser un plébiscite ou un référendum dans les situations où il était question d’une division de l’entité territoriale.

Le document que dans d’autres cas où la puissance coloniale britannique avait procédé à des détachements ou délimitations de frontières, le recours au référendum était de mise comme pour les îles Caïmans ou Turks and Caicos. « Mais dans le cas présent, le dossier montre que ‘le détachement de l’Archipel des Chagos était déjà décidé, peu importe que Maurice ait donné son consentement ou non’ Conserver le territoire de Maurice intact était une option qui n’avait jamais été présentée, que ce soit aux ministres mauriciens ou au peuple mauricien directement. L’exposé écrit du Royaume-Uni n’offre aucune preuve du contraire. Le matériau historique présenté à la Cour demeure incontesté », lit-on au paragraphe 3.92.

Un autre point fondamental auquel a tenu à répondre la partie mauricienne porte sur le « silence » de Maurice au sujet de la revendication territoriale sur les Chagos depuis 1965 jusqu’en 1980 quand l’ancien Premier ministre, sir Seewoosagur Ramgoolam, devait porter la question devant l’Assemblée générale des Nations unies. Tout au long des exposés d’hier, les membres du Legal Panel de Maurice, dont le Pr Pierre Klein de l’Université Libre de Bruxelles, n’ont pas manqué de marteler que Maurice en a fait état en pas moins de 34 reprises. Mais l’explication officielle au paragraphe 3.102 du document de Maurice apporte un éclairage au sujet des menaces et des contraintes imposées par la Grande-Bretagne.
« La puissance administrante a insisté sur le fait que Maurice est restée silencieuse à propos du détachement. Le 23 septembre 1965 – le jour où les ministres mauriciens ‘‘consentirent’’au détachement – le Premier ministre Wilson informa son Cabinet ‘qu’il ne serait pas permis au gouvernement de Maurice de soulever la question, ou d’insister pour la restitution des îles, de sa propre initiative.

Le Tribunal institué au titre de la CNUDM a unanimement conclu que ‘‘la retenue dont [Maurice] a fait preuve quant à sa revendication de souveraineté résulte des engagements donnés par le Royaume-Uni’ », soutient Maurice en faisant référence au commentaire du Tribunal à ce sujet à l’effet que ‘‘sans l’ensemble des engagements donnés… Maurice aurait fait valoir ses revendications sur l’archipel plus tôt et plus directement’’.

Le document de Maurice en date du 15 mai laisse clairement comprendre que les menaces de représailles de la Grande-Bretagne sur le plan économique et autres ne datent pas d’hier. Ainsi, « en 1983, le ‘‘commissaire’’ du ‘‘BIOT’’, M. Wenban-Smith, proposa d’informer Maurice qu’une répétition de sa revendication ‘‘aurait de très sérieuses répercussions sur nos relations bilatérales’’. Se référant à la possibilité de retirer l’aide à Maurice et de réduire l’achat de sucre, le haut-commissaire britannique à Maurice (James Nicolas Allen) suggéra « qu’il doit y avoir une réelle tentation de recourir au bâton ».

Au chapitre des rapports des forces, Maurice se félicite du fait que 31 des 32 exposés écrits reconnaissent que la Cour internationale de justice de La Haye a compétence pour donner un avis consultatif demandé. Par contre, six États, dont la Grande-Bretagne, l’Australie, le Chili, la France, Israël et les États-Unis, sont arrivés à la conclusion que « la Cour ne devrait pas répondre aux deux questions posées. De leur côté, la Chine, la Russie et la Corée du Sud, tout en se rangeant dans le camp de Maurice  » ont prié la Cour d’agir avec une certaine prudence quant à sa manière de procéder.

Les deux alliés de poids de Maurice devant la Cour de La Haye demeurent l’Inde et l’Union africaine même si la contribution des autres États présents à l’étape des auditions publiques a toute leur importance. Au document de résumer la position de l’Inde, qui maintient que les Britanniques ont violé les exigences juridiques et légales avec le démembrement du territoire de Maurice avant l’indépendance. New-Delhi note qu’« à travers la résolution 1514 (XV), la communauté internationale a démontré la ferme détermination que tous les pays coloniaux ainsi que les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes accèdent immédiatement à une indépendance complète et aient la liberté de construire leurs propres États nationaux, conformément à la volonté et au souhait librement exprimés de leurs peuples … Tous les pays doivent observer strictement et résolument les dispositions de la Charte des Nations unies et de la résolution (Déclaration) concernant l’égalité et le respect pour les droits souverains et l’intégrité territoriale de tous les États ».

Abordant le volet du retour des Chagossiens dans leur archipel natal, Maurice fait ressortir qu’en tout état de cause, il est faux de prétendre que la réinstallation n’est pas réalisable. Maurice fait ressortir que « cette question de réinstallation des Mauriciens d’origine chagossienne est de la plus haute importance internationale. Avant l’achèvement immédiat de la décolonisation, la puissance administrante ne devrait pas entraver les efforts de Maurice de mettre en œuvre un programme pour la réinstallation des Mauriciens d’origine chagossienne qui ont été illégalement expulsés par la puissance administrante et pour assurer l’accès d’autres citoyens mauriciens à l’Archipel des Chagos conformément au droit mauricien ».

Les auditions devant la Cour internationale de justice se poursuivent aujourd’hui et ce, jusqu’à jeudi avec l’intervention de l’Union africaine sur l’auto-détermination et le processus de décolonisation.

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