Des biens communs au bien commun de l’humanité…

REYNOLDS MICHEL

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« Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale », a twitté le président Emmanuel Macron le 22 août dernier, suite aux incendies en cours en Amazonie à la fin du mois d’août 2019. « L’Amazonie, bien commun de l’humanité, est dévastée par des incendies et la déforestation », titrait, ici et là, à la même période, la presse française avec l’AFP.

Le 6 septembre, au moment où se tenait, en urgence, un sommet sur l’Amazonie, la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, appelait à « renforcer les outils », comme la Convention du patrimoine mondial, visant à protéger des biens communs de l’humanité. « La notion des biens communs – dont la transmission aux générations futures concerne le monde entier ‒– est, précise-t-elle, à l’origine même de la Convention du patrimoine mondial de l’Unesco depuis les années 1970 et s’illustre dans des lieux comme l’Amazonie mais aussi la barrière de corail, la forêt tropicale africaine ou le patrimoine marin » (Ouest-France, 06/09/2019). Voilà lancé un concept – « bien commun » ou « biens communs »  qui fait aujourd’hui florès dans la pratique militante et dans de nombreuses disciplines.

Que sont les biens communs ?

Étant posé le rapport fort entre les biens communs et l’écologie, on peut se demander à qui appartient l’Amazonie ? La forêt amazonienne, compte tenu de son importance vitale pour la planète, est-elle un bien commun de l’ensemble de l’humanité ? Et qu’en est-il de la souveraineté du Brésil ‒– où se trouvent les deux tiers de la forêt ‒– et de huit autres pays (la Bolivie, l’Équateur, le Pérou, la Colombie, la Guyane française, le Guyana, le Suriname et le Venezuela) qui composent cette région amazonienne ? Ce qui est en cause, ce n’est pas tant la juste souveraineté des États que la privatisation des ressources naturelles, la privatisation des éléments indispensables à la vie, la surexploitation de nos sols, de nos forêts et de nos océans, l’appauvrissement de notre biodiversité, bref, de nos biens communs.

Mieux connus depuis les travaux de l’économiste américaine Elinor Ostrom (1933-2012), lauréate du prix Nobel de l’économie en 2009, sur la gouvernance des communs, des “commons” (1) – ‒une gouvernance qui échappe au marché – ‒les biens communs reviennent en force sur le devant de la scène. Sa défense est aujourd’hui une revendication forte de nombreux mouvements sociaux, tout en faisant l’objet d’un intérêt croissant de la part du monde académique. Mais que sont les biens communs ?

Ce sont les biens naturels comme l’eau, la terre, la forêt, la mer, les océans, le climat, le vivant… et les biens produits – ‒une pêcherie, un réseau d’irrigation ou de semences…‒ – entretenus, partagés entre des usagers regroupés dans un collectif et gouvernés par des règles. Des règles de bonne gestion que les usagers se donnent, visant à en assurer l’intégrité ou le renouvellement. Ce sont des biens qui se situent entre les biens publics et les biens privés. Des biens libres d’accès et d’usage ‒– on ne peut exclure personne ‒– mais dont la consommation diminue la disponibilité, réduit l’utilisation par d’autres (rivalité). L’eau qui diminue au fur et à mesure de sa consommation ou encore un banc de poissons sont des exemples de biens communs, des biens dits non exclusifs mais rivaux et fragiles.

Les biens communs renvoient donc à des ressources partagées ‒– naturelles ou autres, matérielles et immatérielles ‒– socialement construites comme des ressources collectives rares, menacées, faisant partie du patrimoine d’une collectivité ou de l’humanité et qu’il convient donc de protéger. Ils impliquent la responsabilité collective et l’éthique individuelle. Ce qui est en jeu dans la protection des biens communs, c’est la défense des ressources essentielles d’une société contre toujours plus de privatisation et de marchandisation.

Instaurer un monde fondé  sur le Bien commun

En effet, nous vivons dans des sociétés où le marché a tout envahi, a tout privatisé jusqu’à mercantiliser les ressources naturelles sans tenir compte de leur renouvellement ni de la destruction des écosystèmes. L’objectif est de sortir de l’impasse à laquelle mène le modèle néolibéral actuel en mettant à l’ordre du jour la défense et le développement des biens communs dans tous les domaines, depuis l’environnement jusqu’à la culture en réanimant des formes de production et d’échanges fondées sur les valeurs de partage, de solidarité et de convivialité.

La pensée des communs irrigue aujourd’hui un ensemble de pratiques et de luttes à travers le monde, animé par une volonté de promouvoir une autre approche du développement qui préserve la destination universelle des ressources naturelles. Mais comme le cadre conceptuel de cette pensée des communs paraît un peu flou, on peut se demander s’il ne conviendrait pas de placer les communs dans un cadre conceptuel plus élaboré : celui, par exemple, de la thématique du Bien commun qui nous vient d’Aristote, de Thomas d’Aquin, et de la doctrine sociale de l’Église, sa forme la plus élaborée.

Selon cette approche ‒– qui relève de la philosophie éthique ‒– le Bien commun est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Vatican II / Gaudium et Spes, n° 26, 1965). Les êtres humains ici sont considérés comme des êtres sociaux. Chacun de nous ne devient une personne et ne peut se réaliser qu’au sein d’une vie sociale et d’une culture. La personnalisation et la socialisation sont deux processus qui se poursuivent simultanément. Personne et société s’appellent l’une l’autre. Le bien de chacun est donc lié au bien commun qui est « le bien du “nous tous” », comme le dit  justement Benoît XVI (Caritas in veritate, n°7 / 2009). Un « nous-tous », précisons-le, qui englobe non seulement les personnes, mais aussi les groupes, les communautés et les corps intermédiaires (collectivités locales, syndicats, partis, Églises associations…) sans lesquels il n’y a pas de vie sociale. Un « nous-tous » inclusif qui ne ferme pas la porte de la cité au nez de personne et qui ne connaît pas de frontières.

Des principes d’action  pour changer de cap

Ce qui rend ces biens communs, c’est qu’ils sont des ressources nécessaires au développement de l’ensemble des êtres humains et qui échoient en partage à l’humanité. Le bien commun est, de ce fait, le bien commun de l’humanité, présente et à venir. Il est presque naturel qu’il soit intimement lié au principe subversif de la destination universelle des biens. De quoi s’agit-il ? L’audace d’affirmer que les biens terrestres appartiennent à tous et sont à la disposition de tous, et que la Constitution Gaudium et Spes de Vatican II formule en ces termes : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, de sorte que les biens de la création doivent affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (GS, n° 69). Voilà donc limité le droit de propriété, certes légitime et nécessaire, mais subordonné à celui de la destination universelle des biens. La propriété, dira Jean XIII, a une fonction sociale (Mater et Magistra, n° 120). Elle est une intendance en vue du bien commun.

D’autre part, le bien commun, parce qu’il suppose le respect de la personne et des corps intermédiaires, s’articule nécessairement avec le principe de subsidiarité, qui recommande que les décisions soient prises au plus près des parties prenantes, dans le respect de la liberté de choisir et d’agir de tout un chacun. Mais favoriser la participation des corps intermédiaires et de chacun dans la prise de décision ne réduit en rien le rôle de la communauté politique en vue d’une réalisation toujours plus parfaite du bien commun. Selon Vatican II, la communauté politique « existe pour le bien commun : elle trouve en lui sa pleine justification et c’est de lui qu’elle tire l’origine de son droit propre » (Gaudium et Spes, n° 74-1).

Ces quelques principes d’action de l’enseignement social de l’Église, en y incluant l’option préférentielle pour les pauvres (reconnus comme sujets et acteurs) et la solidarité internationale, peuvent, nous semble-t-il, aider le mouvement des communs à trouver un nouveau souffle dans la défense des communs et du bien commun en mettant l’humain au centre.

Notes

(1) « Les “commons” étaient des terres communales des populations paysannes en Angleterre, qui, peu à peu, à partir du XIIIe siècle, se transformèrent en domaines privés de propriétaires terriens par les moyens des enclosures, c’est-à-dire l’établissement de clôtures par ces derniers, particulièrement pour l’élevage de moutons, ce qui provoqua de nombreuses révoltes paysannes » François HOUTART, 2011

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