Des historiens militants à coup sûr !

NIRMAL KUMAR BETCHOO

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Au mois d’août, Maurice a perdu deux personnalités, en l’occurrence Sydney Selvon et Satteeanund Peerthum, qui étaient à la fois hommes politiques, journalistes et historiens. Il existe des points communs entre les deux – ils ont étudié dans les années 1960-70, dont les années de braise, et ont tous deux servi les mêmes idéologies politiques dans un premier temps.

L’héritage de Selvon et Peerthum reste relativement abondant. Selvon a été journaliste à L’express, au Militant et rédacteur en chef du Mauricien. Il a beaucoup écrit sur l’histoire mauricienne avec des ouvrages tels que « Ramgoolam », « Une nouvelle histoire de Maurice », « Vacoas-Phoenix, genèse d’une ville ». Selvon était rédacteur en chef du Militant alors même que le socialisme battait son plein. Il gravit les échelons en tant que politicien élu du MMM. Son influence dans les médias et sur le plan socio-politique pourrait être mieux mise en évidence par ses éditoriaux dans Le Mauricien pendant quelques années où il occupait le poste de rédacteur en chef. Après un certain temps à l’étranger, Selvon fut tour à tour rédacteur en chef de Impact News, Maurice Soir et Financial News.

Pour sa part, Satteeanund Peerthum était un autre historien important puisqu’il enseignait au Bhujoharry College à l’époque où il rejoignit le MMM. Sa contribution à l’histoire a également été importante puisqu’il a choisi l’audiovisuel pour mieux s’adresser au public. La plupart de ses enseignements historiques étaient sous forme de programmes en hindoustani diffusés à la télévision locale. Peerthum était également un membre influent de l’Arya Sabha et un croyant de la philosophie et des enseignements de Swami Dayanand.

Une perspective différente

Peerthum et Selvon étaient tous deux considérés comme les « nouveaux historiens » par rapport aux historiens traditionnels comme Toussaint, Napal et un groupe d’intellectuels travaillant pour « La Société mauricienne de l’Histoire ». Les nouveaux historiens avaient une perspective différente de leur pays en écrivant avec plus de liberté et d’ouverture sur le marronnage, l’héritage culturel, le sort des travailleurs engagés et des esclaves libres, y compris le besoin de justice sociale de toutes les couches de la société mauricienne. Les historiens traditionnels avaient certes leur mot à dire, mais leurs écrits étaient davantage liés aux actions politiques passées, aux lois et à la transition de Maurice d’une nation coloniale à une nation indépendante.

Les nouveaux historiens, eux, bien qu’étant assez rigides sur les faits tels qu’ils existaient, étaient davantage enclins à parler des souffrances des gens, souvent cachées par des témoignages classiques de l’histoire. Le militantisme était à son apogée dans les années 1970 lorsque les partis de gauche prirent de l’ampleur. Cette revendication, en termes historiques, était plausible à une époque où Maurice émergeait en tant que nation indépendante. Les temps étaient difficiles avec l’inertie des valeurs bureaucratiques et coloniales établies, la volonté d’utiliser le créole comme moyen de communication, le besoin de justice sociale et d’égalité et l’importance de l’unité pour l’édification de la nation.

D’autres historiens contemporains avaient leur mot à dire bien qu’ils aient servi différents partis politiques. On pouvait entendre Suresh Moorba, alors député travailliste, dans les années 1980 expliquer le sort des esclaves et des ouvriers d’autrefois avec « Misère Noire ». Du côté de l’opposition, une nouvelle génération d’historiens a prétendu qu’il fallait réfléchir collectivement à une meilleure île Maurice libérée du colonialisme. Lindsey Collen et Ram Seegobin s’engagent dans le militantisme en décrivant la grève de 1979 comme un élan de revendication dans « The Strike of 1979 » (Ledikasyon Pu Travayer).

Le sort de Selvon et Peerthum dans la sphère politique fut largement similaire. Ils ne pouvaient pas dûment servir sur la scène politique et étaient plutôt de meilleurs conseillers pour les ministres. Ils ont agi en tant qu’ambassadeurs mieux qu’en défenseurs de ce qu’ils pourraient prêcher autrefois en tant qu’éducateurs et historiens. En ce sens, le militantisme pur ne pouvait plus être favorisé car depuis 1982, il y avait eu une scission politique créant des ‘spin-offs’ du militantisme de gauche. Il y a eu des variantes comme le militantisme socialiste ou le militantisme social-démocrate qui a ensuite été absorbé par le capitalisme libéral.

Le militantisme, au sens pur du terme, apparaissait davantage comme une illusion qu’une réalité dans un pays qui était destiné à s’industrialiser et à s’enrichir d’une classe moyenne plus aisée. C’est là que les nouveaux historiens ont dû faire face à la dure réalité. Ce qui était prêché dans les colonnes du Militant devint moins vigoureux au fil des ans. Les idées de l’idéal socialisme, de justice sociale et d’égalité ont été balayées par les vagues du capitalisme libéral. Il restait à remonter aux sources et à redéfinir l’histoire avec des éclairs de nostalgie.

Voir l’histoire avec du recul

Ironiquement, l’histoire reste sans entraves au cours du temps. De L’Estrac, rédacteur en chef de L’express, a largement contribué à la compréhension de l’histoire d’un point de vue plus objectif. Ses articles sur les Chagos dans « L’Express-Dimanche » ainsi que sur la saga de la propriété et du transfert des terres ont donné un nouvel éclairage sur le cours de l’histoire de l’Ile Maurice contemporaine.

Il semblait qu’il y ait plus de compassion et de pardon que la revendication de droits sur la terre, la propriété et la richesse. De nouveaux historiens aspiraient à la justice, mais ont également approfondi leurs réflexions sur les problèmes à venir à Maurice. Lindsay Rivière (2021) a déclaré dans Week-End (édition du 29 août) que Selvon et lui-même avaient été appelés par Philippe Forget, rédacteur en chef de L’express d’alors, pour voir le monde « comme des jeunes capables de voir neuf ».

En effet, de nouveaux historiens ont été appelés à passer par ce principe. Ils n’étaient pas seuls, pour ne citer que quelques-uns : Chan Low, Quenette, Reddy, Collen, Seegobin, Teeluck. De nouvelles perspectives ouvrent la voie à un avenir meilleur avec d’autres connaissances dévoilées, plus de mystères éclaircis, plus d’incertitudes évitées. Les deux anciens rédacteurs en chef de « Le Militant », Selvon et Peerthum étaient de cet acabit, bien que leurs idées écrites en « noir et blanc » ne correspondaient pas exactement à leurs engagements dans le realpolitik. Mais des « historiens militants », ils l’étaient à coup sûr.

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