Devesh Dukhira, directeur du syndicat des sucres : « Les planteurs ont plus de visibilité sur leurs recettes futures »

En marge de l’assemblée générale des Syndicats des Sucres, son directeur, Devesh Dukhira, a, dans un entretien accordé au Mauricien, estimé que le niveau de production de cette année serait le plus bas qu’on n’ait jamais atteint, soit 240 000 tonnes de sucre. « Nous espérons cependant que la tendance sera renversée dans les prochaines années du fait que les planteurs ont désormais plus de visibilité sur leurs recettes futures », a-t-il affirmé.

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L’assemblée générale s’est tenue à un moment où on parle de crise des commodités dans le monde. Comment se porte le sucre mauricien dans cette situation difficile ?

Les prix des commodités agricoles ont été en croissance générale depuis la mi-2020, après l’allègement à l’échelle mondiale des confinements liés au Covid-19 et une hausse accentuée en début d’année par l’invasion de la Russie en Ukraine. Le cours sucrier a suivi la même tendance : au fait, le prix moyen s’est amélioré de 18% en 2020/21 et de 28% en 2021/22. Les prix auxquels le sucre mauricien a été vendu ont en conséquence bénéficié de cette tendance, ce qui explique l’augmentation du prix ex-Syndicat payé aux producteurs pour leur sucre. Il a en effet grimpé de Rs 11 384 pour la récolte 2019 à Rs 14 062 en 2020 et Rs 16 765 en 2021.

À Maurice, malgré les incitations budgétaires et la hausse des prix, nous constatons toujours une réduction de la production sucrière, qui pourrait être inférieure à 240 000 tonnes cette année. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Je dois vous rappeler que les recettes des producteurs sucriers ont été en dessous de leur coût de production sur une bonne partie de la dernière décennie, ce qui explique un abandon continu des terres sous canne, voire un désistement des bonnes pratiques culturales dans les champs. Le gouvernement les a soutenus pendant les moments difficiles, mais il y avait un manque de visibilité, comme ces mesures étaient plutôt de courte durée.

À la suite des demandes persistantes des producteurs pour la valorisation des sous-produits de la canne face à un revers du prix sucrier, qui reste volatile et souvent “distorted”, ce n’est qu’en juin 2021 que le gouvernement a pris la décision de rémunérer la bagasse à sa juste valeur. C’était une bouffée d’air qui a donné une visibilité aux producteurs sur le long terme.

Le prix du sucre s’est entretemps amélioré, une hausse soutenue par la stratégie commerciale du Syndicat des Sucres pour se focaliser davantage sur les marchés niches afin de pouvoir tirer plus de valeur pour ses produits. Malgré ces récents développements, il est attendu que le niveau de production de cette année sera le plus bas qu’on n’ait jamais enregistré, soit 240 000 tonnes de sucre. Nous espérons cependant que la tendance sera renversée dans les prochaines années du fait que les planteurs ont désormais plus de visibilité sur leurs recettes futures. Déjà, on a pu constater qu’ils sont nombreux à avoir investi depuis l’année dernière dans la replantation de leurs cannes pour réduire l’âge moyen des plantations, qui est aujourd’hui supérieur à 12 années, à un cycle normal de huit ans, et cela, afin d’augmenter la productivité aux champs.

Par ailleurs, sachant que les coûts de production, notamment pour les fertilisants, le diesel et la main-d’œuvre, ont entretemps augmenté de manière significative, il faut tout faire pour que cet avantage concurrentiel de notre secteur ne soit pas érodé en même temps. De leur côté, les autorités, surtout au niveau de la MCIA, doivent mettre en place le cadre et les structures nécessaires pour assurer la pérennité de l’industrie, et cela comprend, entre autres, de s’attaquer au problème de pénurie de main-d’œuvre, d’éradiquer l’érosion des terres sous cannes, voire de récupérer des terres à l’abandon. Sous le même volet, le changement climatique a eu un impact négatif sur la productivité dans les champs. La MSIRI s’est déjà engagée dans une évaluation des cannes existantes et à trouver de nouvelles variétés plus adaptées à l’environnement actuel.

Comment empêcher que l’immobilier continue d’éroder les terres sous canne ?

Chaque hectare de terre sous canne converti pour d’autres besoins, quoique probablement justifiables, représente autant de canne en moins pour l’usine. Au moment de la restructuration de l’industrie en prévision de la fin du Protocole sucre, seules les terres marginales devaient être converties, et on peut se demander si ce principe tient toujours. Par ailleurs, avec moins de matières premières, l’usine opère en dessous de sa capacité optimale, et donc entraînant à la hausse le coût de production à la tonne.
À ce rythme, nous craignons une réduction de la récolte à des niveaux qui obligeraient une nouvelle consolidation des usines, entraînant à son tour une augmentation du coût de la matière première, notamment au niveau du transport de la canne. Ajouté à cela, il y aurait une baisse dans la disponibilité de la bagasse pour la production d’énergie verte et les autres conséquences sur l’environnement en général. Il faut donc que nous soyons cohérents : si nous voulons maintenir une industrie cannière profitable, cette hémorragie de perte de surface doit cesser. Il faut prendre l’exemple de La Réunion, où la superficie sous canne, donc la production sucrière, est restée plutôt stable pendant de nombreuses années.

On a vu récemment une tentative du gouvernement d’introduire un compétiteur au Syndicat des Sucres pour la commercialisation du sucre mauricien à l’étranger. Y a-t-il de la place pour une autre compagnie nationale pour la commercialisation du sucre ?

Il faut avant tout se rappeler que le Syndicat des Sucres regroupe tous les producteurs sucriers de l’île, dont les planteurs et les usiniers. Il est dirigé par ces producteurs eux-mêmes, qui savent mieux que quiconque comment optimiser leurs recettes. Introduire une nouvelle entité pour la vente de sucre mauricien va non seulement affaiblir le Syndicat des Sucres en termes de perte d’économie d’échelle, mais risque aussi d’introduire une concurrence au niveau de l‘approvisionnement de notre sucre, et, surtout, favoriser les acheteurs qui seraient que trop ravis de cette aubaine. Ce changement remettra en cause la stratégie du Syndicat pour tirer autant de valeur pour chaque tonne de sucre produite localement.

Il ne faut pas oublier d’autre part qu’actuellement, il n’y a pas de changement de propriété du sucre, le Syndicat commercialisant le sucre pour le compte des producteurs. En introduisant une nouvelle entité de vente, il n’y aurait plus un prix uniforme pour les planteurs, ce qui amènerait des changements structurels. Par conséquent, tout le système de paiement en place, le paiement des avances compris, aurait à être revu.

Le Syndicat est un récepteur majeur de devises étrangères. Où vont ces devises, alors qu’on parle d’une pénurie de devises dans le pays ?

Les recettes sucrières sont converties en roupie, après toute déduction des paiements requis en devises étrangères, afin de pouvoir payer aux producteurs le prix ex-Syndicat en roupie. Le Syndicat n’ayant pas une “banking licence”, les ventes de devises doivent être effectuées aux banques commerciales, évidemment aux meilleurs offrants, afin de maximiser le prix revenant aux producteurs. Comme il traite la totalité des recettes sucrières, le Syndicat arrive à avoir les meilleurs taux de change et, quand c’est pertinent, il utilise des contrats à terme pour les améliorer davantage.

Comment se portent la production des sucres spéciaux et leur commercialisation à l’étranger ?

Pour la dernière campagne, 156 000 tonnes de sucres spéciaux ont été vendues, soit plus de 60% de la récolte, ce qui représente une hausse de 10%, comparé à l’année précédente. Nous avons actuellement plus d’une centaine d’acheteurs de ces produits dans au moins 55 pays, où les avantages qu’ils rapportent aux consommateurs sont valorisés. L’objectif du Syndicat sera de continuer cette progression afin de pouvoir tirer plus de valeur sur chaque tonne de sucre produite localement.
Je dois ajouter que cette stratégie de valorisation a été étendue au sucre blanc raffiné de Maurice, qui peut être différencié de la commodité, surtout sur les marchés sophistiqués comme l’Europe. À terme, nous devons avoir une plus grosse proportion de sucre à valeur ajoutée dans notre “product mix”.

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