Le Managing Director de la firme de conseil Octagonal, Didier Lenette, n’est pas un inconnu dans la sphère du secteur privé. Ayant exercé pendant plus de 20 ans comme expert-comptable, principalement chez les Big 4, et plus récemment dans l’offshore chez Rogers Capital, il analyse la situation économique actuelle sans visières, évoquant notamment les PME, qui ont surtout besoin de cash en ce moment pour survivre, et non de “loans”… Didier Lenette parle également de la situation chez Air Mauritius. Abordant la “Black List” de Bruxelles, ce spécialiste en fiscalité estime qu’il faut revoir la politique mauricienne en termes d’affaires étrangères, car « si elle fonctionnait comme il faut », on n’en serait pas là…
Vous présentez votre société comme une « boutique management consulting firm ». De quoi s’agit-il exactement ?
C’est du service conseil à des entrepreneurs et PME dans le domaine de la stratégie et de la finance. Ces PME sont très bonnes dans leur cœur de métier – je ne vais rien leur apprendre à ce sujet. Par contre, beaucoup d’entre elles souffrent d’un manque d’accompagnement sur d’autres sujets, qui sont tout aussi cruciaux pour leur survie : la gestion du cash, le financement des projets, la stratégie de marketing, traditionnelle ou digitale, etc. Nous les apportions une aide en termes de stratégie, d’idées et d’expérience.
Depuis le début de la crise, on dit que le secteur touristique est le plus touché par le confinement. Mais qu’en est-il des PME, qui constituent une bonne partie des emplois dans le pays ?
Il est vrai que tout le monde est touché directement ou indirectement. Les PME travaillent autour des secteurs clé de l’économie et sont donc aussi très impactées. Les PME représentaient (avant le Covid-19) approximativement 40% de notre PIB et 60% de l’emploi. La majeure partie n’a malheureusement pas de réserves de cash et ne sont pas structurées pour tenir un tel choc économique. La plupart d’entre elles ont tout simplement arrêté de produire pendant 2 mois et essaieront tant bien que mal de reprendre par la suite. L’étendue des dégâts ne sera connue que dans plusieurs mois. Beaucoup d’entre elles fermeront définitivement leurs portes, d’autres licencieront et une minorité en sortira grandie de part leur industrie et leur habilité à se réinventer rapidement.
Les mesures annoncées par les autorités pour venir en aide aux PME seront-elles suffisantes pour empêcher licenciements et fermetures ?
Non. Allons voir ce que le budget amènera comme mesures, mais pour le moment on ne voit que des emprunts (incluant le Wage Assistance Scheme) à des taux d’intérêt très faibles, mais que les PME n’ont pas la capacité de contracter et de repayer. Il faudrait injecter beaucoup plus d’argent dans l’économie à travers des subsides aux PME. À Maurice, on a toujours tendance à ne pas aller jusqu’au bout des choses parce que certaines minorités non méritantes en bénéficieront aussi. Il faudrait gouverner pour la majorité – ces PME qui ont vraiment besoin de cash depuis 2 mois déjà.
Justement, vous avez lancé un Crisis Support Plan le mois dernier pour venir en aide aux petites entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans des moments de crise, il est important de prendre les bonnes décisions. La première chose à faire est de sécuriser du cash. Cash is King. Cela permet à l’entreprise de respirer et de survivre. Il faut ensuite penser à réduire les coûts fixes et à trouver un “business model” intermédiaire (par exemple pendant le confinement), et ensuite qui deviennent la nouvelle norme ou façon d’opérer. Nous accompagnons donc les entreprises dans leurs réflexions et leurs actions à ce sujet.
Vous êtes un fiscaliste et vous avez travaillé dans la finance. Que pensez-vous de la récente décision de Bruxelles de placer Maurice sur liste noire s’agissant de la lutte contre le blanchiment ?
L’hypocrisie des Européens à ce sujet ne date pas d’hier. Maurice ce n’est pas Jersey, Monaco ou le Luxembourg. Nous avons des lois contre le blanchiment et des procédures respectées par les opérateurs du Global Business. Mais il y a toujours une minorité de cas qui causent problème ou qui ont passé à travers les mailles du filet. Sur cet aspect des choses, tous les gouvernements successifs ont mis en place des lois-cadres et des mesures préventives contre le blanchiment d’argent.
Mais à chaque nouvelle crise qui affecte les Européens, les autorités fiscales de ces pays recherchent plus de revenus, et donc essaient de combattre l’érosion de leur base fiscale en mettant la pression sur des juridictions comme Maurice. L’impact sera négatif bien sûr, et les Mauriciens savent se réinventer et s’adapter comme cela a été prouvé dans le passé. Par contre, il faudrait revoir toute notre politique en termes d’affaires étrangères. Si elle fonctionnait comme il le faut, notre pays ne serait pas sur cette liste.
Quel sera l’impact de deux mois de confinement sur le taux de croissance et de chômage ?
Nous savons qu’il sera conséquent. Mais il est impossible de prédire l’impact exact, car il y a trop d’incertitudes en ce moment. Cela est créé par le manque d’informations provenant du gouvernement concernant la reprise des activités. Le gouvernement sous-estime l’impact de l’incertitude sur le monde des affaires et devrait communiquer beaucoup plus sur ses plans pour la reprise dans des secteurs divers. Encore une fois, nous allons tous nous mettre devant la télé le 4 juin en espérant des solutions miracle dans l’exercice du budget.
Est-ce que les Rs 60 milliards de la Banque de Maurice font partie de ces solutions miracles ?
Il n’y a a pas de bonne ou mauvaise réponse concernant les Rs 60 milliards, et malheureusement la politique d’opacité qu’on a à Maurice veut dire que ceux qui écoutent le gouvernement vont dire que c’est bien fait, et ceux qui écoutent l’opposition diront le contraire. Il faut expliquer à la population ce que représentent ces réserves et dans quel cas on peut les utiliser, etc. Personne n’a expliqué aussi quel est le “benchmark” mondial en termes de réserves. À toute situation exceptionnelle, il y a des mesures exceptionnelles à prendre, mais rien non plus ne dit que ce n’est pas approprié de se servir de ces réserves. Quant au quantum, on n’a aucune idée parce que personne ne nous explique ! Si on ne comprend pas le fonctionnement des réserves, il est difficile de juger et de savoir si elles permettront de résoudre les problèmes. Tout dépendra de ce qu’on en fera. Quoi qu’il en soit, nous aurions apprécié des “grants” des subsides pour les PME.
Analysant l’évolution du dollar, de l’euro et le prix du baril de pétrole, comment les prix à la consommation devraient évoluer dans les prochaines semaines ? L’inflation risque de devenir incontrôlable…
En toute logique, il y aura une augmentation significative et constante des prix pendant les prochains mois. Par contre, le gouvernement va probablement fixer les prix et donner des subsides sur certains produits de base pour réduire l’impact sur l’inflation. Encore une fois, très peu d’informations circulent à ce sujet. Le public doit définitivement s’attendre à des augmentations de prix conséquentes. Il est clair que le pays doit changer sa politique de sécurité alimentaire, entre autres, encourager comme il se doit la production locale, mais aussi d’autres domaines, comme la production de médicaments. Nous devons réduire notre dépendance sur les autres pays, sans pour autant nous couper du reste du monde.
Et quelle solution pour Air Mauritius, mise sous administration volontaire ?
Le cas d’Air Mauritius n’est pas étonnant quand on considère la gestion des dernières années. C’est peut-être la meilleure solution aujourd’hui si, au final, il y a une injection du privé, probablement d’une ligne aérienne internationale, et que les politiciens n’ont plus la mainmise sur Air Mauritius. La compagnie aérienne nationale a tout ce qu’il faut pour être un succès si elle est gérée comme il se doit. Il sera intéressant de voir quelle politique d’accès aérien le gouvernement adoptera. On sait tous que la compétition nous fera du bien à long terme. Je pense que l’avenir d’Air Mauritius dépendra surtout du courage politique du gouvernement de prendre les mesures nécessaires.
Les taux d’intérêt sont en chute libre, la Bourse est volatile et les entreprises sont en difficulté. Vers quelles classes d’actifs se tourneront les investisseurs dans les prochaines semaines ?
All is not doom and gloom. Nous avons vu que même aux USA, la bourse fait de la résistance. Les investisseurs se tournent naturellement vers des “blue chips”, des valeurs sûres, moins spéculatives. Le faible taux d’intérêt encouragera les investissements, surtout dans les industries qui ne sont pas nécessairement affectées par le cycle économique. Par contre, beaucoup de sociétés et d’investisseurs risquent de faire des réserves en cash en attendant d’avoir plus de visibilité concernant le futur. Puisque les gouvernements ont besoins de fonds et comptent parmi les investissements les moins risqués, on peut aussi s’attendre à plus d’investissements dans des “government issued bonds” à travers le monde.
Avant la crise du confinement, on parlait beaucoup de l’importance d’innover. Alors que leurs ressources financières partent en fumée, comment les entreprises peuvent-elles encore innover par les temps qui courent ?
Necessity is the mother of invention ! C’est l’histoire qui le prouve. Continuellement. Il faut tout d’abord se mettre dans une position de survie, et donc se donner du temps de réflexion et de création. Les Mauriciens ont toujours su « tracer ». Nous avons vu une certaine réinvention au niveau des commerces qui, hier, n’avaient pas de présence digitale et, aujourd’hui, font du commerce en ligne. Je suis moi-même partenaire de Fantastic Mind, une firme qui aide les clients à se transformer vers le digital, et nous voyons aujourd’hui une meilleure compréhension de ce que le digital peut emmener comme solutions et comme détermination de s’y engager à fond.