DOCUMENTAIRE : Les dynamiques du changement à l’oeuvre

Une éducation conçue et basée sur les capacités et la personnalité de chaque enfant en Finlande, un fabricant d’enveloppes qui réinvestit entièrement ses bénéfices dans l’amélioration de son usine en France, des potagers de rue qui invitent les passants à se servir, des monnaies locales qui soutiennent réellement les productions d’une région, un village indien dont les habitants reprennent en main les infrastructures communes, bien sûr une nourriture biologique saine… Les expériences dont le film Demain témoigne mettent réellement l’homme au coeur des préoccupations. L’impact de ces initiatives est clairement réjouissant pour ceux qui en bénéficient et ces deux heures intenses montrent que ces changements pourraient profondément transformer nos sociétés et les préserver de l’effondrement que tout prévisionniste sérieux entrevoit.
Demain est une sorte de “road movie”, où l’on passe beaucoup plus de temps à faire des rencontres enthousiasmantes et recevoir des informations édifiantes qu’à se déplacer, sauf dans la ville de Copenhague, où nos cinéastes reporters expérimentent une ville réellement « bicycle friendly ». Ce documentaire, réalisé par l’activiste Cyril Dion et la réalisatrice et comédienne Mélanie Laurent, associe, dans une trame très logiquement articulée, une masse considérable d’informations sur les modes de vie et de productions actuels, comparés aux progrès qu’il est possible de réaliser en instaurant d’autres modèles, et ce à travers des interviews d’experts de la trempe de Vandana Shiva, Olivier de Schutter ou Jeremy Rifkin, et surtout de reportages passionnants auprès de ceux qui sont en train de changer les choses à leur échelle, dans leur région ou leur ville. Composées spécialement pour ce projet, les chansons et la musique de Fredrika Stahl donnent une identité sonore rafraîchissante et tonique à l’ensemble, à la fois positive et critique.
Demain est un film éminemment encourageant qui montre que le changement est non seulement possible, mais aussi efficace. Si le fondateur du mouvement de la transition, Rob Hopkins, ouvre le film en s’étonnant de la faculté incroyable de l’homme à imaginer sa propre extinction, il connaît aussi des solutions telles la monnaie locale, à l’instar du bon vieux franc Wir, en Suisse, ou le jardinage biologique urbain qui peuvent contribuer à l’éviter. Le rappel de la biologiste Liz Hadly et du paléontologue Tony Barnovsky sur la possibilité que la route vers l’extinction de l’humanité devienne véritablement irréversible, si nous ne nous en préoccupons pas de manière sérieuse maintenant, fait frissonner. Ils ne sont pourtant pas les seuls scientifiques à tenir ces propos ! Mais ce documentaire ne se complaît pas dans le catastrophisme en mettant l’accent sur les solutions et en invitant par l’exemple à se retrousser les manches…
L’exemple des 1 600 fermes biologiques venues apporter les produits frais et sains qui manquaient à l’ancienne ville industrielle de Detroit montre qu’une production alimentaire réinvestie est une solution. Cette activité a redonné du travail et permis de nourrir les 700 000 habitants de cette ville sinistrée. À Todmorgen, en Angleterre, les incroyables comestibles cultivés dans les espaces publics ont réenchanté la ville et recréé le lien social tellement mis à mal par la crise économique. Mais, surtout, la ferme de Bec Hellouin démontre que le maraîchage manuel, sans pétrole et sans produits chimiques, est bien plus productif à l’hectare grâce aux techniques de la permaculture. L’Islande et la ville de Copenhague comptent parmi les pionniers de la transition vers les énergies renouvelables. Bien sûr, l’énergie destinée au chauffage, à l’éclairage et au secteur industriel sont au coeur du problème, la question du transport demeure un des aspects les plus complexes à résoudre.
Dans la capitale danoise, quatre habitants sur cinq ont une bicyclette, mais surtout les transports, les rues et tous les espaces publics ont été conçus pour favoriser la circulation à vélo, à pied et en transports en commun, le tout pouvant être interconnecté. L’impact s’en ressent bien entendu sur les émissions de gaz et sur la santé, à deux niveaux, puisque la population respire plus sainement, fait de l’exercice et passe moins de temps assis derrière le volant… À l’instar de San Francisco, qui recycle tous ses déchets, la plupart des cas exposés dans ce film montrent l’importance du rôle des acteurs locaux, des institutions municipales et régionales, qui demandent sans doute à être repris en considération ailleurs.
Les instruments démocratiques peuvent aussi être mieux utilisés et réinvestis par les populations, comme le montrent la combativité constructive des Islandais aux lendemains de la crise financière de 2008 ou encore la façon très habile dont Elango Rangaswamy a amené les habitants de Kutthambakkam à reprendre leur village en main, non seulement en participant à des assemblées villageoises, mais aussi en prenant part aux solutions apportées, qui aboutissent à l’assainissement des infrastructures, à la scolarisation de tous les enfants et, même, à des évolutions sociales fondamentales comme ces nouvelles maisons mitoyennes qui associent familles intouchables et familles brahmanes !
Bien sûr, ces initiatives ne résoudront pas les problèmes à elles seules. Mais le succès de ce film laisse penser qu’il y a là une avenue pour un cinéma documentaire alternatif, qui continuerait ainsi d’ausculter les initiatives qui réinsufflent, de manière pragmatique, l’humanisme et la confiance dans les sociétés. Généraliste, ce film aborde tant de sujets qu’il en élude bien sûr aussi beaucoup, à commencer par les innombrables autres initiatives comparables existant à travers le monde, ou encore en contrepoint aussi les points sensibles relevant de certains secteurs apparemment durables, comme les conditions dangereusement polluantes dans lesquelles la fabrication des panneaux solaires ou de l’éolien se développent…

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