Dr Surrennaidoo Naiken : « Introduire la chirurgie minimale invasive dans le service public à Maurice »

Le Dr Surrennaidoo Naiken, un Mauricien exerçant en Suisse, a fait en septembre dernier la Une de la presse dans sa région, à La Vallée de Joux, après avoir été décoré par le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, en reconnaissance pour l’aide apportée par la Foundation for Humanitarian Empowerment, dont il est le président, en Ukraine, depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. Il était en visite à Maurice cette semaine pour participer à un congrès médical et faire le point sur un projet qu’il avait initié avant la pandémie de Covid-19 concernant la création d’un département de chirurgie minimale invasive à l’hôpital Jeetoo.

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Dans une interview accordée à Le-Mauricien, il évoque l’aide apportée à l’Ukraine, mais aussi son parcours personnel et professionnel. Il s’étend également sur sa volonté de réduire la différence entre le service public et celui du privé en matière de santé. C’est dans ce contexte qu’il parle de son envie de créer un département consacré à la chirurgie minimale invasive à l’hôpital Jeetoo, et qui sera créé par la Foundation for Humanitarian Empowerment avec l’aide de médecins suisses, américains et, surtout, en partenariat avec les autorités mauriciennes.

Vous figurez parmi les hautes personnalités mondiales qui ont été décorées cette année par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Pouvez-vous nous en parler ?
Effectivement, le président ukrainien Volodymyr Zelensky m’a fait l’honneur de m’octroyer la médaille de l’ordre du Prince Laroslav Le sage qui est l’ordre le plus élevé de l’Ukraine pour récompenser les citoyens étrangers. Nous étions 19 à recevoir cette haute distinction, dont Anthony Blinken, secrétaire d’Etat américain, la présidente de la Commission européenne, Usula von der Leyen, l’ex-Premier ministre italien Mario Draghi. Une centaine de personnes ont reçu d’autres distinctions, dont l’Ordre de Mérite, l’Ordre de la Princesse Olga, l’Ordre de la Croix d’Ivan Mazema.
Cette décoration est une reconnaissance pour l’aide que la fondation et moi avons accordée depuis le commencement de la crise russo-ukrainienne, le 24 février dernier. Nous avions envoyé pas moins de 3,5 millions de matériels médico-chirurgicaux et accueilli de nombreuses familles. Nos matériaux ont été envoyés dans des zones qui étaient sous contrôle de l’occupant russe. Nous avons également créé tout un réseau dans tous les hôpitaux, dont les membres nous indiquaient de quoi ils avaient besoin. Ce qui n’était pas facile.
L’aide humanitaire était presque taillée sur mesure. Ainsi au lieu d’envoyer les matériaux en vrac, il y avait un tri en amont. Un médecin pouvait demander de l’insuline, du matériel de chimiothérapie. Des conteneurs contenant les matériaux dont les établissements de santé avaient besoin leur étaient adressés directement.
Du coup, il n’y avait aucun risque qu’un hôpital des enfants obtienne des matériaux destinés aux personnes âgées, par exemple. Tout cela avait nécessité la mobilisation de ressources considérables. Je suis heureux que ce type d’aide dont nous étions les seuls à pratiquer ait été apprécié à sa juste valeur.

L’aide accordée par votre fondation répondait donc à une demande de la part des autorités ukrainiennes ?
Il faut savoir qu’historiquement l’Ukraine était presque autosuffisante sur l plan pharmaceutique. C’était un pays couvert pour ce qui est des médicaments. Avec la guerre, la production de médicaments s’est interrompue, ce qui provoquait une rupture des stocks. De plus, il y avait beaucoup de blessés.
Du coup, ils avaient besoin de tout : de sang, de congélateurs, d’insuline, de chimiothérapie. Les demandes affluaient au fil des mois. Vu que nous avons créé un réseau grâce aux médias sociaux pour presque toutes les régions de l’Ukraine, les demandes étaient canalisées vers ces personnes qui nous les communiquaient.
De notre côté, nous récoltions de l’aide travers les nombreux donateurs, nous les trions avant de les acheminer via un corridor en Ukraine. Il faut dire qu’il y avait une grande solidarité de tous les pays européens. Du coup, le transfert des produits en Ukraine, qui en temps normal aurait pu prendre plusieurs jours, a été fait en 24 heures grâce à la filière diplomatique. Ce sont des volontaires qui prenaient en charge la distribution de produits à travers l’Ukraine par des transports individuels ou par voie ferroviaire.

Est-ce que cette distribution se poursuit jusqu’à aujourd’hui ?
Nous poursuivons notre action bien que, comme dans toute guerre, l’élan de solidarité diminue. J’ai rencontré l’adjoint au ministre de la Santé en juillet qui m’a demandé de ne plus procéder par ce type d’aide humanitaire mais plutôt d’aider à la reconstruction des hôpitaux. Par conséquent la fondation se concentre sur des équipements lourds comme les radiographies, les ultrasons pour les hôpitaux Nous avons délégué l’aide humanitaire à d’autres associations.

D’où vient l’aide que vous distribuez par la suite ?
Nous frappons à la porte de différents partenaires et différents hôpitaux, de différents sponsors. Et aussi l’industrie horlogère qui nous a toujours soutenus. Nous recevons tantôt des équipements tantôt l’aide financière qui est utilisée pour placer des commandes d’équipements divers comme des respirateurs, pour des soins intensifs, etc. Le centre universitaire du Canton de Vaud, en Suisse, a fait don de 800 000 francs. Le CHUa aussi donné 800 000 francs suisses, ce qui fait déjà un total de 1,6 million de francs déjà.

La fondation est-elle donc basée en Suisse ?
Nous sommes enregistrés en Suisse mais nous avons étendu nos activités un peu partout. Nous sommes aujourd’hui présents au Canada, aux États-Unis, à Kosovo, à Madagascar, Haïti, à Trinidé-et-Tobago, en Australie et, j’ose espérer, à Maurice.

Qui sont les fondateurs de la Fondation Humanitarian for Empowerment ?
J’en suis le co-confondateur avec le Dr Dominique Bosson qui nous a malheureusement laissés en janvier dernier. Je suis le président actuel de la fondation. Avec le Dr Bosson, nous étions venus à Maurice à l’invitation de l’actuel vice-Premier ministre, le Dr Husnoo, en 2019. Nous avions entrepris toute une série de démarches pour un projet. Le Dr Bosson, juste avant son accident, et moi avions prévu en janvier de nous rendre en Ukraine au mois de février. Nous devions aller à Marioupol pour mettre en place un centre de laparoscopie au sein de l’hôpital de cancérologie dans cette ville. Le projet avait été retardé en raison de son décès. J’étais à Kosovo le 14 février lorsque j’ai appris que les Russes étaient entrés en Ukraine.

Quels sont les objectifs de la Fondation Humanitarian for Empowerment ?
Notre but est l’autonomisation des peuples, des populations et des systèmes. Premièrement, nous nous demandons pourquoi donner du poisson lorsque nous pouvons enseigner à pêcher. Souvent, nius pensons que l’humanitaire est destiné aux pays en développement. Or, même en Suisse, nous avons besoin d’autonomisation. Deuxièmement, notre philosophie consiste à faire des projets qui soient pérennes dans le temps et qui s’autofinancent à travers la transmission du savoir-faire et finalement il faut tirer les ficelles vers le haut.
Souvent, nous pensons qu’il faut beaucoup d’argent pour cela mais en vérité il faut juste un peu de créativité, l’innovation. Nous pouvons ensuite changer la mentalité des gens et les concepts et les tirer vers le haut. Dans un pays que je ne peux pas citer pour le moment, nous sommes en train de former les chirurgiens adultes à faire de la chirurgie pédiatrique parce qu’il y a un manque dans ce domaine. L’Empowerment, c’est également l’apprentissage des réfugiés ukrainiens que nous avons hébergés dans les appartements individuels en les initiant à la langue française avant de les intégrer dans l’industrie horlogère afin de les rendre autonomes.
En ce qui concerne Maurice, nous avons constaté que nous disposons d’un système qui n’a pas beaucoup changé. Le pays est en retard au niveau de la chirurgie minimalement invasive. Le Rwanda nous a déjà devancés. Les Seychelles vont le faire bientôt. Toutefois, Maurice dispose d’une bonne base. Il y a des médecins qui pratiquent laparoscopie et cela s’arrête là.
Mon but est de partir de cette base pour développer la chirurgie minimalement invasive en tenant en compte de l’environnement et des patients mauriciens. Cela veut dire moins de mortalité, plus d’intégration dans la vie sociale, c’est-à-dire moins d’arrêt de travail et, de manière globale, la chirurgie minimalement invasive veut dire la réduction de la durée d’hospitalisation, donc des coûts de santé.

Pouvez-vous préciser ce que cela veut dire chirurgie minimalement invasive ?
Pour le citoyen lambda, c’est une chirurgie qui n’est pas agressive. Au lieu de faire une grosse incision par exemple pour opérer le colon, on peut le faire à travers trois petits trous. Ainsi, on déchire moins les muscles. Il y a moins besoin de récupérer. Il y a moins de douleur et moins d’infection surtout dans un pays où le taux de diabète est assez élevé. Moins la cicatrice est grande, moins le risque d’infection est grand.
C’est également un pas en avant qui permettra de prendre le virage de la chirurgie stationnaire vers la chirurgie ambulatoire. C’est-à-dire que le patient entre le matin et part l’après-midi. Dans ce domaine, également, nous sommes nettement en retard.
Or, Maurice dispose déjà d’une bonne base. Par exemple, l’ablation de la vésicule biliaire se fait par voie de laparoscopie. Ce n’est pas un projet qu’il faut commencer de zéro. Les professionnels mauriciens ont déjà une connaissance en la matière. Ce que je propose, c’est de passer à une étape supérieure.

Avec le développement de la technologie, peut-on envisager la chirurgie à distance ?
Pour l’instant, il faut commencer petit. À travers le monde, c’est encore compliqué à faire. Il faut que les chirurgiens soient au même niveau pour pouvoir intervenir. Je sais qu’on avait dit que des chirurgiens américains pouvaient opérer des personnes en Afrique. Or jusqu’à maintenant, à ma connaissance, cela n’a pas encore été réalisé. Toutefois avec l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies nous permettront de gagner beaucoup de temps.
Demain avec les modes d’imagerie, de scanner, d’IRM dans lesquelles est incorporée l’intelligence artificielle, il y a des diagnostics que nous pourrions faire même sans un radiologue. Cela ne veut pas dire qu’il faut éliminer les radiologues mais les aider à mieux interpréter les images. Nous avons également le vert indocyanine qui est utilisé en chirurgie et pour les diagnostics.
Il y a tellement de choses qui se passent et de choses qui évoluent. Et ma crainte est que si nous ne prenons pas un virage maintenant, notre retard augmentera. Ce sera plus difficile de le rattraper. De plus, nous risquons d’avoir un système à deux vitesses, public et privé. Au niveau de la fondation, nous voulons aider le service public à combler cette différence ou ce creux. En Europe, il n’y a pas de grosse différence, c’est le confort qui change. Ici, il y a une différence. C’est pourquoi nous voulons voir comment aider le système mauricien.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel et professionnel ?
Je suis né à Donetsk dans l’ex-URSS, où mon père qui est d’origine mauricienne faisait des études en gynécologie et d’une mère sri-lankaise. Mon frère également est né là-bas. Toutefois, j’ai suivi toute la scolarité à Maurice d’abord à l’école Notre-Dame des Victoires, ensuite au collège Saint-Esprit. Je suis ensuite retourné en Ukraine pour des études de médecine. J’y ai rencontré mon épouse.
Je suis retourné à Maurice où j’ai travaillé à l’hôpital Jeetoo de 2004 à 2007. Je suis ensuite allé à Rodrigues de 2007 à 2009. En 2010, j’ai travaillé avec le Dr Gunesh au Cardiac Centre. Ensuite, je suis parti en Suisse où j’ai fait ma spécialité à l’hôpital universitaire de Genève. J’ai aussi fait un Executive MBA en management des établissements hospitaliers.
J’ai lancé la Fondation for Humanitarian Empowerment. Actuellement je suis directeur médical et chef de service de chirurgie à l’hôpital La Vallée de Joux. Je suis consultant aux Hôpitaux universitaires de Genève et suis aussi médecin agréé à l’hôpital de Nyon. Je n’ai qu’une seule nationalité, la nationalité mauricienne.

Vous venez donc régulièrement à Maurice ?
Ma dernière visite date d’avant la pandémie. Je suis venu à l’invitation du ministre de la Santé. Je suis venu cette fois à l’initiative de la fondation pour essayer de faire bouger les choses. J’ai prévu des rencontres avec le ministre de la Santé et d’autres personnes. Nous voulons savoir si les autorités mauriciennes sont intéressées à ce qu’on les accompagne dans le chemin que nous proposons.
J’étais à San Diego le mois dernier où j’ai reçu un prix. L’American College of Surgeons a manifesté de l’intérêt, à travers notre fondation, à intervenir au niveau de l’enseignement. Lorsque nous entreprenons un projet, nous voulons que la philosophie de l’Empowerment soit maintenue et que dans le Business Model mis en place, les gens soient autonomes au bout de cinq ans. Je leur ai également parlé de Maurice également.

Quel est exactement le projet que vous voulez lancer à Maurice ?
Nous voulons aider à créer un département ainsi qu’un Teaching Hospital consacré à la Minimally Invasive Surgery à l’hôpital Jeetoo. C’est notre souhait. Notre but est de créer cela avec la collaboration des médecins qui ont déjà une formation avancée tout en poursuivant la formation des autres médecins mauriciens dans ce domaine, surtout pour le service public. C’est un projet compliqué à mettre en Å“uvre et qui nécessite la volonté et la participation de tout le monde.
Depuis notre décoration que nous avons eue de l’Ukraine, tout à coup, plusieurs pays s’intéressent à ce que nous faisons. Il revient à Maurice de décider s’il veut s’engager dans cette voie ou pas.

Quelles sont les étapes qui restent à être franchies ?
Il faut que tout le monde soit d’accord pour que ce projet soit lancé à l’hôpital Jeetoo. Ensuite, tout le monde devra être d’accord sur le Modus Operandi, Il faut aussi signer un Memorandum of Understanding préparé le Parquet. Il faut que quelque soit le gouvernement en place, l’on s’assure de la continuité du projet. Le but est d’aider les Mauriciens.
Par ailleurs, lors de notre rencontre avec le ministre Jugatpal, j’ai profité pour lui remettre un don de la part de la fondation. Ce don comprend du matériel comme une laparoscopie et des systèmes de traitement par pression négative. Je suis aussi membre de 3M International.

Vous avez participé cette semaine à une conférence organisée par le Dr Gunesh sur la santé. Pouvez-vous nous parler de votre participation ?
J’ai un grand respect pour le Dr Gunesh qui a beaucoup contribué au développement du Cardiac Centre. Il a aussi abattu tout un travail au Botswana. L’organisation de congrès médicaux comme celui qui vient d’être organisé ces derniers jours permet de tirer le pays et son service de santé vers le haut. Il faut aussi rendre hommage à tous ces médecins qui font un travail extraordinaire au niveau des services publics.

Le gouvernement mauricien présente Maurice comme un Hub régional en matière de santé. Comment un tel projet vous inspire-t-il ?
Écoutez le projet que je présente au gouvernement implique la participation des médecins suisses et américains. C’est également une ouverture vers la Suisse et dans les deux sens. C’est un projet intégré. Nous pouvons aussi apporter notre contribution au niveau de la digitalisation de la santé. Aujourd’hui, vous allez à la Casualty dans les hôpitaux. La carte utilisée pour l’enregistrement des patients n’a pas changé depuis 50 ans. Il faut déchiffrer l’écriture du médecin.
Dans d’autre pays, on est passé en mode de digitalisation. L’enregistrement se faut sur ordinateur. Le médecin concerné reçoit les informations sur une tablette. Lorsque le patient sort de la Casualty, le dossier est envoyé à son médecin traitant. Cela permet d’éviter les erreurs médicales.
La fondation peut apporter sa contribution à la mise en place de tout cela. Ayant été en poste à Maurice, je connais des cas où un patient a vu trois médecins différents pour la même problématique avec trois prescriptions différentes. Comment voulez-vous que ce patient se retrouve ? Demain, avec la digitalisation, si un patient est traité dans un dispensaire, son dossier pourra être accessible dans n’importe quel hôpital où il se rendra par la suite. Ce qui permettrait une meilleure traçabilité et de transparence.

Pour terminer, êtes-vous confiant de pouvoir aller de l’avant avec votre projet ?
C’est un projet apolitique et je dois avouer que le Feedback que j’ai reçu des différentes instances est plutôt encourageant. Il faut, bien sûr, qu’il y ait une volonté politique, une volonté des fonctionnaires et une volonté des personnes du terrain qui sont concernées.

Comment le projet sera-t-il financé ?
Nous avons déjà les ressources humaines. Une bonne partie du matériel qui sera nécessaire peut être obtenue de la fondation sous forme de dons. Il faut savoir qu’avec l’introduction de la MISA, au lieu qu’un patient passe cinq jours à l’hôpital, il pourrait y aller le matin et sortir l’après-midi. L’économie qui sera ainsi réalisée pourrait aider à financer les équipements dont on aurait besoin. Le Cost Effectiveness de ce projet a été démontré dans d’autres pays. Par conséquent, c’est un projet qui va s’autofinancer.

ACCROCHES
« Le président ukrainien Volodymyr Zelensky m’a fait l’honneur de m’octroyer la médaille de l’ordre du Prince Laroslav Le sage, qui est l’ordre le plus élevé de l’Ukraine, pour récompenser les citoyens étrangers. Nous étions 19 personnes à recevoir cette haute distinction, dont Anthony Blinken, secrétaire d’Etat américain, et la présidente de la Commission européenne, Usula Von der Leyen »

« Le but de la FHE est l’autonomisation des peuples, des populations et des systèmes. On se demande pourquoi donner du poisson lorsqu’on peut apprendre à pêcher »

« La chirurgie minimale invasive est un système de traitement qui n’est pas agressif. C’est également un pas en avant qui permettra de prendre le virage de la chirurgie stationnaire vers la chirurgie ambulatoire. C’est-à-dire que le patient entre le matin et repart l’après-midi »

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