Dr Yohan Louis (chercheur à l’UoM) : Wakashio : « L’écosystème marin sera touché à tous les niveaux »

Le déversement d’huile lourde toxique du MV Wakashio dans la région du sud-est ne sera pas sans conséquences, du fait de l’écosystème marin, très fragile. C’est du moins ce qu’affirme le Dr Yohan Louis, chercheur en biologie marine moléculaire à l’Université de Maurice, dans l’entretien qu’il nous a accordé. Selon lui, cette « catastrophe écologique met en danger toutes les vies, non seulement sous les eaux, mais aussi celles qui dépendent de la mer pour leur survie ». Plusieurs espèces marines vont « inévitablement mourir à cause de leur vulnérabilité face à une situation qu’elles ne pourront tenir », estime-t-il. De même, certains poissons et coraux auront « beaucoup de peine à se reproduire », ajoutant qu’une « apparition de tumeurs, un changement de comportement et une baisse de la fertilité ne sont pas à écarter ». Sans compter que la fuite des espèces des zones sinistrées provoquera « un déséquilibre de l’écosystème marin ».

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En tant que jeune chercheur dans le domaine de la biologie marine, dites-nous quel danger représente ce déversement d’huile lourde ?

C’est une vraie catastrophe écologique. L’huile lourde est nocive pour l’écosystème marin. Nous avons donc des tonnes d’un produit dangereux déversées dans notre mer en ce moment. Après chaque marée noire qui survient dans le monde, des animaux marins – comme les poissons, oiseaux, tortues de mer, dauphins, crabes, mollusques et coraux – sont retrouvés morts. Prenons l’exemple de la catastrophe du Deepwater Horizon, en 2010. Il est estimé que des milliers d’animaux marins sont morts à cause de la marée noire.

L’huile lourde affecte les animaux de différentes façons. Et dans le cas présent, elle flotte déjà à la surface. Or, les animaux, tels les dauphins ou les tortues, doivent remonter à la surface pour respirer. Sans compter ceux qui se nourrissent à la surface de l’eau, comme les oiseaux. Tous rentrent donc en contact direct avec cette huile lourde, qui est toxique à forte concentration. De plus, cette matière est très visqueuse et les animaux s’en trouvent donc vite recouverts, ce qui affecte leur déplacement. Certaines espèces d’oiseaux marins se retrouvent même piégées, et sont asphyxiées dans cette huile. Nous devons nous rendre compte que ces oiseaux marins sont très à risque après un déversement d’huile lourde. D’autres animaux peuvent, eux, ingurgiter cette huile toxique ou inhaler ses vapeurs, tout aussi néfastes, car endommageant leur système respiratoire. Les œufs et les larves de poissons, mais aussi les coraux, par exemple, sont très fragiles. L’huile lourde est extrêmement dangereuse pour eux. Sans compter que le déferlement des vagues sur les récifs remue l’eau et, de ce fait, la mélange avec le sable et les sédiments. Cela affecte les organismes vivant dans les fonds marins, tels les coraux, les invertébrés, les mollusques… Même s’ils ne sont pas en contact avec la surface, la contamination des sédiments les touchera.

L’huile lourde est également toxique pour les micro-organismes, aussi appelés phytoplanctons, qui sont à la base de l’écosystème marin. Nous ne devons pas non plus oublier notre faune marine composée d’algues, d’herbiers, de mangroves… et qui seront tous affectés par cette pollution chimique. Les mangroves sont par exemple très vulnérables à la toxicité de l’huile lourde. En somme, l’écosystème marin dans les régions affectées sera touché à tous les niveaux.

 

Quels chocs subissent ces habitats marins ?

Le choc est à court terme, mais peut aussi être à long terme. Sur le court terme, le nombre d’individus pourra diminuer suite à la perte d’autres animaux du fait de leur exposition à l’huile lourde. Des études effectuées trois mois après une marée noire à Panama avaient par exemple démontré que la quantité de coraux présents sur le site a baissé de 76%, bien que l’impact en eaux profondes aura été moins important. Comme nous le savons, la barrière de corail est un habitat important, car il sert de pépinière pour des poissons et autres animaux marins. Les dégâts sur le long terme, eux, seront moins visibles. Mais des traces ou des résidus d’hydrocarbures seront présents pendant des mois, voire des années. Des études ont démontré qu’après un déversement d’huile lourde, certaines espèces de poissons ou de coraux n’ont plus la capacité de se reproduire dans les zones affectées. Elles ne peuvent plus se développer correctement et, de ce fait, on constate moins de croissance et de survie.

 

Pourrions-nous perdre des espèces uniques dans nos eaux ?

Le danger sera surtout présent dans les zones touchées. Après une marée noire, la biodiversité est affectée, car le nombre d’individus et d’espèces enregistre généralement une baisse significative. Ce n’est qu’après un constat des dégâts écologiques que nous connaîtrons le statut de nos différentes espèces. Pour le moment, il est difficile de se prononcer sans une estimation. Mais il faut savoir que nos espèces marines sont présentes un peu partout autour de l’île.

 

Les animaux marins devront migrer vers les profondeurs marines pour se réfugier. Quels dangers risquent-ils en quittant leur habitat ?

En ce moment, l’huile lourde pénètre dans nos lagons, qui sont en général peu profonds. Le mouvement des populations sera plutôt horizontal, c’est-à-dire vers le nord ou le sud. En migrant vers un autre habitat ou une autre région, ils seront confrontés à plus de concurrences pour se nourrir. Mais le danger est surtout pour les populations sessiles ou à faible déplacement, comme les coraux, les éponges de mer (« bambaras »), les bénitiers, certains invertébrés et les mollusques. Nous assisterons aussi à un déséquilibre de notre écosystème en l’absence d’espèces, qui auront fui les zones affectées.

Nos coraux sont déjà en danger avec le réchauffement climatique et leur nombre ne cesse de diminuer année après année. Que risquent-ils maintenant, avec la marée noire ?

Le naufrage du Wakashio dans les récifs a déjà dû physiquement endommager les coraux. Les mouvements que le navire a fait sur lui-même ont dû accentuer ce dommage physique. Quant à l’huile lourde, elle causera un dommage chimique qui tuera les coraux présents au niveau de la barrière, et ceux dans les lagons affectés. Comme je l’ai aussi mentionné, l’effet pourra être aussi sur le long terme dans les régions touchées. Nous verrons une baisse du taux de reproduction, de la survie. Mais aussi l’apparition de tumeurs, un changement de comportement et une baisse de la fertilité. Sans compter que tout un écosystème est affecté après la mort des coraux.

 

Pourrons-nous continuer à consommer des produits de notre mer ?

En premier lieu, il ne faut pas consommer de poissons et autres organismes marins, comme les crabes et les crevettes, que l’on peut voir échoués sur la côte. Deuxièmement, il ne faut pas consommer de produits de la mer de ces régions. Même si les poissons peuvent présenter une bonne apparence extérieure, il ne faut surtout pas les manger, car ils peuvent être imprégnés d’huile lourde. La consommation de poissons contaminés est néfaste pour l’homme. Maintenant, ce n’est pas toute notre mer qui est affectée. Les pêcheurs et les consommateurs doivent suivre les directives des autorités à ce sujet.

 

Les pays arrivent difficilement à se remettre après des catastrophes écologiques. Combien de temps faut-il compter pour un retour à la normale ?

Avancer un chiffre exact est difficile, car nous sommes toujours en pleine tempête. Une fois que le déversement est arrêté, les experts pourront faire un constat des dégâts et pourront mieux faire une estimation. Si l’on se base sur les données relatives aux marées noires dans d’autres pays, cela pourra prendre plusieurs années pour que la situation revienne à la normale. Mais l’utilisation de nouvelles technologies pour décontaminer et des projets de restauration pourront accélérer ce processus.

 

 

 

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