En cas de Brexit le 31 octobre : le spectre de la livre sterling sous la barre des Rs 40

Les soubresauts que subit le gouvernement britannique avec le Brexit, soit le divorce de Londres avec Bruxelles, font craindre une chute du taux de change de la livre sterling sous la barre psychologique des Rs 40. C’est du moins le sentiment qui prévaut dans le monde des affaires et des spécialistes du taux de change sur la base de la folle semaine à Londres que vient de vivre le Premier ministre anglais, Boris Johnson, aux mains de ses pairs à la Chambre des communes.

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En fin de semaine, la livre sterling était cotée à Rs 43, 25 alors qu’en janvier 2016, le taux de change était à Rs 52,81 pour descendre à Rs 48,05. Au lendemain du référendum sur le Brexit en juin 2016, la monnaie britannique évoluait sous la barre des Rs 50 pour être en dessous des Rs 45 depuis juillet 2017. Outre le phénomène de la dépréciation de la monnaie, il y a aussi le ralentissement sur le front économique en Grande-Bretagne, soit une contraction annoncée de 5 % en un an.

Par ailleurs, suivant la prise de garantie avec la signature le 31 janvier dernier de l’“economic partnership” entre la Grande-Bretagne et des pays d’Afrique australe, dont Maurice, des craintes sont exprimées quant aux séquelles du Brexit sur Maurice. Ainsi, un dernier document officiel de l’International Trade Division du ministère des Affaires étrangères sur le Brexit émet un avertissement. « Whilst the Economic Partnership Agreement with the United Kingdom guarantees predictability to Mauritian operators exporting to the United Kingdom, independent of any UK/EU Brxit outcomes, a No-Deal Brexit will have some consequences in the short run for Mauritius in view of the uncertainty associated to the United Kingdom’s disorderly exit from the European Union », souligne une “think tank” du ministère des Affaires étrangères et cela, bien avant la débâcle politique de Boris Johnson aux Communes de cette semaine.

En parallèle, la question qui hante les capitaines de l’industrie et d’autres opérateurs économiques se résume à l’évolution du taux de change de la livre sterling et de la roupie d’ici la date butoir du 31 octobre. Comment va se comporter la livre sterling dans les semaines à venir avec la menace du Brexit ? La monnaie britannique va rester très volatile, font comprendre les observateurs économiques. « On ne sait pas, peut-être qu’on aura des élections le 14 octobre. On ne sait pas si la Grande-Bretagne va vraiment quitter l’UE le 31 octobre ou plus tard. Ce qui est sûr, c’est que la livre ne tombera pas sous le dollar », commente un banquier.

Un autre opérateur, spécialisé dans le Forex, explique : « Je pense qu’au fil des semaines à venir, il y aura beaucoup de petits chocs pour la livre sterling. Elle devrait évoluer en dents de scie, et ce au moins jusqu’au 31 octobre. Si vraiment le 31 octobre la Grande-Bretagne quitte l’UE sans deal, la livre va piquer du nez, mais elle reprendra de la valeur par la suite. Toutefois, à Maurice, notre économie est plus exposée au cours du dollar et de l’euro, et dans une moindre mesure à la livre, quoique l’hôtellerie dépende beaucoup de la livre. »

Quoi qu’il en soit, au gouvernement et dans le secteur privé, on multiplie les initiatives ces dernières semaines pour tenter de contrer les effets du Brexit, augmenter le volume d’activités économiques et « rester dans la course », même après la sortie de la Grande Bretagne de l’UE. « Nous explorons d’autres marchés », dit-on.

D’ailleurs, la semaine dernière, une forte délégation gouvernement/secteur privé a participé à la conférence du TICAD au Japon. « Le Japon est la cinquième économie mondiale et elle déploie sa stratégie africaine. Cette participation s’inscrivait justement dans notre démarche de diversification afin de ne pas trop dépendre du marché britannique et maintenir la croissance économique du pays en toutes circonstances », fait-on valoir dans certains milieux du secteur privé.

Mais d’autres opportunités sont à saisir. Ainsi, l’Economic Development Board espère capitaliser sur le fait que Maurice se présente comme une alternative valable pour les Britanniques – entreprises et professionnels – dans un monde post-Brexit. « Nous les invitons à venir s’installer à Maurice. Beaucoup de professionnels britanniques seront désenchantés après le Brexit. Donc pourquoi ne pas les inviter à venir vivre et travailler à Maurice ? Il y aura donc des opportunités à saisir pour Maurice, dans tous les cas de figure, même avec le Brexit », fait-on comprendre dans les milieux du secteur privé.

Malgré tout, la certitude est que la menace d’un “no deal Brexit” fait peser une épée de Damoclès au-dessus de l’économie mondiale, et celle de Maurice n’est pas en reste. Les effets sur la livre sterling et sur les principaux secteurs économiques traditionnels, comme les exportations et le tourisme, se feront sentir, mais aussi sur l’investissement. L’effet du Brexit sera à double tranchant, selon les spécialistes, d’abord en termes de réduction du volume d’exportations mais aussi des recettes d’exportations et de tourisme, avec la baisse de la monnaie britannique.

Avant même la sortie officielle de la Grande-Bretagne de l’EU, le climat d’incertitude qui prévaut dans le monde n’est déjà pas très bon pour l’économie en général. « Le climat actuel contribue à réduire l’activité économique. La “trade war” entre la Chine et les États-Unis fait déjà trembler les marchés, tandis que l’instabilité au Moyen-Orient affecte le cours du pétrole, sans oublier la menace de récession dans la zone euro », résume Daniel Essoo, Chief Executive Officer de la Mauritius Bankers Association (MBA). Et ce dernier de renchérir : « Le Brexit aura un double impact sur Maurice. D’abord, il aura un effet sur la consommation des Britanniques en général et cela affectera nos exportations et notre industrie touristique. Pour les touristes britanniques, qui continuent à venir à Maurice en vacances, la baisse de valeur de la livre se fera aussi sentir. La livre vaudra moins de roupies, donc nos recettes touristiques vont chuter. »

Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner chez BDO, concède qu’avec le Brexit, Maurice va « souffrir temporairement » et qu’il impactera surtout le textile, le tourisme et le BPO, Maurice étant une “export-led economy”. « Maurice sera affectée à deux niveaux, il y aura une baisse de volume des échanges vers la Grande-Bretagne, mais aussi une baisse de valeur de la livre », dit-il.

Toutefois, selon Afsar Ebrahim, le Brexit se révélera « très avantageux » pour le pays de Sa Majesté. « Boris Johnson veut baisser la taxe. Je pense que l’Angleterre deviendra un réel “powerhouse financier” dans les années à venir, un centre financier encore plus puissant. Donc la Grande-Bretagne sortira gagnante du Brexit à moyen terme », dit-il.
Le défi pour Maurice sera de savoir se positionner dans ce nouvel environnement. « Nous devrons voir comment Maurice pourrait devenir complémentaire au centre financier londonien. Aujourd’hui, il n’y a aucune grande compagnie britannique à Maurice. Si on veut concurrencer des centres financiers comme Singapour, il y a encore beaucoup à faire. Il faudra voir comment nous “market” nous-mêmes », explique-t-il.

Selon Afsar Ebrahim, Maurice pourrait, par exemple, se positionner dans le business de l’“outsourcing” et capitaliser dessus. « Dans le secteur des services financiers, la libre circulation des sujets britanniques vers l’UE sera affectée et inversement. Il est fort probable que les coûts de la main-d’œuvre augmentent. Une Grande-Bretagne sans main-d’œuvre bon marché venant notamment d’Europe de l’Est ouvrira la porte à des opportunités de sous-traitance. C’est un domaine dans lequel nous devons nous positionner. Grâce à notre système d’enseignement basé sur l’anglais, nous aurons tout intérêt à saisir ces opportunités à l’avenir », note-t-il. Il évoque aussi le traité fiscal entre Maurice et la Grande-Bretagne qui date de 1981 et qui a été amendé en janvier 2011. « Il est temps de le réactiver pour que Maurice puisse devenir la porte d’entrée vers l’Afrique pour les entreprises britanniques », souligne-il.

Par contre, le CEO de la MBA ne partage pas cette opinion. Pour lui, la Grande-Bretagne sera « économiquement affaiblie » après le Brexit. « Cela va prendre du temps avant que le pays puisse se repositionner. Par exemple, les multinationales qui voudront une filiale en Europe ne privilégieront pas l’Angleterre. Elles préféreront un autre pays. Je pense que l’Angleterre finira par se retrouver, mais elle ne sera pas si puissante qu’avant. Elle ne sera pas l’eldorado économique que certains évoquent. Cela prendra une bonne quinzaine d’années pour qu’elle se remette à niveau », ajoute-t-il.


 

Barlen Pillay (secrétaire général de la MCCI) : « La vigilance pour nos exportations est de mise »

Alors que tout laisse croire qu’on s’achemine vers un Brexit dur, le secrétaire général de la MCCI, Barlen Pillay, considère qu’il nous faudra « être très vigilant concernant nos exportations et notre tourisme ». Il en est de même quant aux différents secteurs, dont celui des services financiers.

Quel est le sentiment de la Chambre alors qu’on s’achemine inévitablement vers un “hard Brexit” en Europe ?

Au niveau de la MCCI, nous continuons de suivre la situation du Brexit, qui aura certainement un impact sur le pays. Il nous faudra être vigilant sur nos exportations, notre tourisme et sur différents secteurs, dont les services financiers. Un “hard Brexit” aura certainement un effet sur la croissance économique du Royaume-Uni et donc aura un impact sur le climat des affaires et le taux de change. Cela aura un effet sur le moyen terme et sur la demande interne de la Grande-Bretagne, qui aura mécaniquement un impact sur les commandes venant de Maurice.

Quels sont les risques que cela représente par rapport à nos relations commerciales avec la Grande-Bretagne ?

Un de nos atouts, c’est que Maurice a déjà signé un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni, qui assure nos relations commerciales et est basé sur le présent accord de partenariat économique avec l’Union européenne. C’est ce qu’on appelle un accord de continuité. Dans ce sens, nos exportations de marchandises – principalement le thon, le sucre et le textile – rentreront au Royaume-Uni aux mêmes conditions qu’actuellement. D’après une récente étude de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en mars de cette année, Maurice a un avantage par rapport aux autres pays qui n’ont pas encore signé d’accord de continuité. L’organisme estime ainsi que Maurice pourrait bénéficier d’une augmentation de 103% de ces exportations vers la Grande-Bretagne, c’est-à-dire un peu plus de USD 220 millions en plus.
Par contre, il nous faudra être vigilant sur la baisse du pouvoir d’achat des Anglais, qui aura un impact sur la demande des produits mauriciens vers la Grande-Bretagne. De plus, si l’Angleterre décide de baisser les tarifs douaniers sur la clause de nation la plus favorisée sur certains produits, le taux préférentiel pour Maurice baissera. Par exemple, les propositions de l’Angleterre de baisser les tarifs douaniers globaux sur le secteur textile pourront avoir un effet sur notre compétitivité.

Craignez-vous une dépréciation de la livre ?

D’après les analystes économiques, un “hard Brexit” pourrait ramener le taux de change à presque 1:1 avec l’euro et à 1:05 avec le dollar. Ce sont des dépréciations de plus de 15%. Cela aura un impact sur la valeur de nos recettes touristiques venant du Royaume-Uni, mais aussi au niveau des services financiers. Heureusement que pour nos exportations, nos factures se font plus en dollars et en euros qu’en livres sterling maintenant. Effectivement, ces dernières années, les exportations mauriciennes libellées en livres sterling, qui étaient de 18% en 2008, sont tombées à presque 5% en 2018.

Quelles sont les mesures qui doivent être prises pour prévenir tous les risques éventuels sur notre économie ?

Je vous donne un exemple : un Brexit “sans accord” entraînerait une chute de 5% au Royaume-Uni d’ici 2020 en raison du contexte économique étouffé. Il faudra qu’on continue d’accentuer la diversification de notre tourisme, que ce soit en marché ou en produits et services, que Maurice offre.
Il nous faut également pouvoir capitaliser sur les opportunités qui peuvent se manifester. Par exemple, attirer des compagnies qui se délocalisent du centre financier au Royaume-Uni dans notre centre financier à Maurice. Il nous faut avoir une stratégie comme en 1982 avec Hong Kong, où un certain nombre de compagnies s’étaient implantées à Maurice dans le secteur textile, et on connaît le résultat !
Par ailleurs, nous estimons qu’environ 600 000 retraités britanniques vivent actuellement en France et en Espagne. Avec des incertitudes sur leur statut “post-Brexit”, nous pouvons attirer, disons, 5% d’entre eux, dépensant chacun un minimum de 1 500 USD. Cela peut entraîner une augmentation significative dans la consommation et le PIB du pays. Il faut une stratégie ciblée de la part de nos institutions dans ce sens.

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