En souvenir de Jeannine Burny, la gracieuse astrance de Maurice Carême

PRAVINA NALLATAMBY,
membre du CILF à Paris

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En ce mois de mars dédié au Printemps des poètes et à la Femme, j’aimerais rendre hommage à la femme exceptionnelle, la muse d’un grand poète, une astrance rayonnante…

Fidèle collaboratrice et compagne bien-aimée de Maurice Carême, Jeannine Burny a rendu l’âme en novembre dernier à l’âge de 95 ans. Présidente de la Fondation Maurice Carême (1) depuis 1978, elle a perpétué la mémoire du poète belge dans le monde. J’ai eu la chance de faire sa connaissance en 2010. Je garderai toujours le souvenir de cette dame passionnée et pleine de courage qui, chaque année, venait à Paris pour promouvoir l’œuvre poétique de Maurice Carême. J’avais pris l’habitude d’échanger avec elle à son stand au Salon du livre de Paris à la Porte de Versailles, au Marché de la poésie à la Place St-Sulpice et au Salon de la littérature jeunesse à Montreuil. Bien sûre d’elle, un sac banane autour de la taille, un carnet à la main pour noter ses ventes et ses commandes, entre deux conversations, elle présentait aux visiteurs les ouvrages avec un tel enthousiasme ! Quelle organisation ! Quel dynamisme ! Je ne me lassais jamais. J’étais conquise par sa personnalité. Au fil des années, nous avons noué une belle amitié. Inspirées par Maurice Carême, lui-même instituteur et poète de l’enfance, nous parlions avec enthousiasme de poésie et de pédagogie. Pour l’écrivain belge, il fallait toujours garder son âme d’enfant, cette part de nous qui peut encore rêver et s’émerveiller des petites choses du quotidien.

Habitée par l’amour qu’elle lui portait, Jeannine Burny honorait ses engagements en tant que Présidente de la Fondation avec bonheur pour faire rayonner son œuvre. Comme le faisait déjà le poète de son vivant pour l’illustrer et la promouvoir, elle poursuivait cette tâche par ses multiples activités. C’était un plaisir d’écouter Jeannine raconter la conception et la finalisation de ses projets avec les illustrateurs et les musiciens. Lors de nos rencontres, elle me montrait avec fierté la dernière création en feuilletant les pages une par une et en lisant de temps à autre un poème. Parfois, attiré par sa remarquable diction, quelqu’un s’arrêtait pour admirer la mise en scène de ces textes poétiques. A Anderlecht, elle faisait aussi découvrir la maison de l’écrivain, devenue un musée après le décès du poète. En 2013, lors d’un séjour à Bruxelles, je lui rendis visite et je découvris avec émotion l’univers de l’écrivain (2). Elle faisait visiter le bureau du poète, sa bibliothèque et ses archives ; elle nous racontait sa vie au gré de petites anecdotes. Quel honneur d’avoir partagé ces moments avec elle ! Jeannine me disait qu’une des missions de la Fondation Maurice Carême est de souligner le rôle de la poésie dans l’apprentissage de la langue, voire même dans l’apprentissage de la vie. Ne commence-t-on pas, en effet, la récitation des poèmes dès notre enfance ? Certains se rappelleront peut-être les « trois escargots » de Maurice Carême et d’autres poésies extraites de ce manuel scolaire qui nous a marqués dans les années 1970 : Enfance mauricienne…

Jeannine reliait toujours l’enfance à la poésie lors des conférences et des animations dans des écoles et des collèges. Nous avons eu l’occasion de collaborer plusieurs fois sur des projets divers en partageant la poésie de Maurice Carême. Lors de ses animations dans une école primaire parisienne, elle présentait l’œuvre du poète, en parlant de sa renommée mondiale, soulignant sa traduction en plusieurs langues d’Europe et d’Asie. Pour donner un ordre de grandeur, elle précisait que plus de 2800 poèmes avaient été mis en musique par 347 compositeurs et chansonniers ! Elle nous rappelait que Maurice Carême définissait le poète comme « un homme qui a le pouvoir de demeurer un enfant toute sa vie ». Je me souviens encore de la façon dont elle récitait le poème « Le chat et le soleil » sous le regard émerveillé des élèves en évoquant les chats noirs du poète qui avaient des yeux brillants comme le soleil et dont l’une s’appelait, disait-elle, « Féline ». Jeannine Burny faisait soigneusement la sélection des poèmes pour son public. Elle choisissait le thème de la famille, pour y resituer l’enfance si chère au poète. Elle insistait avec tendresse sur la place du père : « je me sens roi quand je marche à côté de toi » sans oublier l’amour maternel que rien ne remplace et le rôle de la mère dans un foyer, « cette vraie lumière qui éclaire ». A la fin de son intervention, certains élèves récitaient des poèmes ; d’autres lui offraient le fruit d’une création collective réalisée en prévision de sa visite et dédiée au poète. Nous avons continué à cheminer ainsi ensemble en partageant une autre aventure, cette fois-ci en offrant cette poésie francophone au Maroc. Grâce à sa générosité, un recueil de poèmes, Dans les jardins de Maurice Carême (3), enrichi de dossiers pédagogiques, a été publié au Conseil international de la langue française (CILF). Cet ouvrage, a été distribué gracieusement à des apprenants de français de plusieurs écoles élémentaires à Marrakech en 2017. Des écoliers marocains ont eu l’occasion de découvrir le poète belge et réciter ses poèmes lors d’une action éducative sur le thème du jardin, menée conjointement avec leurs professeurs de français.

Dans le récit de leur vie commune publié en 2010, Le jour s’en va toujours trop tôt, Jeannine Burny nous emmène « sur les pas de Maurice Carême ». Elle dévoile avec une tendresse infinie leur complicité « silencieuse » et les rencontres animées avec leurs amis. Elle nous confie leurs échanges autour de l’écriture, des moments d’inspiration et d’hésitation, de ratures et de corrections. Jeannine était la muse du poète ; elle cite avec émotion cette déclaration d’amour : « sans ta présence, je crois que je ne pourrais plus créer… », lui disait Maurice Carême. Alors que le poète lui ouvrait mille horizons au fil de ses créations en sillonnant la France, elle avouait aller « d’illumination en illumination ». On découvre avec elle les retraites poétiques de l’écrivain dans plusieurs régions de France comme Fontainebleau, Vaux-le-Vicomte, la Dordogne, la campagne normande et la montagne. Ils se recueillaient à Valvins chez Mallarmé, relisaient les Rêveries d’un promeneur solitaire, s’émerveillaient devant les gaves ruisselant dans les Pyrénées Atlantiques, admiraient les sermontins de la vallée féerique de l’Isère et ramenaient des bouquets d’astrances et de gentianes. Dans cette biographie, Jeannine nous présente aussi l’évolution de l’œuvre du poète ; nourris de leurs échanges passionnés, les écrits gagnaient en maturité allant des poèmes de l’enfance à des textes plus poignants sur les misères humaines.

J’admirais la ténacité de Jeannine Burny. La dernière fois que je l’ai vue, je l’ai sentie un peu fragile, fatiguée par une toux encombrante, me disait-elle. De ses mains frêles, elle serrait les pans de son épais chandail en laine autour de sa poitrine. Toutefois, son énergie restait intacte ! Elle continuait à réciter les poèmes, à parler de Maurice Carême. Elle inspirait le respect.

Aujourd’hui, elle est partie rejoindre son bien-aimé Maurice. Elle restera à jamais dans le cœur de tous ceux qui ont été conquis par son charisme, par sa façon de partager la paix « si propice à la poésie », qui donne aux choses de la vie cette « dimension essentielle » (4)…
Jeannine, vous nous manquez… … …

Notes

1.Fondation Maurice Carême : HYPERLINK « http://www.mauricecareme.be/fondation.php » http://www.mauricecareme.be/fondation.php
2.Du côté de chez Maurice Carême : HYPERLINK « https://fr.calameo.com/read/00090394741cb36a51d67 » https://fr.calameo.com/read/00090394741cb36a51d67
3.Dans les jardins de Maurice Carême
HYPERLINK « https://fr.calameo.com/read/000903947ae8c979e17f3?authid=vjhRtdTmjzTK » https://fr.calameo.com/read/000903947ae8c979e17f3?authid=vjhRtdTmjzTK

4.Jeannine Burny, Le jour s’en va toujours trop tôt.

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