Enquête judiciaire – Meurtre de Soopramanien Kistnen : le rapport d’autopsie de complaisance disséqué

  • Me Neerooa confronte le médecin-légiste, le Dr Sunnassee, aux défaillances de ce post-mortem et surtout au fait qu’il n’est jamais allé sur la scène du crime à Telfair
  • Pour des réponses ambiguës frisant le parjure, le Police Medical Officer essuie des avertissements de la magistrate du tribunal de Moka, Vidya Mungroo-Jugurnath

Le rapport d’autopsie de complaisance rédigé par le Police Medical Officer, le Dr Ananda Sunnassee, sur l’agent du MSM de Quartier-Militaire/Moka (No 8), Soopramanien Kistnen, aussi connu sous le nom de Kaya, le 19 octobre 2020, soit le lendemain de la découverte du corps dans un champ de cannes à Telfair, Moka, a été disséqué hier. Le médecin légiste, qui a passé plus qu’un mauvais quart d’heure dans le box des témoins du tribunal de Moka,  soutient que l’agent du MSM était encore vivant quand il fut pris dans l’incendie dans les champs de cannes. Il s’appuie sur une concentration de monoxyde de carbone dans le sang. Une « supposition », comme le reconnait le médecin légiste lui-même, qui diffère des conclusions de la Principal Police Medical Officer, Dr Shaila Prasad-Jankee – qui était sur les lieux le 18 octobre – ou encore de celles de la Forensic Scientist Asha Auckloo. Ces deux experts privilégient la thèse qu’il était fort probable que Soopramanien Kistnen était déjà mort avant d’avoir été immolé par le feu. Le Dr Sunnassee ne devait toutefois pas éclairer davantage le tribunal sur ses conclusions, avec le représentant du Bureau du Directeur des Poursuites Publiques, Me Azam Neerooa dénonçant des manquements et surtout le fait que ce médecin légiste ne s’était pas rendu sur les lieux du crime pour avoir une meilleure idée de l’état de l’endroit où la dépouille fut retrouvée.

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Le Dr Sunnassee a été secoué par Me Neerooa dès le début de son audition. Cela du fait qu’il a adressé une correspondance à la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath pour étaler des preuves, sans avertir le Bureau du DPP. Qualifiant cela de sérieuse infraction aux procédures, il a évoqué un possible délit de « perverting the course of justice » en citant des preuves à la Cour en privé dans le dos du DPP.

Le Dr Sunnassee a fait comprendre qu’il n’était pas au courant que ce n’était pas la procédure adéquate et qu’il a eu recours à cette procédure sur avis de son supérieur, le Chief Police Medical Officer, le Soodesh Kumar Gungadin. Le témoin a été appelé à fournir plus de détails sur son rapport d’autopsie final, daté du 5 février 2021. Il a réitéré sa conclusion de la cause du décès, soit un œdème pulmonaire. Il a ajouté que Soopramanien Kistnen aurait inhalé de la fumée et des produits combustibles, ce qui aurait causé l’œdème pulmonaire. Il a écarté la thèse d’une overdose de péthidine comme cause du décès.

Le médecin légiste a ajouté qu’il attendait le rapport de pathologie du laboratoire spécialisé au ministère de la Santé pour avoir une seconde opinion. Le laboratoire spécialisé avait ainsi étudié au microscope les molécules présentes dans les échantillons de poumons et du cœur de Kistnen qui lui avaient été envoyés. Il a précisé qu’il n’avait pas obtenu de seconde opinion, notamment sur les particules noires qui se trouvaient dans les poumons de la victime.

Le Dr Sunnassee, qui exerce comme médecin généraliste et expert en science médico-légale, a déclaré en Cour qu’il pratique des autopsies depuis 2007 et c’est en 2016 qu’il pratiquait seul. Toutefois, il n’a pratiqué que cinq autopsies sur des dépouilles sujettes à des brulures d’incendie.

Pour sa part, Dr Jasmine Selimah Fawzee, pathologiste au Central Health Laboratory de l’hôpital Victoria, Candos, a été appelée à la barre des témoins pour faire part de ses conclusions après les examens pathologiques. Elle a expliqué avoir examiné au microscope des échantillons du poumon et du cœur de la victime, le 19 octobre 2020.

Son rapport fut soumis au Dr Sunnassee, le 28 décembre 2020. Elle explique avoir décelé des particules noires dans les poumons, mais a évité d’en dire plus puisque ce volet est hors de ses compétences professionnelles. Elle a expliqué que le Dr Sunnassee souhaitait obtenir une seconde opinion des plus anciens pathologistes à Maurice. Mais ces derniers avaient alors recommandé une expertise étrangère. Dr Fawzee, répondant à une question de Me Roshi Bhadain sur l’avis d’experts étrangers à ce sujet, a répondu qu’à sa connaissance, l’avis souhaité n’a pas été recherché.

Le Dr Sunnassee, confronté aux dires du Dr Fawzee, a confirmé avoir obtenu son rapport mais qu’il n’avait obtenu de réponses. Me Neerooa lui a alors lancé « les conclusions des pathologistes d’obtenir l’avis d’experts étrangers est la seconde opinion. La troisième opinion serait alors l’opinion de ces experts étrangers ». Le médecin a alors déclaré «  j’ai été confus », ajoutant « c’est une seconde opinion qui n’est pas une opinion pour moi ».

Neerooa (AN) : Donc, si vous n’avez pas obtenu d’avis d’experts étrangers, comment avez-vous pu soumettre un rapport final ?

Sunnassee (AS) : « J’attendais l’avis d’un pathologiste mais comme je suis un expert en science médico-légale, je pouvais me contenter de cela pour soumettre mon rapport.

AN : Donc vous n’aviez pas besoin de l’avis d’experts étrangers comme recommandé par les trois Most Senior pathologistes locaux, soit le Director of Laboratory Services, le Deputy Director et un consultant ?

AS : Non, je n’en avais pas besoin.

Interrogé sur la raison pour laquelle il ne s’était pas rendu sur les lieux du crime, le Dr Sunnassee s’est engagé dans une longue explication.

«  Le corps avait été retrouvé le dimanche 18 octobre 2020. Je n’étais pas en service. Le lundi 19 octobre, quand j’avais repris mon service et en charge de la morgue de l’hôpital Jeetoo, il y avait trois autopsies à pratiquer dont le Post-Mortem sur Soopramanien Kistnen qui était encore un corps non-identifié. J’ai pratiqué son autopsie en premier. J’ai connu l’identité de la victime par la suite grâce aux informations fournies par la police. Toutefois, pour en être sûr, j’ai appelé un de ses neveux, Vishaye Boodhooa, pour identifier la dépouille. Il m’a confirmé l’identité », dit-il.

Le Dr Sunnassee a aussi fait comprendre que pour plus d’informations sur cette affaire, il a appelé des hauts gradés de la police qui étaient en charge de l’affaire « et quand j’ai obtenu des informations nécessaires, j’ai pratiqué l’autopsie car le corps était déjà en état de décomposition ».

Le Dr Sunnassee devait toutefois concéder n’avoir pas eu de Briefings  avec la Dr Shaila Prasad-Jankee, qui était sur les lieux du crime « mais nous en avons discuté ». Il a ajouté qu’il était toutefois en constante consultation avec son supérieur, le Dr Gungadin. « Il n’était pas nécessaire de consulter la Dr Prasad-Jankee. J’étais satisfait des informations obtenues des policiers présents sur les lieux  du crime. Si pendant l’autopsie, il y avait des clarifications à obtenir, je l’aurais contactée », devait-il ajouter.

Me Neerooa devait alors trouver incompréhensible le fait que la Dr Prasad-Jankee n’avait pas été consultée alors que le Dr Gungadin semblait le guider pour l’autopsie. Le Dr Sunnassee devait faire part de son désaccord, ajoutant que le Dr Gungadin est son supérieur.

Concentration de monoxyde carbone

Me Neerooa a mis le Dr Sunnassee devant les faits que ses conclusions différaient de celles de la Dr Prasad-Jankee. Ce à quoi il a acquiescé. Me Neerooa s’est alors appesanti sur la concentration de carbone monoxyde dans le sang de la victime, soit 5,2%, comme avancé dans le rapport FSL.

AN : 5.2% de monoxyde de carbone dans le sang c’est une bonne lecture que vous faites ?

AS : Oui.

AN : Le monoxyde de carbone est mesuré en pourcentage ?

AS : Oui.

AN : Le monoxyde de carbone n’est pas mesuré en ppm (parts per million) ou en milligramme par mètre cube ?

AS : Non, c’est très technique.

AN : Donc comment le carboxyhémoglobine est mesuré ?

AS : Je ne suis pas sûr de cela. Ce que je sais c’est que le monoxyde de carbone est donné en termes de pourcentage dans nos rapports.

AN : Si je vous dis que le carboxyhémoglobine est mesuré en termes de pourcentage et le monoxyde de carbone en terme de ppm ou mètre cube !

AS : Oui c’est possible.

AN : Donc votre rapport est erroné si l’unité de mesure utilisée n’est pas conforme aux normes internationales ?

AS : C’est le FSL qui a donné ses résultats en pourcentage.

AN : Si le FSL a fait une mauvaise lecture du taux de concentration donc votre rapport est erroné ?

AS : Oui, car je me fie au rapport du FSL.

Le Dr Sunnassee est revenu sur les conséquences de 5.2 % de concentration de monoxyde de carbone dans le sang d’une personne.

« Pour un non-fumeur 5,2 % n’est pas un taux de concentration normal. Un taux de concentration normal serait entre 0 et 2.3% ». Dr Sunnassee d’expliquer qu’un non-fumeur qui aurait 5,2 % de monoxyde de carbone dans le sang « vis avec des effets toxiques dans le corps et peut possiblement succomber d’un arrêt cardiaque », dit-il.

Le médecin légiste a déclaré toutefois qu’un fumeur a un taux de concentration de monoxyde de carbone allant de 8 à 10%. Pour un fumeur passif, la concentration de carbone monoxyde varierait entre 2 et 4 %. Il a soutenu que Soopramanien Kistnen ne fumait pas, et cela sur la base du dossier médical obtenu des limiers de la Major Crime Investigation Team (MCIT). Le témoin ne devait toutefois pas être en mesure de dire si la victime était un fumeur passif.

Par ailleurs, il a révélé qu’un taux de concentration de monoxyde de carbone jugé fatal pour une personne varie entre 20 et 50 %. Il ne devait toutefois pas affirmer que 5.2% était une concentration normale de monoxyde de carbone pour un fumeur passif.

S’appuyant sur le rapport d’autopsie, Me Neerooa a rappelé que selon lui Kaya Kistnen était encore en vie lorsqu’il prit feu, donc en respirant il aurait inhalé plus de fumée et donc beaucoup plus de monoxyde de carbone .

Le Dr Sunnassee a répondu : « Je suis d’accord en partie. Il faut aussi prendre en considération le fait que le corps était en état de décomposition ».

Me Neerooa a trouvé de plus que la victime devait avoir des résidus de suie dans les voix aériennes. Dr Sunnassee est d’avis que « l’écume qui sortait des poumons a bien pu enlever la suie dans les voies aériennes ».

Le Dr Sunnassee a reçu deux avertissements pour des réponses tendant à induire la Cour en erreur, dont notamment lorsqu’il a fait mention de photos des lieux du crime qu’il a vus pour l’aider à pratiquer l’autopsie, alors qu’aucune photo n’était encore disponible quand il a démarré l’autopsie. Aussi, pour ses éventuels écarts et l’infraction aux procédures, la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath a avancé qu’elle décidera ultérieurement si elle prendra des sanctions.

L’enquête judiciaire a été ajournée au 1er septembre.

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